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J’admire la performance du Gros d’un œil blasé par mes propres prouesses avec la soubrette de La Résidence. Décidément, je donne fortement dans l’ancillaire ces temps-ci. Pour commencer, ma bonniche portugaise, et maintenant la petite femme de chambre (le terme convient au poil) tessinnoise. La loi des séries ! C’est kif les accidents de chemin de fer. Ensuite viendra le temps des duchesses. Je suis tout terrain, pas sectaire du paf pour un liard.

Je laisse ces monsieur-dame se dégorger la glandaille à l’extrême, s’essorer jusqu’à l’os de seiche, total, complet, triple zéro ! Vais-je me jeter sur la litière du Gros puisqu’il copule dans mon lit depuis deux plombes d’horloge ? Ça pue le fauve bien qu’il n’y ait point encore dormi. La bauge innettoyée.

Mains sous la nuque, jambes croisées (l’une battant je ne sais quelle mesure bizarre), je passe en revue les révélations du comte Bellazzezzeta. Drôle de gazier, ce Ron Silvertown. La disparition de sa statuette gothique qui l’a tellement catastrophé représentait quoi pour lui ? Beaucoup plus que la valeur vénale de l’objet, c’est certain. Et pourtant, le bougre de comte est formel : la statuette n’était pas truquée. Il s’y connaît, Bellazzezzeta, il a dû fourguer de quoi garnir dix musées, le vieux flambeur. Un objet d’art de cette nature n’a pas de mystère pour lui.

Alors ? Comment se fait-il que Silvertown ait rameuté des spécialistes de haut niveau pour récupérer son bout de bois ? Franchement, j’arrive pas à cohérer dans cette affure. Tonton, la grosse dondon d’Adélaïde, ils viennent branler quoi ou qui dans ce bigntz ?

Autre question brûlante : pourquoi, lors de sa première visite à l’Américain, la gagneuse de Moktar s’est-elle fait jeter comme une lavasse, et pourquoi a-t-elle eu droit à un entretien d’une heure le lendemain ? Entretien à la suite duquel elle marquait paraît-il une vive satisfaction ? Qu’est-ce qui motivait ce revirement dans le comportement de Silvertown ?

Sans cesser de gamberger, j’attire le biniou à moi, je compose le zéro zéro pour « sortir de l’hôtel » (c’est écrit en français sur la notice du grelot) et, d’un doigt automatique, je tabule le numéro que je veux.

Qui était l’homme aux béquilles et au pansement à la tête, le faux oncle de Silvertown ? Celui qui, presque à coup sûr, s’est emparé de la statuette ? Pourquoi les sbires du Ricain ont-ils affrété un hélico pour se rendre chez l’oncle Tom ? Pourquoi cette période de tranquillité de douze années avant qu’il se mette à chier des hallebardes pour le père Dugadin ? Pourquoi ?… Pourquoi ?… Pourquoi ?…

On décroche à l’autre bout. Une voix pâteuse grommeluche un « Ici Mathias, j’écoute » qui ressemble aux ébats de quinze canards dans la vase d’une mare. Cependant qu’un immense cri de triomphe éperdu me vient de la chambre voisine.

— Je jouiiiiiis !

— Moi aussi, ma biquette, répond paisiblement le Gros, mais c’est pas une raison pour pousser c’t’ gueulante : tu vas réveiller l’hôtel !

— J’écoute ! insiste le Rouquin à l’autre extrémité.

— Moi aussi, lui dis-je. Béru vient de faire reluire une superbe créature et c’était beau comme le contre-si de la Callas à sa grande époque.

— Oh ! c’est vous, monsieur le commissaire !

— A cette heure indue, qui voudrais-tu que ce soit ? Tu as de quoi écrire ?

— Presque.

— C’est-à-dire ?

— J’ai un stylo-bille mais pas de papier.

— Note sur les miches de ta grognasse, tu recopieras plus tard.

— Allez-y !

