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Je balance tout ce dont je dispose en fait d’ondes péremptoires. Ma volonté est si intense qu’elle doit fatalement investir la sienne.

« Plus rien ne bouge, l’ami. Deux cadavres gisent là, au clair de lune ; car Bérurier a cessé de râler. Tu contrôles absolument la situation. Viens regarder ton tableau de chasse ! »

Et alors, les branchages remuent, les fougères s’écartent. L’homme paraît ; il m’obéit ! Je le trouve plus grand que le duc de Guise que j’ai bien connu. Beau. Des cheveux blonds frisés serré, presque crépus, accaparent la clarté lunaire qui le nimbe d’un halo (ne coupez pas !) irréel.

J’attends encore, me réfrénant à mort. Il tient un fusil lance-harpon calé sous son bras. Décidément, c’est son arme de choc à ce tueur sauvage ! On dirait qu’il répugne à employer les armes à feu. Pour lui, tuer c’est enfoncer de la ferraille dans de la chair.

Tel qu’il est à présent, debout devant le cadavre du doc, je pourrais le farcir de plomb en quatre dixièmes de seconde. Lui vider le chargeur dans la poitrine. Tir groupé : rrrran ! Et son guignol explose ! Mais l’Antonio, tu connais sa sensibilité de jeune fille en fleur ? Il enrage, il endésespoire, il envieillessennemise, il promet crime et châtiment, mais à la fin de l’envoi, il touche pas. Renâcle ! Il regarde l’homme odieux en se disant que c’est un homme. Qu’il a fallu une somme inouïe de hasards pour qu’il soit là : qu’il se compose de milliards d’éléments fabuleux rassemblés par la nature. Tout ça… Et pourtant je suis grelottant de haine, sous ma philosophie de somnambule.

Je vise. J’ai dû faire un mouvement con, au moment où je presse la détente, je me morfle un choc à hurler dans la poitrine. J’ai le souffle absent, des sueurs vertes et glacées me sortent instantanément des ports de l’appeau[11]. J’aime ma fesse[12].

Je ne perds pas conscience. Mais quand tu ne respires plus, hein ? Ferme la bouche, pince-toi le nez et compte jusqu’à dix mille, tu comprendras !

J’essaie de compenser. Ne trouve pas de solution. J’ai beau faire comme si je refusais de respirer, mes soufflets voraces sont en manque et réclament. Quelle chiasse !

Mes yeux fous aperçoivent le tueur agenouillé auprès du médecin. Non pour le fouiller ou l’examiner, mais parce que ma bastos l’a touché et que l’impact l’a mis au sol. J’avais dû bien viser car son épaule gauche m’a l’air naze. Y a un trohu large comme un coquetier pour œuf d’autruche dans son veston, un peu au-dessous de l’omoplate. L’homme fait un effort et retrouve la position verticale, qui n’est certes pas idéale, mais qui sied si parfaitement aux vivants.

Je halète, preuve qu’un peu d’oxygène se faufile dans mes éponges. Allons, l’Antoine, pense à maman ! Tu ne vas pas laisser ce cancrelat blond te ravir à elle !

J’ai la force de soulever mon pétard. Cette fois, je le prends plein cadre, le soi-disant de Sotto. Que justement il s’avance vers moi, tenant son fusil par le bout du canon.

« Braoum oum oum Oum ! » fait mon soufflant dans le parc. La première fois que j’ai tiré, je n’ai pas perçu l’écho tellement j’étais commotionné.

Le tueur a bondi en arrière. Un instant, je distingue son visage arrosé par l’astre des nuits, comme l’écrivaient mes camarades Alfred[13]. En fait, ce beau garçon a une frime de reptile. Ma deuxième praline s’est fichée dans sa hanche. Il porte sa main droite à sa ceinture, pour palper sa seconde blessure, crois-tu ? Non : pour y prendre un revolver à barillet nickelé avec un petit groin de bull-dog méchant.

Je m’allonge sur la terre humide, le gazon est mangé par une mousse vénéneuse. Des touffes d’orties cinglent mon visage. Ça fait mal, mais je respire. Je porte une main à ma poitrine. La flèche y est plantée, seulement, tu vas rire (ris tout seul, moi je ne peux pas pour l’instant) : mon ange gardien, qui n’est pas un lavedu, s’est arrangé pour qu’elle transperce mon portefeuille et seule sa méchante pointe en forme de hameçon s’est enfoncée dans mon téton gauche. L’impact a été d’une telle violence qu’il m’a coupé la respirance. Cela dit, j’ai tout de même quelques centimètres d’acier coincé entre deux côtes et l’émerillon me taquine laidement.

