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Cécile bondit de sa chaise et la fixa avec colère :

— Voilà vos manigances, me proposer une image gratuite et puis m’accuser de je ne sais quoi. Je n’avais jamais vu cette sacoche. Je ne monte jamais au grenier. Je n’ai rien à y faire.

— Cette sacoche se trouvait peut-être à la bergerie et quelqu’un l’a rapportée ici dans votre maison. Madame Bourgeau vous avez découvert qu’à 3 heures du matin on avait arrêté votre pendule. La nuit de la mort de votre mari. Or vous n’aviez pas encore quitté votre maison pour rejoindre la bergerie avec un sac de provisions. Celui qui est venu arrêter la pendule l’a retardée pour vous laisser croire que c’étaient votre mari, son frère, les fils de celui-ci qui étaient revenus hanter votre maison une fois morts. Mais il y avait les empreintes de main mutilée et vous n’avez plus rien compris. Personne non plus d’ailleurs. Pourquoi ceux qui sont venus visiter votre chez vous n’auraient-ils pas apporté le couffin et la sacoche ?

Maugréant des paroles indistinctes Cécile sortait du fourgon, se retrouvait sur le petit balcon. Apercevant des gens qui s’étonnaient de la présence du fourgon elle revint sur ses pas.

— Je vous enverrai le portrait ou je vous l’apporterai si je repasse par Auriac, dit Zélie.

Mais Cécile Bourgeau hésitait toujours à descendre, à traverser la demi-douzaine de femmes qui regardaient dans la direction de l’attelage.

— Voulez-vous que je vous raccompagne ? proposa Zélie, prise de pitié devant le désarroi de cette petite femme torturée.

Cécile accepta d’un signe de tête. Elles sortirent, passèrent devant le groupe aux lippes méprisantes, continuèrent jusqu’à la maison. Cécile refusa de prendre le raccourci de la ruelle des Rougnes.

— Je l’ai vu le cavalier-squelette, la nuit où ils ont été tués.

— Il était à cheval ?

— Je ne sais pas, tout était noir, à peine éclairé par la lanterne.

Zélie la laissa, emprunta la ruelle des Rougnes où le vent accumulait toutes sortes de détritus. Elle marchait les yeux fixés au sol, espérant trouver l’empreinte d’un sabot, car le ruisseau barré de branchages et de déchets multiples débordait le plus souvent sur la terre battue, la transformant en boue, mais elle ne releva rien de tel.

Non seulement Roumi avait à nouveau son fer broché mais l’alezan avait disparu. Elle avait trop prolongé le temps passé avec Cécile Bourgeau, surtout en la raccompagnant jusqu’à sa porte.

— Julien Molinier est donc passé ? fit-elle déçue.

— Il n’y a pas cinq minutes.

— Son cheval a été vite ferré.

— Il n’y avait pas grand-chose à faire, comme pour le vôtre. Un clou qui manque ici, un autre qui branle dans la corne.

Les deux détails ainsi associés concernaient indifféremment les deux animaux et Zélie n’osa demander lequel avait vraiment perdu son clou et à quel sabot.

46

À hauteur de la bergerie des Bourgeau elle arrêta Roumi, grimpa sur le siège pour observer l’endroit. On avait bien sûr fait disparaître les vaches en les dépeçant, on avait envoyé les corps des Bourgeau à Lézignan pour autopsie et tout paraissait désert. Elle reprit sa montée du col et fut soulagée de s’éloigner.

Sur la route de Cubières, alors qu’elle apercevait des hommes en train de tailler les vignes et les femmes de sarmenter, Julien Molinier la rejoignit.

— J’espérais que vous prendriez la route de Rouffiac mais voilà que vous avez trompé mon attente.

— Vous me guettiez ? Pourquoi ne pas m’attendre à Auriac, chez le maréchal-ferrant ?

— Je ne voulais pas intervenir dans vos affaires. Je savais que vous étiez avec la veuve Bourgeau. Tout le village le savait et s’offusquait qu’elle songe à se faire photographier. Pensez, une veuve de quelques jours qui se pomponne, se change en dimanche pour qu’on lui tire le portrait ? Quel scandale !

