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Mal à l’aise, le procureur intervint pour dire que le seul rapport entre ce crime et ceux de Soulatgé venait du fait que Bourgeau Eugène et Louis Rivière étaient d’anciens mobiles.

Bien que les journalistes aient été interdits de questions l’un d’eux, à gouaille parisienne, demanda s’il était vrai qu’une enquête sur des détrousseurs de cadavres ayant opéré durant la guerre fût effectuée en ce moment dans le pays, et si oui n’était-ce pas l’explication de ces crimes qui ressemblaient à des règlements de comptes ? Courroucé le procureur répondit que c’était exact mais enchaîna avec la mort des Rivière, alors qu’ils rentraient chez eux dans leur charrette, juchés sur un tas de fagots. L’enquête avait prouvé qu’un cavalier surgi d’un chemin sur leur droite les avait abattus.

— Le fameux Cavalier-squelette ? lança un Toulousain reconnaissable à l’accent.

Le procureur se fâcha et annonça que la réunion était terminée. Il cria que la bonne volonté du Parquet se trouvait bafouée par des réactions aussi intempestives que déplacées à ce niveau de l’enquête.

Ce fut presque l’émeute avec des cris, des bousculades, le Parquet qui se retirait, les gendarmes qui évacuaient la pièce avec une certaine nervosité. Lorsque le silence revint Zélie abandonna son placard et sortit à l’air libre. Elle quitta la gendarmerie mais fut rejointe par le capitaine Savane qui venait d’apprendre sa présence discrète à la réunion.

— Le procureur n’aurait pas dû se fâcher, dit-il en la raccompagnant. Maintenant ces gens-là vont exploiter les ragots, les rumeurs, les inimitiés et écrire n’importe quoi. Êtes-vous bien rentrée de votre tournée, avec de belles photographies je suppose ? Celles de Sonia Derek sont parfaites.

— J’ai quelque chose à vous confier, dit-elle soudain.

Il l’accompagna à l’écurie. Tandis qu’elle brossait le poil de Roumi elle parla de Carmen Grizal, remonta à sa première rencontre, termina par la dernière.

— Les affaires de son mari envoyées depuis Saint-Paul-de-Fenouillet par ce Gaillac, du moins par son fils maçon dans cette petite ville ? fit-il d’un air songeur. Mais pourquoi avoir payé soixante-dix francs cette confidence ?

— Parce que je sais que mon mari a été également détroussé. On ne lui a pas cisaillé l’annulaire mais on a pris ses affaires dont son appareil de photographie démontable, et pourquoi pas les plaques et les épreuves sur papier qu’il n’aurait pas eu le temps de développer.

Elle se trouvait de l’autre côté de son cheval et ne pouvait apercevoir que le haut de son visage. Elle lui trouva le regard presque douloureux :

— Ma chère amie vous devriez vous méfier de certain beau parleur qui depuis son retour de la guerre chevauche dans le pays pour dresser contre moi les démobilisés, sous prétexte de prendre leur défense. Il déclare partout que nul ne s’est rendu coupable d’actes de pillage, que chacun a fait son devoir avant de s’en retourner dignement chez lui. C’est oublier les Bourgeau qui sont revenus riches, avec un couffin rempli d’or et de bijoux et aussi l’appareil de votre mari. Je ne crois pas que votre mari aurait trouvé le temps de développer ses prises de vue. Il lui fallait un laboratoire et du temps, or dans ces corps-francs ils n’en avaient guère ces appelés, toujours sur la brèche.

— Mon mari utilisait le matériel et les services d’un photographe de la Ferté Saint-Aubin. Et cela dès qu’il bénéficiait d’une permission. Il avait quarante ans, capitaine, et à ce titre pouvait jouir de certains avantages auxquels les plus jeunes ne pouvaient prétendre. Il disposait de ses temps libres pour assouvir sa passion et n’en profitait pas pour mener joyeuse vie.

