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— J’ai ! annonce le brigadier.

Il veut me tendre le document, mais c’est l’inspecteur Blanc qui s’en empare prestement. Le voilà qui se fend comme une pastèque et qui se met à gratter furieusement ses testicules en jubilant.

— Ça alors ! Ah ! ben ça, alors, c’est chié, mon vieux ! Pour être chié, c’est chié !

— Il vous tutoie ? s’alarme à voix basse le gendarme. Vous ! Lui : un Noir !

— Du point de vue grammatical il n’en est qu’à la seconde personne du singulier ; mais quand il aura étudié la troisième, les choses rentreront dans l’ordre, rassurez-vous, réponds-je (à cul).

— Ah ! bien. Je me disais…

T’avoueras que je suis de belle composition (française) et que j’ai toutes les indulgences pour M. Blanc. Car enfin il me revenait de prendre connaissance de ce document avant lui. Mais je joue le jeu. Une fois de plus : c’est son enquête. Et ma pomme supervise seulement.

— Je pense que ma note va grimper quand tu auras lu ça, mon vieux ! déclare Jérémie avec un poil de suffisance qui fait friser ceux que j’ai sous les bras, parce qu’il faudrait pas trop pousser Sana dans les orties.

Si sa tronche se met à enfler, cézigus, crépue comme elle est, elle ressemblera vite à un édredon de grand-mère.

Je biche le document et déclare sèchement :

— Quel que soit son contenu, je te mets quinze !

— Mais j’avais seize tout à l’heure, proteste mon disciple, douché.

— Je t’enlève un point pour ne pas avoir pensé à consulter la collection du Dauphiné du temps que nous y étions. L’accident y était relaté avec tous les détails, moi je n’aurai pas besoin de lire ce rapport car j’en connais le contenu ; je vais le faire néanmoins par probité professionnelle, car je peux y trouver une précision omise par la presse.

Le grand Noir plonge du pif. Bon, j’ai remis le compteur à zéro.

— Pardonnez-moi de vous faire perdre votre temps, brigadier.

Jean-Baptiste Lechibré récrie bien haut que ma visite est l’événement de sa vie et que, dès ce soir, il va s’acheter un cahier quadrillé pour commencer d’écrire ses mémoires.

* * *

Il portait un costume infroissable, comme ceux que tu peux rouler serré et mettre dans ta poche si tu en possèdes un second. Malgré tout, le vêtement était bien coupé. Dans les bleu pâle avec de fines rayures roses. Il exaltait le bronzage de Stephen Black.

A Kennedy Airport, il avait repéré une jeune femme blonde et mince, avec des cheveux raides coupés sur la nuque, exactement comme il aimait. Elle s’infligeait un régime trop draconien pour avoir de beaux seins ; mais Black se disait qu’il aurait néanmoins volontiers joué avec eux. Le tailleur coquille d’œuf de la fille sortait de chez un grand couturier français. Stephen qui suivait la mode de près, l’élégance faisant partie de ses préoccupations, hésitait entre deux noms réputés. Il aimait l’encolure de la veste et le plissé de la jupe. Toujours, les jupes plissées l’avaient excité. Il nota qu’elle tenait une carte d’embarquement de first à la main, comme lui, et, bien qu’il eût rarement de conversation avec Dieu, il Lui demanda de placer cette créature raffinée à son côté et le Seigneur qui témoigne souvent de l’indulgence aux canailles exauça son souhait.

Avant le décollage, ils avaient déjà engagé la conversation. Il comprit tout de suite que son charme glacé opérait sur la passagère et il en profita pour « pousser son avantage ». Il apprit qu’elle était française et qu’elle représentait une agence de prêt-à-porter à New York. Elle se rendait souvent à Paris où son époux travaillait dans la publicité. Leur vie actuelle ne favorisait guère l’épanouissement d’un foyer, aussi retardait-elle le moment d’avoir des enfants.