Je te raconte tout ce bigntz, mais pendant ce temps, de Sotto ne perd pas son temps et défouraille dans mon massif de troènes. Il composte comme pour figurer le 5 d’un dé à jouer : un coup au centre et quatre autres en hommage aux points cardinaux.

Si je n’étais pas allongé, j’écoperais de ses olives. L’une d’elles, d’ailleurs cigogne la pointe de ma godasse.

Un clic ! m’annonce que son barillet est vide. A mézigue, donc, pour le ballet final. Cette garcerie de flèche bloque mes mouvements. Pas mèche de chiquer les fringants avec cet acier fiché dans le burlingue. Bon, ben, on va s’arranger autrement, Armand !

Je bande mon corps (qui ne rechigne jamais à accomplir ce genre de performance). Je prends appui sur mon occiput, histoire de relever la tête et de pouvoir regarder en arrière. Buffalo Bill !

« Braoum oum oum oum ! » « Braoum oum oum oum ! » « Braoum oum oum oum ! » « Braoum oum oum oum ! » Tout le potage ! Posément. Grandes manœuvres de printemps.

L’homme a valdingué en arrière. J’ai vu gicler du sang de sa personne. De sa gueule, peut-être bien ? Et d’ailleurs, aussi. De partout, quoi ! Passoire !

Maintenant, va falloir continuer à exister, les gars ! Pas fastoche après une telle nuit. Me mettre sur mon séant, avec la flèche qui me pendouille sur le devant en arrachant ma bidoche à cause de son poids, voilà qui implique un colossal effort.

J’y parviens pourtant. Puissance de la volonté. Première pause : assis. Deuxième : debout ! Au secours, maman ! Voilà ! J’ai l’air finaud, moi, avec ce truc planté dans la poitrine. Je ressemble à un cadran solaire ! Que faire ? L’arracher ? Trop dangereux. Ça nécessite une intervention. J’ai pas envie de me dépoter une livre de barbaque ! Alors, je soutiens la flèche de la main gauche et me mets en marche.

Le doc a été planté salement : en pleine gorge. Carotide sectionnée. Le couteau a été lancé avec une telle violence qu’il a la tronche à demi décollée. Pour lui, c’est finitos, en plein. Le cœur grondant, je m’approche de Béru. Il se tient tout bizarrement, l’Enflure. Tu croirais une pauvresse sous le porche d’une église, kif les gravures du siècle dernier dans La Petite Illustration.

Il respire encore, par légères saccades. Sa tête est appuyée contre le perron de ciment. Lui, il a morflé le ya entre les épaules. Il paraît si démuni, si plus rien, mon gros Béru, que j’en ai l’âme recroquevillée comme tes panards dans des pompes vernies trop petites de trois pointures. Il ressemble à un énorme petit garçon abandonné.

— Tu m’entends, Alexandre-Benoît ?

Un léger râle me répond.

— Tiens bon, mon mec, je vais appeler du secours. Economise-toi à bloc !

Je regarde alentour pour voir dans quel état se trouve de Sotto le tueur. Je ne découvre qu’une flaque de sang. Et puis une traînée rouge s’en allant en direction de la grille. Eh, dis voir, c’est Raspoutine, ce type ! Faut quoi pour le mettre aux absents ? Lui tirer dessus à bout portant avec un missile (dominicil) terre-terre ?

J’aimerais filer sa piste. Il n’a pu aller loin. Truffé de plomb comme le voici, il doit agoniser un peu plus loin, dans les fougères fricheuses.

Du secours ! Vite ! J’en ai promis à Bérurier. Moi-même j’en ai grand besoin. Alors je me rabats sur la villa. Elle a fatalement le bigophone : un médecin, tu penses ! Je place péniblement un nouveau chargeur dans mon casse-noix et je craque la serrure de deux balles. Pas le temps de m’atteler au jeu des sept erreurs avec mon sésame. Je ne fais plus dans la dentelle, le temps presse !

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11

San-A. veut parler des pores de la peau. Faut-il que la commotion ait été violente pour qu’il commette une telle confusion !

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12

Là, il a voulu dire « Je m’affaisse » ; décidément, on ne compte plus ses fautes de carre verbales.

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13

San-A. veut parler des duettistes Musset-Vigny, sans doute.