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— Faut l’excuser, plaide Ramadé, il délire encore un peu. Je l’ai chargé en poudre de champignons à rêver.

— Oh ! merde, arrête ton blabla, Ramadé, et en voiture ! clame Jérémie. Je t’écoute, flic !

— Cause-z’y plus ! me conseille Alexandre-Benoît perfide, champignons pas champignons, je t’ jure qu’y t’ pissera dessus, je vois viendre.

Mais je sais me montrer magnanime et pardonner les offenses.

— Pourquoi avoir volé cette statue ? reprends-je.

— Moui, pourquoi ? demande l’Intense.

— Pas pour la monnayer auprès de Silvertown, ce qui eût été trop risqué mais… pour la posséder, tout bêtement. Le vieux comte voulait probablement en user, lui aussi, pour tenter de transformer sa vie, du moins le supposé-je. Il y a chez ces vieux Ritals un fond de superstition qui nous échappe à nous, cousins latins. Pour opérer le vol en toute sécurité, il a eu une idée diabolique.

Je me tais pour reprendre haleine.

— Si c’ s’rait un vêtement[20] d’ ta bonté d’ m’y dire ? implore Sa Majesté.

— Comprenant qu’en dérobant la statuette les soupçons se porteraient sur les habitants de la demeure, il a décidé d’inventer un voleur venu de l’extérieur.

— Qui ? demande M. Blanc.

— Lui-même. Pendant son jour de congé il s’est déguisé… en grand blessé, donc, visage sous bandelettes ! Comédien naturel, il a interprété avec délectation le rôle d’un visiteur en s’arrangeant de telle sorte pour que, par la suite, Silvertown envisage que le vol avait été perpétré par « son blessé cupide », c’est-à-dire Tonton. Du grand dard[21] ! Déjà échaudé par le chantage au petit carnet rouge, Ron devait se croire la proie désignée d’une drôle d’équipe d’arnaqueurs.

— En effet, il a fait venir des espécialiss et a organisé une opération chez ton onc’ ! continue le Mastar d’une voix nonchalante de Sherlock produisant sa démonstration à ce vieux con de Watson. En hélico, hmm ?

— Seulement le coucou s’est pris les pattoches dans une ligne électrique à deux pas de la ferme. Les occupants ont été tués. Et alors, cet accident a infléchi la conduite de Silvertown. Il y a vu une manifestation de cette statuette : elle neutralisait qui partait à sa reconquête, vous suivez la démarche mentale ?

— Un peu fêlé ! gouaille le Gravos.

— Ta gueule, homme au cerveau désert ! clame Jérémie.

Deux blessés qui s’engueulent dans une ambulance, c’est pas commun. Ça vous a un petit côté café-théâtre. Aussi, vite reprends-je le crachoir :

— Cet accident d’hélico a paniqué Tonton, savez-vous pourquoi ? Parce que, près des décombres de l’appareil il a trouvé des armes et un plan sur lequel figuraient son nom et la situation de sa ferme. Dès lors, il a compris qu’on en voulait à sa vie. D’autant que par la suite Silvertown a bien dû faire contacter mon oncle d’une manière ou d’une autre pour récupérer son bien. Il n’est pas homme à s’être avoué vaincu. On ne saura jamais très bien ce qu’il en a été de cette période, on en est réduit aux hypothèses. La peur de Tonton, le renoncement de Ron sont deux mystères que nous ne pouvons qu’interpréter à travers les faits réels que nous connaissons. Quelque chose me dit qu’il a piqué des trucs sur les morts de l’hélico, Dugadin. Peut-être du fric, peut-être des bijoux, ce qui lui a donné mauvaise conscience. Toujours est-il que le temps a passé. Silvertown est devenu un très grand brigand, mais qui gardait au flanc, comme un coup de lance, la perte de la statuette magique de sa famille. Un peu comme une mère dont l’enfant a disparu et qui continue d’attendre et d’espérer.

Jérémie geint pour changer de côté. La voiture filoche impec sur l’autoroute, Ramadé a repris sa litanie du docteur Gustin : « Okoulé okoulala, okoulé okoulala président Mitterrand flagada… »

Ayant trouvé une position dont s’accommode sa terrible plaie, Jérémie demande :

— Comment se fait-il que, treize ans après…

Il ferme les yeux, épuisé par l’effort. Pas encore le super-pied, mais ça viendra.