L’hôtesse leur proposa du champagne et ils se portèrent un toast muet, plein de sous-entendus ; Black avait l’art du « non-dit ». Son regard éloquent suppléait les mots et certaines de ses expressions valaient des tirades.

On leur servit un délicat repas auquel la jeune femme ne toucha pratiquement pas. Black ne se gêna pas pour savourer le sien complètement, avec son solide appétit coutumier. Pareil à un athlète de haut niveau, il consommait toujours de fortes quantités de nourriture, en évitant toutefois les hydrates de carbone.

Quand on les eut débarrassés des plateaux, Stephen Black renversa son siège de quelques degrés. Ils se trouvaient assis au dernier rang des first et n’avaient derrière eux que la cloison les séparant de la classe Y.

— Vous ne lisez pas ? demanda-t-il.

— Non, répondit la jeune Française.

Sans lui demander son avis, il éteignit les lampes dont les minces faisceaux tombaient sur eux. Ils se trouvèrent alors plongés dans une discrète pénombre, propice au sommeil. Bientôt, les allées et venues des hôtesses cessèrent, l’éclairage général de l’appareil baissa de plusieurs niveaux et il n’y eut plus qu’une molle torpeur accentuée par le bruit soyeux des réacteurs, loin derrière leurs fauteuils. Stephen murmura quelque chose d’inaudible. Elle lui fit répéter.

— Je suis bien, soupira-t-il. C’est un instant marginal, de vrai bonheur ; vous ne trouvez pas ?

Elle dit « Si » et il lui prit la main. Elle eut un mouvement pour la lui retirer. Black accentua sa pression, mettant dans celle-ci une grande partie de son énergie. La jeune femme ne résista plus. Il se mit à caresser ses doigts, doucement. Ensuite il les porta à ses lèvres et les suça l’un après l’autre. Sa poitrine frissonna, subjuguée par l’étrange caresse. Elle éprouvait une indicible sensation comme s’il eût léché tout son corps. Elle eut intensément envie de ce beau mâle terrifiant auquel il était impossible de résister.

Elle rêva qu’elle se trouvait dans une chambre bien close avec cet inconnu et qu’il l’entraînait dans un tourbillon de folies. Ce qui la fascinait le plus chez son compagnon de voyage, c’était sa désinvolture, son autorité et sa lenteur étudiées. Contrairement à la majorité des hommes, toujours pressés d’arriver à l’aboutissement, lui prenait son temps et savourait les prémices.

Quand il eut longuement sucé ses doigts, il abandonna sa main et posa la sienne sur la jambe de sa voisine. Et il resta sans bouger. Sa chaleur, ses ondes, pénétraient la jambe de la femme, s’irradiaient à travers tout son corps. Elle songea qu’elle n’avait jamais connu peut-être de plus grande volupté qu’à cet instant, avec cette main posée sur sa cuisse. Tout naturellement, ce fut elle qui, après une longue et intolérable attente d’animal piégé, se mit à remuer sur son siège, quémandant ainsi des caresses plus intimes. Il fut inexorable et s’obstina à attendre encore, sans que sa main ne frémisse.

A la fin, elle se pencha contre son épaule et exhala une sorte de légère plainte qui ressemblait à un appel. Ce fut comme un déclic qui le fit se décider. Sa main se coula sous la jupe plissée et il en ressentit un grand bonheur et un grand sentiment de victoire, car rien n’est plus décisif ni plus comblant pour un mâle que de toucher pour la première fois le sexe d’une femme.

Il ne lutta pas contre le fin slip étroit, mais de sa petite main magique, il le déchira sans la meurtrir, et elle coula sur son siège, ses genoux touchant le dossier qui lui faisait vis-à-vis, les jambes ouvertes, offertes intensément.

Sur la même rangée de sièges, de l’autre côté de la travée, un gros homme apoplectique qui suivait leur manège depuis un moment émit un grognement de protestation.

Black retira sa main et, se penchant dans l’allée centrale en direction de son voisin, lui demanda, son regard planté dans les yeux de l’autre :

— Quelque chose qui ne va pas ?