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Il a un beau rire paillard et lisse sa moustache avant de la faire « rebiquer » entre pouce et index.

— Monsieur le comte, revenons à Ron Silvertown. Durant son séjour ici, avez-vous eu l’occasion de constater un incident quelconque à son sujet ?

Mon interlocuteur croise ses bras hauts sous son menton et passe une tranche de passé en revue.

— Qu’entendez-vous par incident ?

— A-t-il reçu des visites qui l’auraient contrarié ? Se serait-il plaint qu’on lui eût dérobé quelque chose ?

Bellazzezzeta acquiesce au fur et à mesure j’exprime.

— Si fait, si fait, si fait, mon bon !

Mon cœur exécute un double Nelson d’allégresse. Enfin ! Je touche à l’obus, comme disait un artilleur.

— Je vous écoute, comte, ne me cachez rien, parlez ! Parlez ! Vous vous plaignez de n’être plus écouté ? Dites-vous que jamais deux oreilles n’auront été à ce point à votre disposition.

Le noble majordome me donne une tape affectueuse sur la joue.

— Cher petit ! murmure-t-il. Comme vous êtes psychologue ! Il me revient, qu’au cours de cet été 1973, une donzelle soit arrivée dans cette maison en vitupérant. Une Française, ne vous en déplaise. Il faisait une chaleur à périr, assez rare dans ce pays pluvieux. La houri a fait le siège de la maison. Elle voulait absolument parler à Silvertown « pour une affaire grave », assurait-elle. On aurait pu penser que mon hôte l’avait engrossée et qu’elle venait demander réparation.

— Silvertown l’a vue ?

— Après qu’elle l’eut attendu plusieurs heures. Il l’a reçue dans ses appartements privés, au premier étage. L’entrevue a été brève car il l’a éconduite. La pécore hurlait des choses malsonnantes. Mais elle a fini par s’en aller.

— C’est tout ?

— Que non point. Figurez-vous qu’elle est revenue à la charge le lendemain. En la trouvant sur le pas de la porte, je m’apprêtais à lui refuser l’entrée lorsque Ron Silvertown est intervenu depuis la galerie pour me crier de la faire monter. Cette fois-là, leur conversation a duré près d’une heure. En partant, la fille paraissait satisfaite et riait sous cape. Je connais les gens, commissaire, je sais détecter leurs sentiments intérieurs même s’ils ne les expriment pas. Ainsi, je vois très clairement que je vous comble d’aise présentement, vrai ou faux ?

— Très juste, monsieur Bellazzezzeta. Je suinte de satisfaction. Si ma chère mère ne s’était pas saignée aux quatre veines pour m’assurer un semblant d’éducation, il serait à craindre que j’urinasse sur cette belle moquette non encore fauchée.

Il rit.

— Dieu a des gestes ! m’assure le doux vieillard. M’adresser un garçon comme vous en pleine nuit représente pour moi une marque de Sa clémence. Je me sentais si seul, ce soir. Nous devrions fêter la chose au champagne, mon bon. J’en ai toujours au frais pour des arrivées imprévues. Me feriez-vous l’amitié de trinquer ?

— Ce serait un grand honneur pour moi, comte.

Il se lève et va décrocher un tubophone intérieur. Cela sonne longuement. Puis une voix ensommeillée que je perçois vaguement demande ce qu’on désire.

— Apportez du champagne et deux flûtes au salon orange, Graziella, ordonne le comte. Inutile de vous mettre en tenue, car je suis avec un ami.

— Un bijou, m’annonce-t-il. Une Tessinoise dont le papa devait être allemand car elle est blonde comme un champ de blé. Ce Tessin subit de plus en plus une invasion teutonne qui, pour être pacifique, n’en est pas moins forte. Le Tudesque est rose, mais il aime le soleil, aussi les rues de Lugano sont-elles peuplées de porcins.

— La grosse fille qui harcelait Silvertown a-t-elle réapparu ? reviens-je à mes moutons-je.

— Jamais.

— Lorsqu’il y a eu des éclats de voix, au cours de la première visite, avez-vous perçu des phrases, voire des mots ?