— C’est vrai, murmura-t-il, comme s’il avait commis une erreur en n’en tenant pas compte. Il est tout à fait normal que vous cherchiez à en savoir un peu plus sur ce qu’était la vie de votre mari au cours de cette guerre stupide, mais est-ce toujours ce jeune godelureau qui vous inonde de renseignements si précis ? Ce sous-lieutenant caracolait dans tous les coins mais je doute qu’il ait participé à de glorieux faits d’armes.

Savane l’agaçait et ce terme de godelureau était une offense pour la jeunesse, la gaieté, l’insouciance aussi de Julien Molinier qui n’en était pas moins un joli garçon, un être charmant qui à son corps défendant la laissait parfois rêveuse. Non seulement rêveuse mais nostalgique de sa prime jeunesse, à l’époque où de timides jeunes gens faisaient la roue autour d’elle et de ses compagnes se promenant sur le mail, sous leurs ombrelles en chantilly et pouffant comme des dindes stupides.

— Avez-vous reçu des clichés développés ou non ?

— Je vous ai déjà répondu que non lors d’une de vos questions soupçonneuses. Vous me menaciez presque du tribunal militaire.

— J’en suis désolé, mais cet état militaire m’imprègne un peu trop. Il est temps que je l’abandonne et avec lui cette sévérité.

— Pour retourner à votre art de comédien et acheter votre théâtre ? dit-elle. J’ai vu un beau portrait de Julien Molinier, une véritable œuvre d’art due au talent de mon mari, monsieur le capitaine.

Savane furieux se dirigea vers le portail de l’écurie, se retourna pour lancer :

— Si vous en êtes a admirer son image vous voilà bien mal partie, ma chère.

Furieuse elle remonta dans sa chambre et quand elle ouvrit aperçut une lettre glissée sous la porte. Madame Molinier l’invitait pour le dîner chez sa parente et son fils Julien se ferait une joie de venir la chercher et de la raccompagner.

39

— Monsieur le Curé voilà qu’Alfred Gaillac est en train de boucher toutes ses cheminées. Lui et son fils sont sur son toit et dans la rue tout le monde se demande s’il ne devient pas fou. Comment fera sa femme pour cuire le manger ?

Reynaud balançait : se joindre aux badauds ou rester calfeutré chez lui, laissant chacun commettre les excentricités qu’il voulait.

— S’il n’avait rien à craindre, poursuivait Pamphile, irait-il se percher là-haut avec du mortier et des pierres, aurait-il fait revenir Jacques de Saint-Paul-de-Fenouillet ?

En soupirant il chaussa ses bottines fourrées, mit sa douillette, se dirigea vers la maison des Gaillac et aperçut au moins la moitié du village le nez en l’air. Les deux hommes effectivement travaillaient à gâcher du mortier et par le ciel-ouvert Marguerite Gaillac tendait un cruchon d’eau.

Le maire, voyant arriver le prêtre, se précipita. Confit en dévotion il considérait Reynaud comme son directeur de conscience mais aussi son conseiller aux affaires municipales. Les deux fonctions que cet homme lui attribuait agaçaient Reynaud au plus haut point, gâtaient son goût de la solitude et de la méditation.

— Que faut-il faire Monsieur le Curé, doit-on les laisser aller au bout de leur folie ? Déjà ils ont cloué tous les volets et le portail de l’écurie en dessous qui donne sur le derrière. Et maintenant il va boucher sa cheminée de cuisine ? Les deux autres le sont déjà. Ils travaillent depuis le petit jour.

Malgré lui le curé cherchait le tas desséché de crottin de cheval abandonné devant cette maison, le découvrait aisément car les badauds s’étaient bien gardés de marcher dedans. Ce dépôt-là était loin de porter chance, se dit-il avec un sourire dissimulé.

— Mais c’est quoi ce fatras ?

— Des poteries, des tuyaux de poterie, dit le maire, tout simplement. Il va en couronner sa cheminée qui tirera aussi bien mais qu’un ramoneur ne pourra plus emprunter. Un ramoneur ou toute autre personne.

À l’entendre deux vieilles se signèrent. Ces mitres en poterie étaient d’usage peu courant, car les ramoneurs exigeaient d’effectuer leur métier à la vieille mode, en grimpant dans le conduit.