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J’ai stoppé dans un chemin bordé de grilles auxquelles s’accrochent des glycines odorantes que la nuit exalte. L’instant d’en savoir un tantisoit plus est venu.

— « Il » est là ? fais-je au médecin.

Acquiescement de Vagiturne.

— Seul ?

Rebelote.

— Est-il logique que vous veniez le voir ?

— Pour lui apporter du ravitaillement, balbutie le bonhomme, mais c’était prévu pour demain seulement.

Je vais prendre mon sac de voyage dans le coffre.

— Ote-lui ses menottes, Gros !

Sa Majesté obéit.

— Allez-y ! docteur. Vous êtes convenus d’un code pour frapper ?

— Je dois cogner six coups à la porte de derrière.

— Faites-le !

J’adresse un geste péremptoire à mon pote et nous courons sur la pelouse intondue en direction d’un petit perron de quatre marches menant à une porte vitrée. Avant de nous embusquer, de part et d’autre de la lourde, je chuchote au Mastar :

— Pas question de chiquer les comiques, Gros. Ce mec, n’oublie pas que c’est de la dynamite !

— J’oublille pas ! riposte avec une certaine emphase mon valeureux compagnon.

Et alors, bon, toujours flageolant, le médecin se pointe, mon sac de cuir en main pour faire vrai. A pas de plus en plus mous il gravit les degrés envahis par une mousse de mauvais aloi. Toc ! toc ! toc ! toc ! toc ! toc !

Le bruit de ses phalanges contre la vitre déchaussée retentit dans le silence nocturne.

Et puis rien. Un long instant s’écroule.

Le propriétaire de la villa remet ça.

Toujours rien.

Indécis, le toubib se retourne comme s’il attendait de nouvelles instructions de ma part. Mais moi, placardé derrière des troènes, je ne bronche pas. On est en train de chasser le renard. Ce William de Sotto, j’en mettrais ta bite à couper, est bien trop madré pour déponner de but en blanc. Terré dans la masure, il observe. Pourvu que ce con de médecin pourri ne me parle pas ! Déjà, dans cette bizarre posture d’attente, il donne à penser qu’il n’est pas venu seulabre, le nœud !

Comme je ne me manifeste pas d’un iota, il frappe pour la troisième fois.

Je commence à me demander si le fauve n’a pas pris la tangente avant notre arrivée ! Mais mon célèbre quarante-cinquième sens m’avertit de sa présence. Je le hume, comme un chien détecte des rôdeurs invisibles.

Seulement quoi ? On ne va pas se faire passer un disque de Placido Domingo en attendant qu’il se manifeste ! Note que je l’adore dans « Otez l’Eau », le Placido, et encore mieux dans : « Elle me fait pouet pouet », mais y a temps pour tout, non ?

La situation commence à nous plumer la nervouze, les trois. Pour couronner, voilà mon Béru qui loufe intense, comme en période de gibier dans les restaurants. Le pet à épisode, quasiment harmonieux, avec des modulations à n’en plus finir, des accords plaqués, des mouvements andante.

Un autre bruit lui succède. Un léger sifflement ponctué d’un choc sourd, puis d’un cri. Ensuite silence. Puis un gargouillis étrange retentit, qui fait songer à un gargarisme d’enfant.

Terré dans ma plate-bande en friche, je me pose une série de questions dont je vais tenter de te donner une vague idée en usant des signes de ponctuation suivants :

«  ?????!?????!?????!?????! etc. »

Tu m’as compris, tu m’as ? Jockey !

La nuit reste sereine malgré le gargouillis déplaisant.

Un deuxième sifflement se produit encore, avec, en fin de course, le même choc. Cette fois pas de cri, pas de gargouillis, mais le docteur Vagiturne tombe du perron à la renverse et demeure inanimé sur les opus incertum de l’allée.

Cette fois-ci, j’ai pigé. Tout ! C’est écrit en lettres de néon dans l’obscurité du parc. Je sais pourquoi de Sotto a exigé de son hôte qu’il lui rende visite par la porte de derrière. C’est parce que celle-ci se trouve à dix mètres à peine d’une petite resserre de jardinier. Et moi, Antonio, de te parier une carrière de marbre contre tes calculs rénaux que le fugitif a élu domicile dans la resserre et non dans la villa, manière de pouvoir filer en cas de danger.