Il réfléchit.

— Plus ou moins. L’Américain parlait de chantage. Il criait qu’il n’était pas un pigeon…

— Et lors du deuxième entretien ?

— Rien n’a filtré de ses appartements.

— La visiteuse tenait-elle un paquet à la main en partant ?

— Non, mais elle était munie d’un grand sac en arrivant.

— Quelle formidable mémoire, comte Bellazzezzeta ! Un homme qui se souvient des moindres détails d’épisodes sans portée pour lui est un homme qui bande !

— Oui, n’est-ce pas ?

— Vous pouvez en être certain. Le sexe et la mémoire sont des amis intimes. Autre chose encore, concernant Silvertown ?

— Oui. Un certain temps après l’épisode de la donzelle française, il s’en est produit un autre.

— Le vol ?

— Comment le savez-vous ?

— Pourquoi croyez-vous que je suis ici ?

Il aime cette légère joute où l’esprit reste en filigrane. Nous sommes comme deux vieux amis entretenant leur forme mentale par un peu de footing et qui trottent côte à côte en survêtement dans l’allée d’un sous-bois.

— Eh bien oui, le vol, mon cher. Le vol ! Celui d’une statuette gothique que Ron Silvertown plaçait sur la cheminée de sa chambre et à laquelle il tenait comme à ses yeux. Elle ne représentait pas un personnage religieux, du moins je ne le pense pas, contrairement aux statuettes de cette époque ; mais un notable en long manteau à plis, avec un visage affreux. J’ignore sa valeur, mais si vous aviez vu dans quel état sa disparition a mis l’Américain ! A croire qu’il allait devenir fou ! Il courait dans toute la maison en hurlant. Il trépignait, cassait les bibelots, fendait les portes en les claquant trop fort.

— On a prévenu la police ?

— Il n’a pas voulu. Toutefois, quelques jours plus tard, des hommes sont arrivés, qui se faisaient passer pour journalistes, mais qui devaient être en réalité des flics américains.

— Ceux-là mêmes qui ont eu un accident d’hélicoptère ?

Bellazzezzeta lève les bras.

— Pourquoi diantre êtes-vous venu, ami très cher ! Vous semblez en savoir davantage que moi.

— Je suis venu vérifier et compléter, comte.

Là-dessus (comme je dis souvent, mais la prochaine fois, je dirai « là-dessous ») la dénommée Graziella arrive avec un plateau chargé d’une boutanche de Dom Pérignon dans un seau à glace et de deux flûtes ciselées. Elle a suivi les directives de son chef et n’est vêtue que d’un slip transparent et d’un soutien-georges à cran d’arrêt. Totalement blonde ! Menue, presque gracile, mais avec néanmoins un petit fessier très convenable et deux pommes bien dures. De longs cheveux d’or, des yeux clairs, pas franchement rayonnant d’intelligence, mais quand elle les ferme pour crier « maman » en tessinois, où est l’importance, réponds ?

A son entrée, il s’établit un silence qui te permettrait d’entendre triquer un sénateur en séance. Il les choisit admirablement bien, les ancillaires, monsieur le comte.

La môme dispose les coupes, débouche péremptoirement le champagne, ce qui n’est pas à la portée de toutes les jeunes filles, nous sert.

— N’est-ce pas un enchantement ? me demande Bellazzezzeta en la désignant d’un hochement de tête.

— Pur ! conviens-je.

— Elle a une peau d’un satiné ! Touchez !

— Je n’ose, monsieur le comte !

— Je vous en prie ! Graziella, asseyez-vous sur les genoux de monsieur pour qu’il puisse vous caresser à son aise.

Docile, elle vient se percher. Auparavant, elle a dégoupillé le mécanisme de son soutien-gorge et me voilà avec ses fruits de printemps à portée de nez, de bouche, de joue et pas loin du reste. Dis, c’est un claque ou quoi, cette résidence de l’A.B.C. ? S’ils traitent tous leurs invités de cette manière, ça doit se bousculer au portillon, on prend des numéros d’appel pour venir crécher céans.