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— On est marrons ! constate l’Epuisé, fataliste.

— Minute, on va vérifier s’ils crèchent dans l’immeuble.

J’ouvre la porte d’allée (comme on dit là-bas) et actionne ma petite torche électrique pour passer en revue les boîtes aux lettres du couloir. J’y trouve effectivement le blase de Salcons Adélaïde (2e). Tout est à son nom, à la grosse, probable que Moktar se coltine un casier judiciaire cacateux qui ne lui permet pas de frimer de la raison sociale.

On s’engage dans l’escadrin pour gagner le second. Une carte de visite mesquine punaisée à une lourde indique que Salcons Adélaïde pioge bien ici.

— Tu sonnes-t-il ? murmure l’Essoré.

— T’es encore plein d’idée reçues, Gros, soupiré-je en bricolant la serrure avec mon fameux sésame.

Déponner est tout juste une rubrique de la page « jeux vacances » d’un magazine. Cric-crac, merci d’être venu !

Le logis fouette le cradingue à tout-va. Un chimiste qui bosserait sur un nouveau déodorant devrait absolument procéder à des essais chez Adélaïde. Si le test est positif, il peut commercialiser son bidule la tête haute. Un bout de vestibule où deux portemanteaux accolés supportent des monceaux de hardes. L’odeur est désastreuse : cuisine refroidie, crasse, merde, urine, collection de Tampax usagés. Et d’autres remugles bien intenses, chavirants. Des trucs qui te filent la gerbe et le tournis.

Voilà la cuisine. Et puis, à côté, le salon-salle à manger, comme toujours. Toutes les maisons du monde sont édifiées sur le même principe, dans le fond, les palais comme les chaumières, ce qui prouve que tous les hommes, puissants ou misérables, ont les mêmes nécessités de vie.

On s’arrête pour esgourder. Silence complet.

— Y a personne, décrète Béru.

— Je ne sais pas, réponds-je.

Mon sept ou huitième sens qui m’informe d’une présence. Je « sens » quelqu’un. Le faisceau de ma loupiote-stylo (une invention de Mathias qu’il devrait faire breveter, s’il voulait gagner du flouze, ce con : batterie sédimentaire bouturée avec performant circonstanciel ; le faisceau est mince comme un rayon laser, mais d’une folle intensité ; il ne diffuse pas mais illumine littéralement, de manière ponctuelle, la zone réduite sur laquelle il se pose) se promène dans la pièce. Je découvre une table encombrée d’un foutoir hétéroclite, avec une partie plus dégagée où deux couverts sont dressés. Il y a du pain coupé dans une méchante corbeille, le moutardier, la salière, un flacon de piment extra-dry. Cayenne !

Mon faisceau peint la nuit. Il fait jaillir du noir des éléments de vie : une chaise, un placard bancal, une affiche célébrant les Seychelles, punaisée au mur. Coco-fesse en gros plan !

Son travelling panoramique continue de balayer, et brusquement, le faisceau se met à trembler parce que ma main tremble. Faut dire que ce qui vient de jaillir dans notre focal est assez terrifiant sur les bords.

Tu me connais à comble, hein ? Tu m’as lu jusqu’au poil des bras ! Tu sais tout de moi, comme moi je sais tout de toi, n’est-ce pas, chérie ? Tu te rappelles la fois que tu m’as accordé ta virginité et que je t’en ai refait une autre tout de suite après en t’attachant les poils du frifri : un de gauche, un de droite, etc. ? Ça crée des liens tous ces menus nœuds après l’introduction d’un gros, hein ? Bon, eh bien t’as beau me connaître, reconnaître, sur-connaître, tu devineras jamais ! Alors je t’y dis. Un homme basané, assis à califourchon sur une chaise tout contre le mur. L’homme, c’est mister Moktar, le julot d’Adélaïde Salcons. Sa tempe est appuyée contre la cloison à cause d’une flèche de métal qui lui traverse la tronche de part en part. On la lui a tirée à bout portant au moyen d’un fusil de pêche sous-marine. L’homme a les yeux ouverts, exorbités même, je peux te dire. Du sang, relativement peu, a coulé de la plaie et dégouliné sur son cou avant de disparaître sous ses vêtements.

