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— Comme la ville ?

— Sauf qu’il y a un tiret entre San et Antonio.

— Tiens, pourquoi ce tiret ? demande-t-elle.

— Parce que je l’ai mis, expliqué-je longuement.

— C’est intéressant, convient-elle.

— Très. Y a rien eu de plus sensationnel depuis le suicide d’Adolf Hitler dans ce bunker de la Chancellerie.

Elle me délicate un joli sourire qui contracte je ne sais quel muscle embusqué dans mon slip. Et puis la voici qui manipule un bigophone tellement moderne et chiadé que je serais mort de faim avant d’avoir trouvé le moyen de l’utiliser pour me commander un sandouiche pain-de-mie-jambon-beurre.

Elle obtient quelqu’un qui lui obtient quelqu’un qui lui obtient quelqu’un qui lui conseille de patienter. Vingt et une secondes plus tard, on a le feu vert pour grimper au quatorzième étage, ce qui t’indique que je me fourrais le doigt dans l’œil jusqu’à m’en grattouiller l’anus depuis l’intérieur en t’annonçant trop hâtivement que l’immeuble mesurait douze étages.

M. Peter Murchinston, même si tu ne le voyais que de dos en train de déféquer, tu saurais qu’il est états-unien. Plus américain que lui, y a que la bouffe à MacDonald. Carré de partout, cheveux gris, brillants, coupés court, nez large, teint allumé, vêtements fripés, il annonce la couleur, cézigue. Le drapeau étoilé planté à côté de son bureau, comme un pébroque de grand hôtel dans son porte-parapluies est superflu. Une tronche pareille, c’est de la franchise ! Il était fait pour être yankee, comme Dullin pour jouer l’Avare. Note que c’est précisément parce qu’il l’est, yankee, qu’il se traîne cette frime. M. Murchinston père peut dormir tranquille, sa bonne femme lui a pondu un chiare sans le concours de leur laveur de vitres portoricain.

Comme il a de la converse, à notre entrée, il nous crie « Hello ».

Pour ne pas être en reste je lui déclare : « Que c’est gentil à lui de bien vouloir distraire un peu de son précieux temps pour nous recevoir et que je me permets de lui présenter l’officier de police et ancien ministre Alexandre-Benoît Bérurier. »

Il refait « Hello » pour nous signifier qu’il biche comme cent poux dans la culotte d’Alice Sapritch, nous désigne deux fauteuils et se rassoit.

Alors je dépose mon petit problème sur le coin de son bureau (en verre noir, bien sûr).

— Dans ce merveilleux organisme qui apporte à l’Europe ce que la grande Amérique a de plus spirituel, c’est-à-dire son système bancaire, vous bénéficiez de voitures de fonction, n’est-il pas ?

— Yé ! commente le sous-directeur de l’American Bank Company.

— Ce que j’ai à vous demander, cher monsieur Murchinston, est à la fois simple et compliqué : en 1973 vous disposiez, dans votre parc automobile, d’une Cadillac dont voici l’immatriculation.

Je dépose un bristol dactylographié devant lui et continue :

— Bien que quelque quinze années se fussent écoulées depuis, il est primordial, je répète primordial, que je connaisse le nom de la personne qui s’en est servie à la date du 23 juillet de cette année 73.

Un temps.

Murchinston chausse de grosses lunettes d’écaille pour lire les lettres et numéros de la fameuse plaque. Mais ça ne doit pas évoquer grand-chose dans son esprit car il repose ses besicles comme un chirurgien coupe l’arrivée de l’oxygène à un mec en cours de réanimation dont l’éclectrocardiogramme est devenu aussi plat que la Hollande.

Moi, manière de le stimuler, je lui injecte quelques centimètres cubes de sirop de vanité.

— Je sais que les recherches ne vont pas être commodes, monsieur Murchinston, mais je sais aussi que vous autres Américains ne vous laissez jamais brimer par les difficultés.

Il ne réagit pas. Il pense et, pour ce faire, a arrêté de mâcher le chewing-gum gonflant sa joue droite. Respectons sa méditation. Et puis voilà qu’il décide de presser un bouton.

— Anita ? murmure-t-il. Venez !

