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— Quand reprendrez-vous votre mission ? Après tout je me range à l’avis du brigadier qui estime que nous ne trouverons aucun photographe de l’autre sexe, et que vous possédez un joli talent pour saisir les expressions les plus inattendues des gens.

— À votre disposition ! proposa-t-elle.

— Je n’ai pas envie de découvrir ce que vous aurez fait apparaître de mon visage, murmura-t-il, en repoussant son perdreau à peine entamé.

La veille chez le curé Reynaud il avait littéralement bâfré.

— Vous avez un profil de médaille antique, fit-elle sans nuance d’ironie, et c’est ainsi que j’aimerais vous saisir, de trois quarts exactement, ce qui bien sûr n’est pas habituel. Mais arrêtons sur mon talent et dites-moi si réellement vous avez couche une nuit dans cette maison ou mon mari a trouvé la mort.

— Me croyez-vous assez vil pour vous mentir sur un fait relié à votre deuil ? J’ai couché dans cette maison en compagnie du Colonel de la Pérosse et de quelques hommes. Nous voulions savoir si elle avait été également pillée par la bande que nous traquions mais elle avait été épargnée, peut-être à cause de sa situation. Je crois qu’il y a un très mauvais chemin pour Salza, du moins lorsque j’étais enfant c’est ce qu’on disait.

— Je louerai une charrette légère et un cheval trotteur. Roumi a bien mérité une journée en écurie.

— Prenez le mien. Demain, je n’en aurai pas besoin. À l’heure qu’il vous plaira, il sera attelé devant l’auberge.

Elle n’osait lui demander où il logeait. Cela ne se faisait pas sans risquer l’équivoque d’une coquetterie précise.

— La maison de famille me suffit malgré son état lamentable. Elle est en indivision et j’ai dû prendre la clé chez le notaire. Nous sommes une famille qui vit à couteaux tirés et personne ne veut que l’autre touche une partie de l’argent d’une vente pourtant urgente. J’y dors comme un soldat roulé dans ma capote. Après tout, je suis toujours en service et le serai tant que je n’aurai pas trouvé cette bande de criminels.

Elle estima raisonnable d’en rester là, refusa le dessert, le café et peut-être les liqueurs, préféra rejoindre sa chambre. Marceline, éblouie par l’honneur que lui faisait le capitaine avait bassiné son lit avec le moine, ce traîneau avec cassolette de braise rendant les draps brûlants. Dans une intention d’entremetteuse ?

13

Comme promis, la charrette anglaise attelée au cheval rouge attendait devant l’auberge, la bride attachée à l’un des anneaux de la façade.

— Le capitaine vous fait ses compliments et vous reverra plus tard, lui dit Marceline en lui servant son petit déjeuner. C’est tout de même un bel officier, mais je ne me souviens pas de l’avoir vu enfant dans les rues de Mouthoumet. Pourtant je suis plus âgée que lui.

— Il possède une maison en indivis, m’a-t-il dit.

— Oui la maison au cadran solaire, mais ici on dit la maison des Arqueçon, une vieille famille qui n’habite plus Mouthoumet depuis plus de cinquante ans, en tout cas moi je ne les ai jamais connus. Je me souviens que l’été venaient des femmes, jamais d’hommes. Maintenant la Maison du Cadran est en mauvais état, le toit s’est effondré en partie. Mais c’est un bel endroit, le jardin derrière est immense, c’était un parc dans le temps, paraît-il. Tous les enfants vont y jouer. Petite j’y allais et je sais qu’on aperçoit les roches de Courba tiers, c’est dire si la vue est belle.

Le rouge était un cheval fougueux qu’elle eut du mal à maîtriser au départ, mais qui se calma quand il eut son saoul de lacets. Il finit même par rechigner et elle dut faire claquer le fouet pour le relancer. Elle pensait que l’animal préférait la selle au trait même léger.

Un peu avant Salza, elle croisa une vieille femme qui ramassait de l’herbe sur le bord du chemin et la regarda arriver, une main en visière sur le front.

— Bonjour, pouvez-vous m’indiquer la maison de Mme Grizal ?

— Séverine ? Ça fait une paye qu’elle est morte, vous savez. Nous avions à peu près le même âge.

— Je veux parler de la femme d’Émile Grizal, mort à la guerre !

— Ah, l’Espagnole. La Carmen ? Depuis qu’Émile n’est plus elle travaille à la mine à trier les cailloux, mais pas tous les jours. Peut-être qu’elle est chez elle… Façon de parler, car elle habite une capitelle juste avant le village, dans la vigne de Périchot qui la lui prête contre le sarmentage et quelques travaux.

— Elle n’a pas de maison ?

— Son mari parti, elle ne pouvait plus rester. Mon gendre ne pouvait pas lui laisser sa bergerie. L’Émile était notre berger.

— À la borde de la coumo Ferregut, ajouta Zélie.

— Vous le saviez ? Mais je vous reconnais, vous êtes la dame du photographe de Lézignan et votre mari… Oh, le pauvre qui est mort à la guerre comme notre pastre. C’est la veuve comme vous que vous venez voir ?

Soudain embarrassée, elle se lança dans un long discours pour justifier qu’ils aient chassé l’Espagnole pour installer un nouveau berger, la veuve n’étant pas capable de s’occuper de cent dix-neuf bêtes dont la moitié en chèvres, et les chèvres faut savoir.

La capitelle se trouvait tout au fond d’un chemin de vignes où la charrette anglaise ne pouvait s’engager. Zélie attacha le rouge à une vieille croix rouillée, en espérant ne choquer personne et remonta entre les murettes de pierres sèches jusqu’à ce qu’elle aperçoive une fumée.

Un animal détala sur sa gauche dans un massif de genêts et elle pensa à un chien sauvage ou à un jeune sanglier. Mais plus loin, elle reconnut un enfant à demi nu qui courait sur le haut d’un mur de vigne, sautait de l’autre côté, disparaissait.

Une autre créature se présenta soudain en plein chemin, un escaousel, une houe tenue à deux mains.

— C’est défendu. Monsieur Peruchot veut pas.

Cela avec un fort accent espagnol. Zélie sourit :

— Vous êtes Carmen Grizal, la veuve d’Émile, mort à la guerre ? Avec mon mari le photographe de Lézignan.

Cette femme cessa de brandir son outil et Zélie approcha lentement. Sans le blanc des yeux légèrement bleuté, il aurait été impossible de distinguer le visage de l’espèce de sarrau tombant jusqu’à ses pieds nus que portait Carmen. Le tout était brun, comme les mains et les pieds. Alors, elle se souvint que Carmen triait des cailloux de plomb argentifère et que cette teinte, difficile à effacer venait de l’action de la sueur sur le minerai. Elle avait déjà vu d’autres femmes et d’autres hommes ainsi marqués.

— Je voulais vous parler. Je ne sais pas grand-chose sur la fin de mon mari et j’ai pensé que vous aviez appris comment ils sont morts.

— La Casa del Coronel, dit la veuve en secouant la tête d’un air dur. Todos muertes… Tous morts avec le sargento…

Elle s’appuya sur l’escaousel, la tête baissée comme si la tombe de son mari se trouvait soudain à ses pieds exigeant une prière. Puis elle regarda Zélie, lui fit signe de la suivre. Elles pénétrèrent dans la grande vigne et la photographe aperçut, dans un groupe de buis en bordure, deux yeux qui les surveillaient.

— Pedro, Pierre, mon fils… Petit sauvage… Toujours par ci, par là… Jamais maison… La nuit aussi.

Elle ricana :

— Maison, caverne oui, cueva, madriguera… comme des bêtes.