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Bref, jolie histoire, hein ? Valable, moi je trouve. Si tu as mieux, je suis preneur. En tout cas j’arrive à pic dans sa vie, Anita. Un zob chasse l’autre, comme le dit toujours la reine Mary d’Angleterre, avec ce beau sourire farineux qui fait mouiller mes potes de Jours de France.

Ma sublime, ça la soulage, cette confession express. Gros sur la potato, elle avait. Comment se peut-ce qu’un julot néglige une fille de cette bioutifoulerie, ça je me demande ! Il est pervers ou quoi, son spécialiste des soufflets ?

Je lui prends la main, manière de commencer sans plus tarder ma thérapie de réconfort. Pas une seconde à perdre, je suis seulement de passage.

Pietro Dacco, le patron, un gros ténébreux qui se croirait déshonoré s’il parlait autre chose que l’italien dans sa boîte, nous apporte lui-même une assiette de rondelles de tomates équipées d’une tranche de mozzarelle, le tout vinaigré à souhait. Ça crée la diversion salutaire.

— A propos, commissaire, fait Anita, imaginez-vous que j’ai votre renseignement.

— Pas possible ?

— Avant de me perdre dans des exhumations de fiches et de cahiers, je suis descendue à notre parking, interroger le père Müller qui en est le gardien depuis la création de l’A.B.C. C’est un vieux Suisse des Cantons Primitifs, tatillon et scrupuleux, auquel rien n’échappe. Il veille sur le parc automobile de la compagnie comme sur ses économies. Il a vérifié sur son livre de bord, mais déjà il avait la réponse en tête : la Cadillac qui vous intéresse a été mise à la disposition d’une « huile » venue des U.S.A., en tournée d’inspection : un certain Ron Silvertown.

— Vous permettez ? dis-je.

Je tire un mignon carnet de ma fouille, pourvu d’un encore plus mignon portemine en argent ancien ; l’antiquaire qui me l’a fourgué prétendait qu’il avait appartenu à la princesse de Clèves ou à Raymond Poincaré, il savait plus très exactement. Vitos, je note le blaze du pékin en question.

— Il est toujours dans les hautes sphères de votre boîte, ce gazier, ma chérie ?

— Non, il paraît qu’il a poursuivi son ascension et qu’il est à présent à la tête d’un véritable empire des affaires.

— Vous avez une idée de l’endroit où il crèche ?

— J’ai entendu dire qu’il habitait Miami une grande partie de l’année et qu’il possédait un appartement à New York ; si la chose vous intéresse, je peux vous obtenir des renseignements plus précis ?

— Volontiers. Et alors, comment se fait-il que votre père Müller se souvienne, tant d’années après, que cet homme utilisait la Cadillac de cérémonie ?

— A cause d’une succession d’incidents qui lui sont restés en mémoire.

Elle tire de son sac à main une fiche de carnet à souches réclame vantant les fabuleux mérites de l’A.B.C.

— Le 24 juillet 73, Müller a constaté qu’une aile de la Cad’ était légèrement défoncée. Il a signalé la chose à notre chef d’entretien qui lui a recommandé de confier la voiture à un carrossier, sans importuner Silvertown. Mais, quelques jours plus tard on a téléphoné à Müller pour lui demander le nom et l’adresse du conducteur ayant causé un accident sur une route de Savoie, le 23 juillet. Müller a fourni le renseignement en question.

— Qui l’appelait ?

— Une femme. Elle prétendait être la fille d’un certain Thomas Dugadin, la victime de l’accident en question. Müller n’a plus jamais entendu parler de rien. Il a failli, malgré l’interdiction qu’on lui en avait faite, parler de la chose à Silvertown ; ce qui l’a retenu, c’est la personnalité de ce dernier : un homme glacial qui ne lui adressait pas la parole et paraissait ne pas le voir derrière ses lunettes à verres fumés.

— Vous avez fait de l’excellent travail, Anita.

