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Tout en rangeant mon smok de travail et mes slips de cérémonie dans ma Samsonite, j’évoquais l’oncle Tom. Ne l’avais vu que deux ou trois fois, ce vieux crabinche ! Me restait le souvenir d’une espèce de casse-noisettes en buis « ouvragé ». Une gueule de rapace déplumé sous une casquette à la visière luisante de crasse. Le nez crochu, le menton tombant. Des chicots plein la gueule comme des pépins noirs dans une tranche de pastèque. Il avait le regard froid, l’oncle Tom. Sans couleur réelle. Ça vaguait dans des gris délavés, mais ça exprimait l’ingentillesse, crois-moi.

J’étais petit garçon alors et mon papa vivait encore. On allait vacancer en Savoie et on passait « dire bonjour » à tante Mathilde avant de remonter sur Pantruche, la dernière semaine. On déboulait sans prévenir, comme ça se fait en province. La tante rayonnait de voir sa gentille frangine. Mais le père Thomas, oh pardon ! Chaque fois son humeur coulait une bielle en nous apercevant. Grigou jusqu’à l’os, il était malpartant pour l’omelette au lard, la salade du jardin aux croûtons et les matefaims qui sont des crêpes, là-bas. Plus le litron de piquette qu’il devait aller tirer au cellier !

On avait beau s’amener avec un pacsif de cochonnailles et un gâteau de Saint-Genix large comme tes fesses, il encaissait mal les festins familiaux, même frugaux, le vieux birbe ! Une fois pour toutes, il avait fait souder le fermoir de son morlingue au chalumeau oxhydrique, l’apôtre ! Pour sa pomme, visite équivalait à dépense. Et de débourser trois fèves, ça le plongeait dans des amertumes, des angoisses métaphysiques. On faisait semblant de pas s’en rendre compte, tous. On jouait les boute-en-train. Papa surtout ! Mathilde arrivait mal à réfréner son bonheur. L’idée qu’elle avait eue, la tante, de se maquer avec un pareil babouin ! On n’a jamais compris, à la maison. Une femme si délicate, qui avait fait institutrice et qui confectionnait de si ravissants abat-jour de parchemin, entièrement décorés main, je vous prie d’agréer ! Bon, elle tombe veuve, ce qui est de fatalité dans la famille, du côté de m’man. Quelques années passent. La voici à la retraite. Et puis un jour, poum ! Thomas Dugadin se met à la rambiner et se l’emporte dans sa ferme branlante. Ce qu’elle a pu lui trouver de positif à ce cynocéphale radin ? Mystère ! Peut-être qu’il la tirait comme un chef après tout ? Au chibre, il devait cartonner de première, l’infâme, je subodore. T’as de ces kroums abjects qui se montrent champions de pucier. Mais est-ce qu’une troussée goût bulgare vaut qu’on consacre sa fin de vie à un aussi sordide personnage ?

Elle a tenu dix piges, tantine, avant que le vilain crabe l’emporte. L’oncle Tom a poursuivi sa trajectoire. Dis, au moment où on l’a scrafé, il devait traîner un carat phénoménal, le vioque, car quand j’étais mouflet, je l’estimais presque centenaire. Bon, l’enfance apprécie mal l’âge des adultes, néanmoins mon faux tonton avait le record de Mathusalem en point de mire, c’est certain. Quatre-vingt-cinq ? Quatre-vingt-dix ou mèche ? C’est moche de finir ainsi, torturé à mort. Ses agresseurs sont-ils parvenus à lui faire dire l’endroit où il planquait son crapaud ? J’en doute. Le blé, c’était toute sa vie, à l’oncle Tom. Il y tenait davantage qu’à l’existence.

Ma valise prête, moi saboulé pour le voyage, je me penche sur une feuille de papier à lettres gravée au nom du palace. S’agit de prendre congé, sans trémolo ni cynisme. Du tact, de la sobriété, de l’élégance. J’écris :

Je vais à Paris acheter des cigarettes. Merci pour ces fabuleuses vacances. Je pars le cœur plein et les couilles vides. Kiss ! kiss ! kiss !

Ton flic d’amour

Beau, non ? Sobre. Son style à elle surtout sur la fin : le kiss trois fois écrit. Elle va gueuler, trépigner, mais elle appréciera.