Elle n’avait pas envie de sourire.

— Ce n’est pas commode de parler ainsi, dit-il joyeusement. Vous permettez que j’attache Chocolat à l’arrière et que je vienne m’asseoir à vos côtés ?

— Avons-nous donc à parler ? fit-elle, avant de s’apercevoir qu’elle se comportait comme une coquette.

— Comme il vous plaira.

Roumi lorsqu’il comprit commença de reculer sans prévenir, mettant l’alezan dans une drôle de situation. Elle dut sauter à terre pour prendre son cheval par la bride et lui expliquer dans le creux de l’oreille qu’il devait cesser ses fantaisies.

— C’est de moi ou de Chocolat dont il est jaloux ? cria Julien Molinier, installé sur le siège du cocher.

— Des deux, fit-elle en se hissant à ses côtés.

— Si je ne suis pas trop curieux, allez-vous photographier des mobiles quelque part ?

Elle secoua la tête. Roumi se mettait à trotter et d’entendre les sabots plus légers de Chocolat derrière lui devait l’énerver encore plus, car il ralentit tout aussi brusquement.

— Je veux rencontrer Gaillac. Nous savons vous et moi qu’il était le cousin éloigné de Grizal et qu’il détenait ses affaires.

— Ça ne veut pas dire qu’il garde celles de votre mari. Pourquoi n’en avez-vous rien dit au juge ?

— Vous-même ne l’avez pas fait.

— Je ne suis pas directement impliqué.

— Qu’en savez-vous ?

Il perdit son air joyeux et la regarda longuement. Ce profil si agréable dut lui apparaître bien sévère :

— Que se passe-t-il ?

— Qu’avait votre cheval ?

— Un fer décloué.

— Avec un clou manquant ?

— Je ne sais pas, peut-être.

— On a relevé une empreinte de fer auquel manquait un clou route de Rouffiac, sur la portion où les Rivière ont été abattus à coups de chassepot.

Il cessa de la regarder, les sourcils froncés.

— J’emprunte cette route presque tous les jours.

— Non, vous étiez chez la cousine de votre mère à la campagne de la Coumo Réglèbe.

— Je vais presque tous les jours à Rouffiac pour les affaires de famille.

— Vous êtes donc partout ? Sur la route de Lanet comme à Auriac. Pourquoi ferrer votre Chocolat à Auriac et non à Mouthoumet, voire Rouffiac.

— Vous m’accusez directement d’avoir assassiné les Rivière ?

— Pas du tout, mais vos allées et venues me paraissent étranges.

— J’ai essayé de parler à Gaillac. Je le connais très bien. J’étais chargé de regrouper les corps-francs isolés après la mort de leur camarade. Ils étaient sévèrement traités par les Prussiens lorsque ceux-ci les coinçaient. Alfred a refusé de me recevoir.

— Peut-être que j’ai mes chances.

— Alfred est un homme dangereux, je le sais. Je vous déconseille d’aller à Cubières.

Elle claqua de la langue pour que Roumi cesse de faire l’imbécile en multipliant ses trots, ses arrêts brusques, ses ralentis.

— Vous avez peur pour moi… ou pour vous ?

— Je n’ai rien à craindre de Gaillac, même s’il refuse d’entendre raison. Si nous parlions d’autre chose ? Ma mère et sa cousine vous ont trouvée charmante et souhaiteraient renouveler leur invitation pour dimanche prochain, pour toute la journée.

Zélie réussit à calmer Roumi qui désormais avança avec la plus grande indifférence pour l’alezan attaché à l’arrière. Ils croisèrent une pleine charretée de sarments de vigne, avec l’homme à pied et deux femmes assises sur le haut tas de fagots. Elles tournèrent la tête de l’autre côté, dans un mépris visible pour cette veuve joyeuse, mais une fois dépassé le fourgon elles se hâtèrent de la suivre d’un regard mauvais.