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Les gendarmes nationaux se dressent à notre arrivée, reconnaissant d’instinct la poulaille en nous. Salut rapide autant que militaire. Poignées de main. Hapique leur dit qu’il est l’officier de police Hapique et que je suis le commissaire San-Tantonio. Les motards se déclarent « enchantés », ce qui ne m’empêche pas de leur gerber en éventail sur les bottes.

— Le commissaire vient de subir une opération, m’excuse Hapique.

Ils répondent rien et vont se torchonner les tartines dans une touffe de groseilliers sauvages.

Je m’approche de ma tire. La porte avant gauche n’est pas complètement fermée et le petit signal d’alerte indiquant le non-verrouillage des lourdes palpite comme un perdu.

Ma doué ! Ce dégât. Du raisin partout ! Une flaque d’un demi-litron dans le creux du siège gainé de cuir. D’épaisses traînées contre le dossier et l’intérieur de la lourde. Du sang sur le volant poisseux. Du sang sur la moquette. Des éclaboussures de sang après les vitres ! Comment un homme exsangue a-t-il pu conduire ce barlu qui n’est pas une bicyclette à driver ?

Je constate une trace rouge sur le goudron du parking. Elle part du siège conducteur de la Maserati et se poursuit, presque sans intermittence sur trois ou quatre mètres. Là, une flaque. Puis plus rien.

— Il a abandonné ma bagnole pour braquer un automobiliste qui s’était arrêté pour pisser, fais-je. C’est écrit en rouge sur le sol.

L’un des motards, le gros, s’exclame :

— Parce que c’est votre voiture, là, commissaire ?

— Oui, brigadier, vous voulez voir la carte grise ?

Il hausse les épaules.

— Dites donc, vous êtes bien payés à Paris.

Je lui souris ineffable.

— Fortune personnelle, mon cher. Mon papa était dans les aciéries et ma mère est une fille Kennedy.

Epuisé, chavirant, le regard brouillé comme des œufs aux truffes, je vais m’affaler sur le banc qu’occupaient nos pandores.

— J’ai une topette de marc de Bourgogne dans mes fontes, propose le brigadier, bon mec.

— Envoyez ! je souscris un abonnement.

Hapique au turbin, il se met à ressembler à M. la Souris. Tu le verrais agenouillé à terre pour examiner le plancher de ma guinde ! Un poème ! Il ne laisse rien de côté. Le tout vrai besogneux formé à l’école de Sherlock Holmes. Au bout d’un moment, il passe à l’examen des sièges et alors c’est son gros cul d’empereur romain de la décadence qui nous regarde.

Je me suis entiflé une rasade de charretier dans le corgnif et voilà que je surmonte ma défaillance.

Je tends sa flasque au motard.

Il la refuse d’un geste.

— Gardez-la, commissaire ! Vous en aurez encore besoin, tel que je vous vois.

— Votre trousse de secours va être vide, objecté-je.

Il hausse ses épaules de matelassier.

— J’en ai une autre.

— Vous aviez enregistré l’avis de recherche de ma voiture ?

— Figurez-vous que non. Nous sommes passés une première fois par ici, ce matin, et l’auto se trouvait là. Une bagnole de cette classe, ça se remarque. Nous avons ensuite fait notre circuit de contrôle. Dans l’après-midi, nous sommes repassés. Du coup j’ai pigé que c’était anormal. J’ai mis pied à terre et vu tout ce sang…

Une grimace convulse mon physique de séducteur de bonniches ; ce n’est pas la douleur qui le motive, mais la déconvenue.

Il s’est pris une fumante avance, le soi-disant de Sotto. Au moins huit plombes !

Je pose mon bras sur le dossier du banc, puis ma tronche lourde sur mon bras. Dans l’obscurité de ma manche, je tente de voir clair. L’escarmouche de la nuit déloge le tueur de sa planque. Il saute dans ma bagnole pour s’enfuir. Logiquement, il devrait prendre la direction de Paris, son unique souci, selon toute évidence, étant de regagner l’Amérique. Seulement, non : il se lance sur cette autoroute des Alpes. Pour aller où ? Retourner en Savoie dans la baraque de Tonton ? Ou pour gagner la Suisse proche afin d’y prendre un avion ?