Allez, bye !

Je m’aperçois que je ne t’ai pratiquement pas parlé de Daisy. Aucune importance. Une pute, tu veux en dire quoi ? Que sa chatte a un goût de framboise ? O.K. la chatte de Daisy avait un goût de framboise. T’es content ?

Ça ne m’intéresse pas tant que ça

d’être assis un jour

à la droite de Dieu ;

j’aimerais mieux être assis

en face de lui.

Ce qu’il y a de chouette, lorsque tu meurs assassiné, c’est qu’il vient beaucoup de monde à ton enterrement. Cela dit, la chose ne revêt qu’une importance secondaire, car : soit il n’existe pas de survie et donc tu ne peux pas le voir, soit il y en a une et alors t’en as plus rien à cirer des manifestations d’ici-bas !

Moi, tous ces cons, je t’en fais cadeau. Plus tu trouves de gens rassemblés, plus tu batifoles dans l’hypocrisie.

La mort de l’oncle Tom serait passée inaperçue si elle avait été naturelle. Qu’on trouve le vieux péquenaud raide comme barre dans sa cuisine, ça n’amenait pas un greffier. Privé de toute famille, il allait avoir droit à un enterrement vite-fait-bien-fait-sur-le-gaz, le Thomas ! En deux coups les gros : petite partie de goupillette en l’église de Saint-Joice-en-Valdingue, et puis trot attelé jusqu’au cimetière, où on l’aurait craché dans le caveau des Dugadin, bourré de vieux nœuds cannés octogénaires au moins, à l’exception du fils buté à la Quatorze et dont un médaillon serti dans la pierre tombale perpétue l’allure martiale. Graine de héros dont la mort est la germination logique. Ces salauds d’uhlans à la corne d’un bois. Achtung ! c’est pas le fils Dugadin qu’on aperçoit là-bas ? Dugadin sauveur de Saint-Joice-en-Valdingue, Savoie ? Non mais visez un peu comme il requinque, l’enfoiré, dans son bel uniforme garance ! Feuer à volonté ! Pan, pan !

Oui, on aurait dû le basculer dans la terre glaise, l’oncle Tom, sans préambuler de trop, devant quatre pelés et un tondu de sa classe tout heureux de pouvoir planter un conscrit de mieux ! Ouf ! Les vieux, leur dernier bonheur, c’est d’enterrer les copains. Ils ressentent une âpre joie à leur survivre. Comme si la fin de leurs contemporains leur assurait un rab d’oxygène. Comme s’ils étaient les héritiers des quelques mois ou années que le défunt aurait pu vivre en plus.

Mais alors, mort assassiné, après avoir subi moult tortures, le voilà qui fait recette, le concubin de tatan Mathilde. Ça radine de tous les villages avoisinants, et même de Chambéry. Y a les anciens combattants, une délégation de la préfecture, le maire, la fanfare de Morzyleuil, les gendarmes, des messieurs étranges venus d’ailleurs, des journalistes du Dauphiné Libéré, les enfants des écoles pour chanter Les Allobroges au cimetière. A l’église, deux curés, l’harmonium chauffé à blanc, la chorale de Foumledan, des oriflammes d’associations reconnues d’utilité publique : « Les Amis de la Fondue », « La Boule Savoyarde », « Les Amateurs de la Roussette[1] », « La Confrérie des diots[2] », etc.

Un bouseux du cru, vieux comme un Stradivarius, pleurniche dans l’esgourde de sa fille que c’est beau comme des funérailles nationales. Et comme il a raison !

D’ailleurs en convient, la fumelle. Je parcours l’assistance des yeux à la recherche de m’man. Je sens bien qu’elle est présente, ma Félicie. Je capte ses bonnes chères ondes. Seulement elle doit se faire toute mignarde dans son coin, car elle ne se met jamais en évidence, ma vieille. Je parie qu’elle se sera plancardée derrière un pilier, ou dans le renfoncement du confessionnal. Alors je me détronche à m’en élonguer les cervicales.

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1

Délicieux vin blanc de Savoie.

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2

Délicieuses saucisses de porc cuites dans une délicieuse sauce au vin blanc ci-dessus.