— Ben, évidemment, tu me prends pour un Belge ! Mais soye gentil : laisse-moi d’abord finir mon goûter : mon vieux m’interdit de parler la bouche pleine, ce con de pétochard !
Au lieu des U.S.A., je communiquerais avec le 22 à Asnières, la liaison ne serait pas plus claire. Tu jurerais qu’il est perché sur mon épaule, le fameux Ron Silvertown, et qu’on se jaspine dans le tuyau des feuilles, les deux.
Pour l’obtenir, crois-moi (mais si tu ne veux pas me croire, t’es libre, j’en ferai pas une coqueluche), ça n’a pas été fastoche. Y a fallu passer par haut lieu. Ni plus ni moins que le grand dirluche, dans un premier temps avant-coureur, pour prévenir que j’allais appeler depuis Zurich. Ça chiait des ronds carrés, je t’avertis. Les « injoignables », moi, je m’en sers comme cuvette de gogues. Alors, à présent que je le tiens, l’Immense, le Sur-puissant, le Parrain des Parrains, je prends mes aises. La voix glacée et pourtant marquée de petits relents latins, peu compatibles avec le blaze typiquement anglo-saxon, me demande ce que je désire.
— Vous annoncer deux nouvelles, monsieur Silvertown : une mauvaise et une bonne.
— L’on m’informe que vous êtes un officier de police, interrompt mon terlocuchose sans s’émouvoir.
— Exact, mais mon Service est spécial, très très spécial. Je dispose de pouvoirs et de libertés qui ne sont généralement pas tolérés de la part de mes confrères.
— Intéressant.
— Vous allez voir à quel point !
Un silence. Il ne me questionnera plus. Bras de fer silencieux. A qui cédera, à qui prendra l’initiative de la converse. Comme les courses de poursuite dans les vélodromes : c’est celui qui démarre en premier qui a la plus mauvaise position. Alors on s’observe.
On perçoit le petit signal sonore ponctuant les unités téléphoniques. Comme c’est mégnace l’appeleur, je suis en train de me taxer à mort. Bon, je vais quand même pas attendre la Saint-Ducon, qui tombe le jour de ta fête pour enchaîner.
— Bien, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps qu’on me dit sans prix, monsieur Silvertown, aussi vais-je commencer par la mauvaise nouvelle : votre envoyé, le dénommé de Sotto est mort après avoir perpétré un vrai massacre en Suisse et dans la région Rhône-Alpes, l’une des plus belles de France.
Lui, polaire :
— J’ignore de qui et de quoi vous parlez.
— Peut-être parce que l’individu en question disposait d’autant d’identités qu’une vedette de cinéma dispose de toilettes. D’après mes derniers renseignements, il s’appellerait en réalité Stephen Black.
— Connais pas.
— Un blond, crépu, au regard de serpent.
— Je vous répète que je ne le connais pas. Ensuite ?
— J’arrive à la bonne nouvelle : j’ai en ma possession votre statue.
Là, malgré son silence, je sens que je viens de dégoupiller ma grenade. Car le silence est si entier que, pour l’obtenir, il a dû retiendre son souffle, comme dirait le cher Béru. Cette fois, ce sera à lui de piquer la décarrade. Moi, je crèverai d’inanition dans cette cabine, mais je ne prononcerai plus une syllabe avant lui.
Je ne morfonds pas lulure.
— Quelle statue ?
— Vous savez bien, monsieur Silvertown. Trois hommes ont péri en hélicoptère en voulant la récupérer. D’ailleurs, même si le pilote ne s’était pas foutu comme un con dans les câbles de cette ligne à haute tension, ils ne l’auraient pas trouvée. On vous avait gentiment induit en erreur, monsieur Silvertown : ce n’était pas le vieux Dugadin qui vous l’avait volée, mais l’autre, le majordome italien. Pendant son jour de congé, il s’était déguisé en grand blessé pour revenir dans la maison perpétrer son larcin. Ses propres employés ne l’avaient pas reconnu, tant il possédait l’art du grimage. Il voulait, tout en se disculpant du fait de son absence, jeter le doute sur celui, qui, quelques jours auparavant, avait déjà porté le chapeau dans l’affaire du carnet rouge, par fausse fille interposée.
