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A la fin, M. Blanc, pincé, assure au Mastar que s’il s’abstenait de jacter comme une girouette rouillée dans la tempête, on s’apercevrait moins qu’il est con. Il préconise le silence complet dans les cas aussi désespérés que le sien, Béru. Il lui dit que, muet, avec des lunettes noires et le bitos rabattu sur la devanture, il risquerait de faire illuse. On pourrait le croire normal, obèse mais normal !

Comme il leur est arrivé d’en venir aux mains, je stoppe l’envenimure d’un fort coup de gueule. Mathias, quant à lui, s’occupe de son outillage : une espèce de sulfateuse à long bec, comme en ont les vignerons pour traiter les ceps. Je me livre à un récapitulatif de l’opération. Mes trois guerriers acquiescent. Bérurier, pour opérer ce coup de main, a absolument tenu à prendre sa propre voiture, ce qui est une bonne chose. Je te rappelle que le Mammouth possède une traction avant Citroën de l’immédiate après-guerre, tellement déglinguée qu’il faut en faire le tour à deux ou trois reprises avant de pouvoir se prononcer sur la marque. Le pare-brise a été remplacé par du contreplaqué dans quoi il a ménagé une meurtrière. Il n’y a plus de garde-boue avant ; les portières sont maintenues à l’aide de fil de fer et une malle d’osier, rachetée peut-être à l’exécuteur des hautes œuvres dont l’emploi a été supprimé, remplace le coffre à bagages.

— Bon, alors c’est laquelle est-ce ? râloche l’Enflure, debout près de son bolide comme un coureur de Grand Prix posant pour un magazine sportif.

— Une fourgonnette Juvaquatre blanche. Tu peux pas te gourer. Elle est stationnée deux mètres avant la cabane.

— Jockey ! Paré !

Il décarre de la rue avoisinante d’où nous lançons l’opération. Sa tire, au Gros, quand elle est en marche, t’as l’impression qu’il se passe un truc inexorable ; que plus rien (et surtout pas ses anciens freins) ne pourra l’arrêter ; seul un obstacle conséquent… Et encore ! Y a du char d’assaut dans cet engin. Son bruit de batteuse, déjà, crée l’angoisse. Son tintamarre comme cent casseroles aux queues de cent chiens ! L’opacité du pare-brise épouvante. On songe à un martien bricoleur qui aurait fabriqué soi-même sa fusée.

Et rrrra guelinggg tzzboum chpalff cliiiiing ! C’est parti. La vénérable caisse enquille la rue Piquebise. Je démarre à mon tour, Jérémie à mon côté, Mathias à l’arrière avec sa bordèlerie à pompe. Cette chignole dans Paname endormi, tu peux pas t’imaginer ! Ubuesque ! Un film du muet ! Elle fonce en louvoyant chouïette, car la direction est faussée et n’y a plus d’amortisseurs.

Il n’a pas mis sa ceinture, le Dodu, vu qu’il n’en a pas. Mais il va se cramponner sec. S’arc-bouter à mort. Choisir la pose idéale. Je vois sa pompe continuer de louvoyer en vomissant un nuage de fumaga noire.

Alerté par cette survenance tintamarresque, le conducteur de la fourgonnette Juva ne peut s’empêcher de mettre sa tronche à la portière. Tout de suite, il a cru à l’arrivée des Russes, cézigue. Quand il constate qu’il ne s’agit pas d’un régiment d’engins blindés, mais de cette relique échappée d’un Laurel et Hardy, il se marre.

Pas longtemps. La traction s’est mise à rouler franchement à gauche de la rue, bien que celle-ci soit à double sens. Et puis, brusquement, comme si elle échappait au contrôle de son pilote, elle fonce sur la Juva. C’est le crash ! Un fracas de tôles déguisées en papier chiotte dont l’emploi serait imminent.