Béru vient d’actionner le commutateur et la lumière conventionnelle nous rend compte de la scène. Du grand tragique ! Ce mec cloué comme un insecte dans une boîte d’entomologiste fait peur. Je note qu’une autre flèche est fichée dans sa cuisse. Je suppose que ça a été le coup de semonce destiné à le neutraliser d’entrée de jeu.

C’est aussi ton avis ? Ah ! bon. Tu le savais déjà ? Hein ? Parce que t’as lu le début de la scène du meurtre ? T’as de la chance d’être lecteur. Moi, je suis que l’auteur, comprends-tu ?

— Il ne perd pas de temps ! murmuré-je.

— Qui cela ? demande Patapouf.

— Le zig qui a planté Jérémie.

— Tu croives que c’est lui ?

— Si ce n’est toi, c’est donc son frère. Le type ou son équipe progressent. Ils vont plus vite que moi !

Je me dirige vers la pièce voisine : la chambre à coucher du couple. Le lieu où le désordre culmine. Le linge sale est empilé de partout, sur les chaises, la commode, le sol, même !

La grosse Adélaïde gît sur son lit, à plat ventre, sa robe retroussée jusqu’à la taille. Son énorme dargeot est devenu blafard dans la mort. Une mare brune s’étale sous son bas-ventre et ses grosses fesses sont sanglantes. Je m’approche de la femme, le cœur soulevé de dégoût, cherchant la cause de sa fin. Un cri m’échappe. Pourtant moi, hein ? Ame trempée, merde ! Coutellerie de Thiers ! Pas froid aux yeux, pas plus qu’aux claouis. Loin d’être obsolète, l’Antonio.

Mais devant ce que je vois !…

La pointe d’une flèche sort du dos de la vachasse, entre deux côtes. L’assassin l’a fait mettre à genoux sur son lit et lui a enquillé le canon de son fusil dans la moniche. Un sadique ! Puis il a tiré. Le harpon a déchiré tout l’intérieur de la malheureuse avant de réapparaître sous son omoplate gauche (ou droite, si t’es du Front National).

Je commente pour Béru. Alors il blêmit, Pépère. Y a une larme qui perle à ses cils de cochon. Il porte sa patte à sa hure. D’un ton brisé, il murmure :

— Faut être le dernier des derniers ! Il aurait pu la chibrer au lieu de lu jouer c’ tour-là ! Promets-moi un truc, Sana : on va l’ retrouver, pas vrai ?

— Oui, réponds-je derrière mes dents serrées, oui, Gros : on va le retrouver.

— Et alors on lui f’ra sa fête, tu m’ promets ?

— Je te le jure, mon vieux pote !

— Faut qu’y va déguster, c’t’ ordure !

— On lui fera son gala d’adieu, promis.

Et j’étends la main au-dessus du corps d’Adélaïde pour ratifier le serment.

On se rend dans la cuistance pour un coup d’alcool. Béru, en véritable sanglier doué pour la chasse aux truffes, déniche une bouteille de scotch. Il la débouche et me la propose. Glou glou ! J’en entifle vingt centilitres sans respirer. Le Gros vide le reste.

Tandis qu’il s’arrose la voie royale, je réfléchis en stéréophonie.

— Curieux, l’écriteau sur la porte du bistrot, m’entends-je dire.

Je retourne fureter dans la chambre et j’y déniche ce que j’escomptais : un bloc correspondance et un stylo feutre.

— Il a fait écrire ça par la grosse, après avoir scrafé son mecton, hein ? murmure Béru qui m’a filé le train.

— Probable, oui. Il a voulu gagner du temps avant qu’on ne découvre le double meurtre.

— Y n’ recule d’vant rien, ce cancrelat ! J’espère qu’ les copains d’ Savoie auront parvenu à l’ sauter.

— En tout cas, soliloqué-je, il a trouvé ce qu’il cherchait.

— Biscotte ?

— Rien n’a été fouillé.

— T’as pas vu ce bordel ?

— Du désordre, mais pas une mise à sac, Gros. Utilisant les très grands moyens, il a obligé Adélaïde à se mettre à table. Elle lui a donné satisfaction, j’en suis convaincu. Il l’a butée ensuite pour neutraliser un témoin. Dans son cas, il y était contraint.