Re-silence intégral. Pas désagréable de tenir la dragée haute à un vilain de cette envergure.
J’attends. L’homme ne parle plus.
— Bon, soupiré-je, j’ai l’impression que mon histoire ne vous intéresse pas. En ce cas vous savez ce que je vais faire, monsieur Silvertown ? Je vais raccrocher et brûler cette statue. Sans doute est-ce dommage de sacrifier cet objet d’un gothique aussi rare, mais je sens qu’elle doit disparaître par le feu. Pardon de vous avoir importuné.
— Non !!!!!!!
Les cris désespérés sont les cris du pied-bot, comme l’a écrit Prévert (à moins que ce ne soit son cousin Marcel).
Cette clameur est une abdication totale. L’immense refus d’une mère dont on s’apprête à égorger l’enfant. Il y a je ne sais quoi de pathétique dans ce « non » immense comme le roulement du tonnerre en montagne.
Conduire ou choisir : il faut boire ! déclare la Prévention routière, toujours pleine de sollicitude. Je choisis d’en finir.
— Silvertown, vous êtes une fabuleuse ordure ! Un grand seigneur du crime, mais je vous tiens ! Vous avez fait tuer mon oncle Thomas Dugadin dans des circonstances atroces. Votre deuxième tueur a grièvement blessé mes meilleurs inspecteurs. Il m’a sérieusement blessé moi-même. Il a salement tué une demi-douzaine de personnes avec des méthodes dont la barbarie flanquerait la gerbe à des tortionnaires cambodgiens. Il a semé l’horreur sur son passage, humiliant et terrorisant femmes et enfants. Seulement c’est terminé. Vous êtes en mon pouvoir. J’ai votre destin entre mes mains. Et il est inutile de me dépêcher un nouvel ange de la mort : ce n’est plus un simple quidam qui détient la statuette, mais une institution composée de milliers de flics. Préparez-vous à suivre mes directives. Je vous appellerai lorsque je le jugerai utile pour vous les donner ! Salut !
Ne regrette pas l’argent
que tu as consacré à l’achat de ce livre
Une pute t’aurait coûté infiniment plus cher,
ton plaisir aurait été infiniment plus bref
et avec ton manque de bol coutumier
tu aurais attrapé la vérole ou le sida ;
alors agenouille-toi et crie :
« Merci, San-Antonio ! »
Elle est adorable, Ramadé. Un peu grassouillette, avec le cul comme un compteur à gaz d’avant-guerre, mais ce qu’elle a de hautement désastreux, c’est son parfum. Côté patchouli, mon pote, t’es servi ! Renifle un grand coup et t’en auras pour ton week-end ! Moi qui suis allergique aux parfums, je trémousse des narines dans cette ambulance qui remonte mes chers amis blessés sur Pantruche.
On a affrété la toute grande tire ricaine. A gauche la civière de M. Blanc, à droite celle de Béru. Au centre deux sièges l’un derrière l’autre. Ramadé est placée devant moi. Je mate sans convoitise aucune ses miches débordantes. Pas seulement compteur à gaz ancien modèle, ça fait aussi comme un grand sac tyrolien qui lui aurait glissé du dos. Toujours est-il qu’elle te me les a sauvés de première, mes équipiers, la fille du grand sorcier gourou, avec ses remèdes perlimpinpins. Les voilà hors d’eau, les braves. En pleine cicatrisation, leur sève surchoix faisant le reste.
Ramadé, y a pas que l’odeur : elle chante, en plus ! Une mélopée très nasillarde. Elle fait comme ça, interminablement :
— Okoubé okoulala, okoubé okoulala, président Mitterrand, flagada. Okoubé okoulala, okoubé okoulala, Jacques Chirac tagada.
D’où j’induis qu’il s’agit d’une mélopée politique.
Bérurier ouvre un œil bordé de mayonnaise et me visionne. Un peu pâlot, le frelot. Ne reste de sa trogne violine qu’une trame bleue, semblable à une toile d’araignée étalée sur sa large face.