Depuis la guitoune, il observe les allées et venues, piges-tu ? On le croit dans la maison, mais il se trouve à l’écart d’icelle. Notre venue ne l’a pas pris au dépourvu. Peut-être ne nous a-t-il pas vus nous pointer, le Gravos et moi, puisque nous marchions dans l’ombre, sur la pelouse. Seulement quand le toubib s’est annoncé et a frappé contre la vitre, il aura tout de suite aperçu le Gros placardé contre le perron, Béru se tenant en effet du côté de la resserre. Donc, c’est Grosse Pomme qui émet ce gargouillis ! De Sotto a-t-il défouraillé sur les deux hommes avec un feu équipé d’un silencieux ? Je ne le pense pas. Je connais trop bien le bruit d’un pistolet à silencieux. Là, il s’agit d’autre chose. Je crois deviner qu’il a neutralisé mes compagnons au poignard. Un lanceur de première !

Il faut que je porte secours au Gros ! Quickly ! Seulement si je bronche, il va me liquider itou. Mon sentiment est qu’il ignore ma présence. Il doit penser que Vagiturne s’est apporté avec un homme de main dans l’intention de le liquider. Il se dit que si la police avait donné l’assaut, il aurait eu droit à l’opération d’envergure : quartier bouclé, projos, tireurs d’élite plein les frondaisons.

Me voilà confronté à un cas de conscience terrifiant. Voler vers les victimes, ou bien me terrer et attendre que le gars se manifeste. Car il reste terré, le misérable. Il veut s’assurer que personne d’autre ne faisait partie de la sauterie. Paré pour une troisième « intervention », il guette ! Alors moi, la rage au cœur, le sang en furie, les nerfs branchés sur la haute tension, je décide d’attendre. De l’attendre ! Silencieusement, je dégage le camarade Tu-Tues de son holster (équipement gracieusement mis à ma dispose par mes collègues lyonnais). Du pouce, je libère le cran de sûreté. Me reste plus qu’à prier pour Alexandre-Benoît et à dominer l’ankylose si je veux lui faire régler ses forfaits, le salaud !

Je continue de percevoir le râle de Béru de l’autre côté des marches. Signe qu’il vit encore, lui, ce qui ne doit plus être le cas du docteur, foudroyé au pied du perron. J’ai beau tendre l’oreille à l’extrême, je ne perçois que la plainte lancinante de mon ami et le doux froissement des branchages sur lesquels vagabonde la brise ; plus, de temps à autre, la complainte d’un chat-huant.

Les minutes se tissent, interminables. Le lanceur de navajas est-il parti ? J’ai des doutes. Pourtant je me dis que j’aurais perçu son pas sur les brindilles qui jonchent le sous-bois et s’y accumulent d’année en année.

Je réprime un tressaillement en voyant arriver une pièce de bois mort sur le perron. Celle-ci heurte la porte vitrée, produisant un boucan du diable. Ouf ! Il est toujours là, convaincu qu’il n’y avait personne d’autre que Béru, mais voulant tester néanmoins le calme ambiant.

Rien ne bronche. Du temps, encore, toujours… Ce temps qui nous entraîne si vite à l’abîme et qui nous paraît interminable parfois, cependant. Je ne sens plus mes jambes vaincues par l’immobilité. Des milliards de sales fourmis les investissent, mais je resterai immobile, car au plus léger frémissement de ma part, « il » interviendrait.

« Allons, l’exhorté-je mentalement, vas-y, fumier ! Montre-toi un peu. Tu flanches, hein ? Ta prudence s’apprivoise ! C’est fou, l’optimisme, chez l’homme : il finit toujours par prendre le dessus. Tu hésites encore, sachant bien que choisir est un renoncement, n’importe ton choix. Viens, l’ami ! Approche ! L’air est léger, le silence capiteux, la nuit douce. Avance-toi, fleur de merde ! »