Le silence qui succède paraît rouler encore les échos de l’impact. La fourgonnette s’est encastrée dans l’arrière d’une Mercedes stationnée devant elle. Moi je raboule en berzingue inouï. Coup de frein qui me jette le cul de traviole. On jaillit, M. Blanc et moi. Revolver au poing.

Deux bonds pour se porter à la hauteur de la cabine de la Juva. Son conducteur est coincé dans de la ferraille et gueule pire qu’une putoise en couches. Dans la partie arrière, se trouve un second gazier, seulement estourbi. Il a une mitraillette dans la main et la soulève dans notre direction.

Floc ! Floc ! fait le pétard de Jérémie. Le mec lâche son Raskolnikoff, car il a les deux mains éclatées. Ouf ! On est bonnards ! M. Blanc ne s’était pas trompé.

Where is Mathias ? Eh ben, il usine, le père de famille nombreuse. Et avec brio, espère. Son calme est impressionnant. Il ne s’occupe pas de la partie Verdun de l’opé, vu qu’elle nous incombe. Lui, il exécute sa partition et un point c’est tout. Pour débuter sa prestation, il a flanqué un grand coup de poinçon dans la tôle de la cabane, ce qui produit fatalement un trou. Il enfonce le bec de sa sulfateuse par l’orifice, actionne le levier d’éviction et le gaz contenu dans la sulfateuse passe de celle-ci à la cabane. C’est d’une précision et d’une promptitude telles que son boulot n’a pas duré dix secondes. Un rêve !

Impavide, le Rouquin tire de ses poches deux coins de bois très effilés qu’il glisse en bas et en haut de la porte et enfonce à l’aide d’un marteau.

Un léger temps mort s’écoule. Et voilà que ça remue et même remue-ménage dans la guitoune. Un grouillement affolé. Une précipitance noire ! Des plaintes. On cogne à la porte. Faiblement.

— L’effet est immédiat, nous dit Mathias. On pourra ouvrir dans trois minutes.

J’en profite pour, depuis ma bagnole, téléphoner à la Grande Cabane afin qu’on nous envoie ce qu’il faut : du monde, des ambulances, un panier à salade.

Bérurier examine sa tire qui n’a pas subi de déprédations nouvelles dans le télescopage volontaire, si diaboliquement exécuté.

— T’as vu dans quel état ils m’ont mis ma voiture ? m’apostrophe-t-il. J’espère qu’on va m’en payer une neuve, non ?

Van Gogh est, à ma connaissance,

le seul homme qui ait pu dormir

sur ses deux oreilles.

Aux aurores, nous sommes chez le Vieux, Jérémie et moi, pour le mettre au courant des péripéties de la noye. Quand je dis « chez le Vieux », je ne parle pas de son bureau de la Rousse, mais de son hôtel particulier de Neuilly. Il est rarissime que je force la porte de son donjon, Achille n’aimant point trop que ses subordonnés vinssent se rouler dans son luxe privé. La présence de mon nouveau compagnon le fait renifler un peu fort. Au sein de cet univers Louis XV pur fruit, avec les murs tendus de soie, les délicats Watteau et les Fragonard, les vitrines contenant des collections de tabatières en or ou de flacons de sels, il fait un peu « Mise à sac de la plantation », M. Blanc, voire même « Les Insurgés chez le gouverneur ».

Chemin venant, je lui ai expliqué que, dans notre métier, ce que l’on nous pardonne le plus difficilement, ce sont nos prouesses. Les bévues s’oublient vite, les exploits engendrent de longues rancœurs.

— Ton coup d’éclat, Jérémie, lui ai-je dit, il faut à présent le faire endosser par les instances supérieures sinon il te retombera lourdement sur la gueule. Suis-moi, écoute-moi et dis amen à tout.

Et bon, donc, nous voici dans un des salons du Tondu. Debout. Lui en robe de chambre de satin pourpre à parements noirs. Plus impressionnant en fait que lorsqu’il est en bleu croisé dans son burlingue du Quai.