— Je veux la biographie complète, détaillée, en couleurs et en stéréo d’un sujet américain nommé Ron Silvertown. Seul point d’ancrage : en 1973, il était le grand manitou d’une société bancaire intitulée American Bank Company. A toi de jouer, il me faut un rapport d’au moins deux cents pages sur ce mec : sa vie, son œuvre, la couleur de ses slips.

— Je m’y colle dès demain.

— Non, mon drôlet : dès tout de suite, car il faut tenir compte du décalage horaire ; il n’est pas encore six heures du soir, à Nouille York. Je te rappellerai aux aurores. Salutations à madame et grosses bises aux dix-huit enfants.

Béru réapparaît, vanné par son exploit, le chinois en berne. Il a le regard comme deux fois la grande rosace de la cathédrale de Chartres. Il s’arrête dans l’encadrement de la porte, s’accagnarde au chambranle, s’incline sur le côté, lève la jambe gauche et balance un pet qui roule longuement sous le haut plaftard de la chambre.

— Qu’en termes galants ces choses-là sont dites ! ricané-je.

— Formalise-toi pas, mec. J’y ai expliqué à Nini (d’Anita) que la baise me produisait toujours c’ choc posthume. D’escrimer, ça affole les gaz qu’on coltine et c’est la grande décarrade. Tiens, en v’là un aut’ pour la reine d’Angleterre.

Nouvelle déflagration plus conséquente que la précédente.

— Ça, c’est la vraie partie de brosse, jubile l’Infâme. J’ te d’mande pardon d’avoir enfourché ta monture au pied levé, grand, mais ell’ m’ portait trop aux sens, cette grand-mère. Tu vas dire qu’ c’est d’ la confiture donnée à un cochon, vu qu’ ma pomme je m’embourbe aussi bien une fermière du Berry ou une garde-barrière à varices ; d’acc, pourtant, j’ pouvais pas laisser passer c’t’ occase, mec. Dedieu, la voyouse qu’a là ! Un vrai tire-joint ! J’ai cru qu’é l’allait m’arracher les bas morcifs ! Une frangine si tellement sensuelle, tu t’ recomptes les couilles après l’emplâtrage, t’assurer qu’ tout l’ monde sont là. Sacrée Nini ! Quel hangar à biroutes tu me fais, ma puce ! Mais où qu’é l’est ? Dans la salle de bains, se dédoloriser le gourmand ? Niii-Niiii ! A répond pus ! Nini, bordel ! Merde, é s’est tirée. Moui, la lourde est toute verte. Tu sais quoi, Tonio ? Elle s’ s’ra gênée de toi, c’te gosse. Fatal. Tu la commences, tu lui blablutionnes l’ bonheur du jour au Dom Pérignon, et puis c’est ma pomme qui se ramène pour la fourrée géante av’c sa trimarde chignole de cérémonie ; ça la gêne visse à visse d’ vos premiers contacts. Tu l’allumes et je l’éteins. Elle confusionne, comm’ une personne bien élevée qu’elle est.

— Refais ta valise, Gros, on s’emporte ! coupé-je sèchement.

— Où cela-t-il ?

— Grenoble. J’ai un couple de copains à qui je veux porter des croissants (d’autant que lui est arabe) pour leur petit déjeuner. Ça leur fera la surprise.

Béru regarde autour de lui.

— Ma valise, t’en as d’ bonnes, j’ l’ai pas défaite.

— Parfait.

— Et comment j’ l’aurais défaite, malin : j’en n’ai pas !

Trois heures moins dix carillonnent à un clocher qui avance de dix broquilles quand on arrive devant le troquet d’Adélaïde et de Moktar. Une nuit riche en lune ridiculise l’éclairage municipal, plutôt faiblard dans ce quartier.

Je m’approche du café et j’aperçois un avis collé avec du scotch sur la vitre, depuis l’extérieur. Une écriture tremblée annonce, en caractères bâton pauvrets :

« Fermé pour cause de décès. »

— Merde ! m’écrie-je en français-dans-le-texte.

Je suppute en rafale. L’un des deux « associés » a-t-il eu un pépin ? A moins que ce ne soit le père Salcons qui ait pété un pipe-line au milieu de ses vélos ?