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— L’agriculture, ça n’entre pas dans mes perspectives d’avenir, Gaston. Aussi ne lèverai-je pas le petit doigt pour essayer de cibler l’assassin de tonton. Fais ton boulot, mon grand, et tâche de ne pas trop forcer sur la mominette : les petits godets font les grands alcoolos.

Je biche le bras de m’man et l’oblige à presser le pas. Affolé, Bavochard recolle au peloton.

— Attends ! Il me semble que je t’ai vexé ?

— Il me semble aussi.

— Je disais ça en plaisantant.

— Je préfère tes calembours, ils sont cons mais pas méchants !

— Antoine ! On ne va pas se fâcher pour ça !

Je ralentis et le mate droit dans les carreaux.

— Si, dis-je. Faut jamais lésiner quand l’honneur est en jeu.

Ayant donc mis les pendules à l’heure, comme on dit puis de nos jours pour un oui et pour un non, je nous rembarque nach Paris, m’man et moi, dans ma belle tuture blanche qui, avec ma montre Pasha, constitue le principal de mon capital. Comme ce début d’été incite aux excès, j’opère un détour par Vézelay où l’Histoire et la bouffe sortent de terre. C’est à une heure avancée de la nuit que nous atteignons notre pavillon clodoaldien (de Saint-Cloud).

Maman, toujours inquiète, fonce à la chambre de Toinet, histoire de s’assurer qu’il est là, en bonne santé et dûment endormi. Rassurée, elle vient me rejoindre.

— Maria a été à la hauteur ! assure-t-elle.

— Parce qu’elle lui a fait la bouffe et l’a empêché de foutre le feu à la maison ? ricané-je.

Je suis justement en train de me colleter avec un message de notre Portugaise, laquelle maîtrise mal le français. Il y est dit très exactement ceci : Lo négro Blanco la pelé dos fous per ourgenté.

Ce qui, traduit de son charabia, signifierait que mon ami noir, M. Blanc, m’a demandé à deux reprises pour un motif urgent.

Mais, avant que d’aller plus loin, force m’est de te poser, ami lecteur, une insidieuse question. As-tu lu mon précédent ouvrage, œuvre d’une grande inspiration et animée d’un souffle puissant, que j’ai judicieusement intitulée La fête des paires ? Si c’est le cas, saute ce paragraphe qui te serait superflu. Sinon, laisse-moi te tirer les oreilles pour ta négligence et t’apprendre que, dans ledit bouquin, je fais incidemment la rencontre d’un brave balayeur sénégalais nommé Jérémie Blanc, père de famille nombreuse et époux comblé d’une dame qui s’appelle (à gâteau) Ramadé. Ledit M. Blanc, garçon athlétique, cocasse et intelligent, est devenu mon copain. Frappé par ses dispositions d’enquêteur, je l’ai fait entrer dans la police où il suit pour l’heure des cours d’instruction générale : exercices de tir, lecture des empreintes, rédaction de rapports, etc. Ses moniteurs ne tarissent pas d’horloges sur lui. Tous sont unanimes à penser que M. Blanc constitue une recrue, non pas de fatigue, mais de choix. Nota : sa venue parmi nous agace Bérurier que Jérémie abreuve des pires sarcasmes et qui se montre ulcéré par l’intérêt que je porte à ce nouveau venu.

Et à présent, ces choses essentielles étant dûment consignées en ces pages, poursuivons un récit qui ne laissera pas de te surprendre et t’entraînera très vite dans de folles péripéties, tu vas en avoir la preuve et le cœur net avant que le coq du clocher de Saint-Joice-en-Valdingue n’eût chanté trois fois.

Mon premier réflexe est de consulter ma tocante. Elle affirme trois heures dix du mat’ ! Comme je n’ai aucune raison de mettre en doute la parole d’une montre de ce prix-là, je décide de renvoyer à deux mains (et à demain) mon coup de turlu au noirpiot.

Bisou miauleur à Féloche et je go to bed.