De deux choses l’une : ou bien la grosse Adélaïde et son Moktar lui ont donné ce qu’il cherchait, et alors il a décidé de filer par la Suisse. Ou bien ils lui ont fourni seulement des indications pour lui permettre de récupérer « la chose » et il est allé la chercher à Saint-Joice-en-Valdingue.

Suisse ou Savoie ? Les deux sont voisines.

On aura bientôt la réponse à cette question. Grâce à l’automobiliste qu’il a contraint de le charger à son bord. S’il le tue avant de s’en séparer, on retrouvera son corps et sa bagnole. S’il lui fait grâce, le gars ira à la police. A moins que de Sotto ne le séquestre, évidemment. Mais son état d’homme traqué et grièvement blessé ne lui permet guère un tel luxe.

Hapique claque ma portière et me rejoint sur le banc.

— Rien trouvé, dit-il. Reste les empreintes. Je vais faire emmener votre voiture à notre garage pour que les experts puissent travailler dessus.

— Pendant qu’ils y seront, dites-leur de nettoyer le sang de ce salaud !

— Je n’y manquerai pas.

Il va à sa tire équipée du bigophone et virgule des instructions, puis revient s’asseoir à mon côté. Des Hollandais à la con stoppent. Une cargaison de blondinets aux yeux de lapin russe. Ce petit monde se rue vers les chiches sous la houlette de maman dodue, vachasse en plein : bourrelets, viande blanche, regard de bovidé triste.

Ces Bataves de merde ne s’occupent pas de nous. Tout juste qu’ils considèrent les deux motards avec curiosité.

Je m’enfile une rasade.

— Vous en voulez, Hapique ?

— Je ne bois pas d’alcool, commissaire, seulement du vin.

Un temps. Il murmure, indécis :

— Qu’est-ce qu’on fait ?

— Pour l’instant je réfléchis.

— Ah ! bon, fait-il, dérouté.

Il ne peut pas comprendre la gravité du moment, pas comprendre que mon sub est en pleine gestation et qu’il va, d’un instant à l’autre, accoucher d’une idée bathouze. Seulement, il ne faut pas bousculer Bébert. Le laisser accomplir sa lente dérive. Ça mûrit. Curieux bricolage mental. Je sens que c’est imminent. Comme on cherche un nom qui vous échappe et qui, tout à coup, déboule de votre pensarde au moment où l’on avait cessé de se triturer les méninges…

— Dites donc, Hapique…

— Commissaire ?

— Drôle de tueur, non ? Criblé de balles, deux litres de sang perdu, il continue son rodéo !

— Trompe-la-Mort.

— C’est une version démoniaque de Superman, hein ? Vous voulez bien alerter la police genevoise, et demander à nos braves zhomologues qu’ils surveillent l’aéroport de Cointrin et qu’ils enquêtent auprès des différents guichets pour voir si un gonzier répondant au signalement de notre tordu a pris un zinc, de préférence pour l’Amérique du Nord ?

Et voilà l’Hapique qui retourne à sa tire pour exécuter mes ordres. Jamais vécu un moment pareil. Moi, assis près des chiottes d’un parkinge d’autoroute, essayant de capter un rayon de soleil avec ma gueule refaite et filant des directives à un confrère tandis que deux motards se branlent les couennes à proximité, sans oser parler à voix haute. Je suis vaseux, avachi. J’ai la nausée latente. Mal dans tout le tronc ; juste mes branches sont épargnées.

Le mahomet est tiédasse. Je déteste le tiède. Le chaud, le froid, banco ! Mais le tiède, c’est ta queue qui pend et ta volonté en cale sèche.

— C’est fait, commissaire. Notez que le principal Monin avait lancé un avis de recherche ce matin, y compris sur Genève. Ils ont des gens sur place depuis six heures et ça n’a rien donné.

Les Hollandais repartent après que le dabe a recompté sa portée, pas oublier un lascar aux cagoinsses. Des mouches sont en train de se taper le sang de de Sotto. C’est jour de boudin pour ces dames.