On nous apporte notre melon-Parme. Le melon est fruité, le Parme fondant. Le serveur m’a fait goûter le picrate, comme il se doit et a empli nos verres. Je lève le mien, ma compagne m’imite. On trinque.

— Santé ! fait-elle.

— A l’inoubliable nuit que nous allons probablement vivre, m’enhardis-je.

Tu crois qu’elle proteste ? Simplement elle me sourit, un beau sourire tranquille qui accepte les sortilèges de l’existence.

Après les hors-d’œuvre et en attendant le gratin de pâtes verde, je demande :

— Où pensez-vous que soit descendu ce Silvertown pendant son séjour à Zurich ?

— A la Résidence, très probablement.

Elle m’explique qu’il s’agit d’une luxueuse maison de maître du quartier huppé de Zurich où leur compagnie héberge les clients de marque. Cela fait partie du standinge de l’A.B.C.

J’en inscris également l’adresse, et puis bon, ça suffit comme ça, on moule un moment le turbin pour penser aux choses de la chair. Je lui explique que ma chambre du Kratzmela Hotel est très coquette, avec un lit à baldaquin et vue sur le lac ; salle de bains en marbre noir, robinetterie dorée que ça représente des dauphins ; pour te donner une idée du luxe ! J’ajoute qu’elle comporte un réfrigérateur bourré de champagne. Et que moi, d’après ce que je prévois, je compte bien en écluser une demi-bouteille en me servant de son frifri comme coupe. Là, d’entrée, ça la laisse rêveuse, Anita, pareil langage. Elle comprend qu’elle est tombée sur un garçon qui ne tire pas son coup à la papa, mais qui sait créer les rarissimes ambiances. Son glandu des voies respiratoires, elle saura dans une plombe que c’était de la pure gnognotte. Du paltoquet d’alcôve. Un besogneux de la brosse !

Le gratin de pâtes est une splendeur. Le patron qui nous a à la chouette exige qu’on goûte à sa grappa pour finir. Bon, on trempe nos lèvres dans le godet, pas le contrarier.

En route, Bébert ! J’ai des émois qui me tiraillent le calcif, donnent de la raideur à ma démarche. Mais en Suisse alémanique, ça passe inaperçu. Malgré cette bandouillerie préalable, je pense fort à mon pauvre Jérémie. Va-t-il s’en sortir, le grand bougre ? De toute manière, j’aurai la peau de son agresseur. Le fait qu’il se fût trouvé à la ferme de l’oncle Tom prouve que, lors de la première opération chez le vieux, les gredins n’ont pas découvert ce qu’ils cherchaient puisqu’ils sont revenus sur les lieux de leur forfait.

— A quoi pensez-vous, Antoine ? gazouille Anita.

— A nous deux, ma tendresse, mens-je précipitamment.

— Vous avez failli à votre promesse, déclare l’extra-belle.

— Moi ?

— Ne deviez-vous pas me raconter votre enquête ?

— Nous aurons tout le temps « après », déclaré-je.

Et j’enserre sa taille d’un bras invincible.

Elle apprécie terriblement le gag du champagne. Faut dire que c’est plaisant. Seule fausse note : celui dont j’use est bouchonné ; mais quoi, à la guerre comme à la guerre, non ? La recette, je l’ai lue dans une revue, y a lulure. Me rappelle pas si c’était dans Le Pèlerin ou Le Chasseur français. Elle nécessite une certaine agilité de la partenaire puisqu’elle doit faire l’arbre fourchu. Quand elle a bien trouvé son équilibre, tu lui aménages bien la case trésor et tu verses le champagne autant qu’elle est capable d’en contenir. Après quoi, tu bois. En principe, un quart de Pommery suffit. Mais tout dépend de la dadame. Il est évident que si tu entendais pratiquer cette figure amoureuse avec Berthe, il te faudrait un magnum, voire un jéroboam.