Curieusement, nous n’avons pas parlé de l’oncle Tom pendant le retour, m’man et moi. Comme si, d’un commun accord, on trouvait le sujet gênant après mon algarade avec le commissaire Bavochard. Cela ressemble à de la pudeur. Dans le fond, il s’est montré gênant, tonton, en me cloquant son héritage « à condition que je démasque son meurtrier ». Le premier moment d’émotion passé, je me rends compte que tout ça exprime bien sa mentalité de grigou qui souffrait mille morts à nous régaler d’une omelette au lard et d’une salade. « Démasque mon assassin et t’auras mon magot ! » Donnant, donnant, en somme.

Moi, ce qui me turlupine, ou turluqueute, ou turluzobe, ou turlupafe, ou turluchibre (choisis et biffe ceux que tu refuses), c’est cette prévision funeste du vieux Dugadin. Il se gaffait qu’on allait déménager son extrait de naissance un jour. Donc, il n avait pas la conscience peinarde. Ou alors il savait des choses fatales pour sa santé. Et pourtant, le danger ne s’est pas pressé puisqu’on l’a zingué treize ans après qu’il eut prévu la chose sur son testament.

Que détenait-il de si important, l’oncle Tom, dans sa case de Saint-Joice-en-Valdingue ? Un objet, un document ou un secret ? Du pognon, des diams, des plans ? Ça paraît improbable de la part d’un vieux bouseux embastillé sur son petit territoire hérité de ses ancêtres, entre sa vache et sa chèvre, cultivant son lopin, confectionnant des tommes de Savoie (non pasteurisées) de façon artisanale. Il avait travaillé à la fruitière du pays, jadis, et y avait acquis un tour de main spécial pour confectionner ce bon vieux frometon moelleux, dont la croûte est pareille à de la peau d’éléphant. Il n’avait jamais quitté son bled, Thomas. Pour la guerre, peut-être. Sinon, c’était la foire de Chambéry, sa principale virouze annuelle. Et aussi d’aller regarder déferler le Tour de France quand il passait pas trop loin de chez lui. Comme il n’avait pas de bagnole, il utilisait son vieux Solex pétaradant qui fumait et crachait l’huile.

Moi, il me fait rudement chier, le bonhomme avec son testament à la con qui m’empêche d’agir. S’il s’était abstenu d’y inclure cette stupide clause, comment que j’allais me lancer sur le chantier de la guerre, parallèlement à mes collègues chambéryens. Hélas, maintenant il m’a coupé les ailes. Il croyait donc que tout s’achète ? Que tout le monde est à vendre ? Vieux pingre, va ! Cancrelat ! Il a bonne mine avec ses tripes à l’air, ses joues découpées et sa bite fendue en deux comme une banane épluchée. Ses (ou son) tortionnaire(s) ont-ils (ou a-t-il) trouvé ce qu’il(s) étai(en)t venu(s) chercher ? M’étonnerait que Bavochard et sa fine équipe trouent la nuit de ce mystère, comme l’a écrit si noblement M. l’abbé Soury dans le texte de présentation de sa célèbre Jouvence qui l’a fait élire à l’Académie française. Pas que je mette en doute la compétence de mes collègues savoyards, note bien, mais je sens que, dans cette affaire, il faut de l’inspiration, de la divination. Moi, j’ai connu le vieux. Certes, j’étais un momaque timide à l’époque, pourtant je savais déjà regarder les gens d’une certaine manière. J’ai eu tort de refuser la visite des lieux, poussé que j’étais par un sentiment de fierté. Le côté : « ne me prenez pas pour ce que vous croyez que je peux être ! » Drapé dans sa cape, l’Antonio. Zorro est tarifé ! Altier ! L’Aiglon ! « On baptise à Paris mieux qu’on n’enterre à Vienne ! » Tout de suite « A moi, comte, deux maux ! » On a maille à partir avec soi-même, les impulsifs. On se place devant des situations à chier.

Allez, allez, rumine pas, Tonio ! Au dodo ! Le meurtre à l’oncle Tom, c’est pas tes oignes. Prie pour le repos de son âme ingrate. Il voit peut-être la lumière, en ce moment, le tringleur à tatan Mathilde, la bonté de l’Eternel est si grande…