— L’affaire ait rebondi ?

— Oui ?

— Bellazzezzeta, toujours lui. Son éternel besoin de fric, à ce vieux flambeur de merde ! Je crois l’avoir compris, le bougre, lorsqu’il est acculé, ferait n’importe quoi pour obtenir du combustible. C’est pis qu’un drogué. Un jour qu’il était pris à la gorge, il a essayé de vendre sa statue à Silvertown. Mais toujours prudent et fidèle à sa ligne de conduite, il lui a écrit comme s’il était l’oncle Tom, allant jusqu’à poster sa lettre à Saint-Joice-en-Valdingue. Dès lors, Silvertown a voulu prendre les devants pour ne pas se laisser mener en barlu. Il a engagé un premier tueur à gages et l’a dépêché en Savoie où le gars s’est livré à la fantasia que nous connaissons. Voilà, mes chers amis. Navré pour vous que cette enquête ait été aussi sanglante, mais soulagé pourtant que vous vous en soyez tirés !

— En somme, renouillasse Béru, c’t’à cause de ton sale comte de merde si Tonton a été scrafé ! En y f’sant adosser un casse qu’il avait pas commis, l’ pauv’ bonhomme. Dans l’ fond, il a eu c’ qu’il méritait, le comte Beaupaf. C’est l’Adélaïde qui s’est affalée à son sujet, œuf corse ?

— Evidemment. Elle a balancé l’histoire du carnet rouge sous la torture. Cela a suffi pour que de Sotto comprenne que Bellazzezzeta était le nœud de l’affaire.

— La tête de nœud, mouais ! rectifie l’Infâme.

— Elle lui a même révélé l’adresse du studio du comte où ils opérèrent leurs petites manigances, elle et lui.

On roule, roule…

La nuit choit derrière les vitres trop dépolies pour être honnêtes. Le vaste véhicule roule en souplesse. Ça fouette de plus en plus dans l’habitacle : le parfum de Ramadé, les pets hospitaliers de Béru, les senteurs de fauve puissant de M. Blanc, et, aussi, mon eau de fleur de cédrat, mais si modeste que je ne la signale que pour mémoire tant est faible sa participation à ce concert nauséabond.

— Et dans tout ce cirque, grommelle Jérémie, qu’est devenue la statuette magique ?

— Avec moi, il suffit de demander pour être servi, dis-je en la sortant de ma poche qu’elle déformait.

Trois mains se tendent. C’est par galanterie, dans celle de Ramadé que je la dépose. Le visage du personnage a été polychromé. Il est d’un jaune blafard et les minuscules yeux noirs sont cernés de rouge. Le sommet de la tête a été creusé et une odeur vénéneuse s’échappe de la cavité.

Mme Blanc renifle.

— On y a mis du rabita koukouyé, assure-t-elle, en parfaite « connaisseuse » ; c’est la plante des maudits !

Chacun examine l’objet barbare auquel, quelque part aux States, un homme puissant et maléfique voue un culte anormal.

J’explique :

— Elle se trouvait au studio du comte, dans une boîte de fer emplie de gousses d’ail (ou d’aulx) chargées, je pense, de la dévampiriser.

Ramadé murmure :

— Vous allez en faire quoi, mon vieux ?

— Je ne sais pas encore.

— Ça vous ennuierait de me la donner ?

— Ça m’ennuierait si je pensais qu’elle puisse vous apporter du malheur, sinon ce serait avec plaisir.

Ramadé éclate de rire.

— Elle, m’apporter du malheur, à moi, la fille de Takatla, le dernier grand sorcier du Sénégal ! Tu charries, commissaire !

Elle prend son bonhomme à témoin :

— Alors là, il charrie, hein ? Du malheur, c’est pas moi, mais le sale type d’Amérique qui va commencer à en avoir.

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20

Il est évident que Béru a voulu dire : « Un effet de ta bonté » ; étourdiment, il a usé d’un synonyme.

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21

Lapsus de Sana qui pensait à l’autre con en écrivant.