Il raccroche. Son fauteuil étant pivotant, il se propulse de gauche à droite, ce qui produit un léger grincement agaçant. Cette fois, son esprit étant repassé au vert, il peut mastiquer son éjaculation d’hévéa en toute quiétude. Le ronfleur de sa lourde ressemble à certains rots de Bérurier, quand celui-ci fait dans la discrétion. Murchinston libère l’entrée et alors, oh ! pardon, docteur : attention les yeux ! La gonzesse qui entre dans le bureau a dû provoquer davantage d’infarctus qu’il n’y en a eu depuis l’invention du cholestérol.

Bérurier en laisse choir son chapeau et moi, j’ai soudain l’impression d’avoir un rat dans mon calbute, mais c’est une simple réaction de mon pote tricotin, lequel est hypersensible.

Une gonzesse pareille, c’est un vrai spectacle ! De longs cheveux qui lui dévalent jusqu’à la taille et qu’elle sépare dans le milieu. Un teint d’abricot. Des pommettes saillantes, une bouche plus belle que la chatte de ta femme. Mais surtout ya yaïe, oui, surtout : les yeux ! Une couleur comme ça, n’importe quel caméléon se meurt : vert d’eau, avec un zeste de bleu azur, et une auréole gris perle. Les cils sont longs, les sourcils minces au contraire, et obliques…

Pour compléter l’extase, je suis bien obligé de t’informer qu’elle est grande, avec des jambes fabules. Mais je te garde pour la bonne bouche ses jumeaux du diable. Des loloches de cette ampleur et aussi bien formés malgré leur dimension, j’en ai vu qu’une seule fois, et encore c’était dans un rêve, une nuit où j’avais trop picolé. Moi, pour me goinfrer de ces deux machins, je sortirais du goulag ! Je quitterais mon sous-marin par la porte de service, en douce, pendant qu’il est en plongée ! Je passerais des vacances avec Le Pen ! Je laverais la vaisselle ! Je me ferais tailler une pipe par la reine Fabiola ! Je lirais toute l’œuvre de Robbe-Grillet ! Et bien d’autres supplices encore !

Une occasion pareille, elle est à saisir à deux mains. Tu joues de la cornemuse avec un instrument commak ! Tu pars en voyage entre deux seins aussi prodigieux.

Dis, il peut travailler avec cette somptuosité déambulatoire, le Murchinston de mes deux ? Il peut faire autre chose que de s’installer entre ses jambes, à la miss Anita ? Mais alors, il est eunuque en plus d’américain, ce pauvre bonhomme !

— Ces deux messieurs ont un petit problème. Vous seriez gentille de les aider à le résoudre.

Voilà ce qu’il bonnit à la princesse. En cuir, elle est loquée, ma prochaine maîtresse (car l’avenir sans elle ne serait plus qu’un interminable purgatoire). Cuir noir avec des motifs de daim beige clair incrustés. Sur Mme Thatcher, ça paraîtrait sûrement bizarre, mais à elle, ça lui va admirablement.

Bérurier qui ne l’a pas quittée de l’œil depuis son entrée dans la pièce ne cesse de balbutier, sur un ton d’oraison :

— Dieu de Dieu ! Dedieu de Dieu de Dieu !

Murchinston nous prend congé dans un état second en ce qui me concerne. Il me tend mon bristol, je crois que c’est la main et je lui écrase le papelard dans la pogne. Renverse ma chaise. Marche sur le chapeau de Béru. Lequel me chuchote en le ramassant :

— Tu m’en laisseras un morcif, mec, quand tu la caramboleras ?

Il a des larmes de convoitise dans les yeux. C’est si intense, tout ça, comprends-tu ? Faut y vivre pour piger.

Elle marche devant nous et son fabuleux popotoche écrit huit milliards huit cent quatre-vingt-huit millions huit cent quatre-vingt-huit mille huit cent quatre-vingt-huit, depuis le bureau de Murchinston jusqu’au sien, cependant assez proche. Cette nière, je me demande comment elle a pu arriver sans encombre jusqu’à ce jour, belle et bandante à ce point ! Y a donc plus d’hommes sur notre planète, ou quoi ?

Elle ne nous fait pas asseoir mais se plante au milieu de la pièce, croise les bras par-dessous ses dix kilos de super-glandes et nous annonce qu’elle nous écoute.