— Les veuves ne sont plus ce qu’elles étaient, fit Zélie amusée. Cécile Bourgeau puis moi ne donnons pas un exemple parfait de l’affligée.
— Viendrez-vous dimanche ?
— Je n’ai pas compris ce qu’on attendait de moi l’autre soir. Votre mère était trop fébrile, votre cousine trop froide pour que je m’estime la bienvenue. J’étais là pour tout autre chose qu’une tentative de séduction d’une maman cherchant épouse pour son fi-fils ou pire.
— Dieu que vous êtes méchante, murmura-t-il. Vous voulez des précisions ? Ma mère se fait un sang d’encre parce que je ne suis pas marié, et que je ne trouverai aucune jeune fille disposée à m’épouser même si je ne suis pas monstrueux et sans biens. Seulement quand j’avais quinze ans je fus gravement malade. Consomption, comme on dit par ici, tuberculose comme on appelle cette maladie depuis peu, phtisique, murmure-t-on avec effroi. Voilà. J’ai eu quelques faiblesses pulmonaires, une sorte d’asthme bronchiteux qui me faisait tousser beaucoup dans cette prime jeunesse, avec séjour du côté de Cannes puis en montagne, de quoi accréditer la légende. Personne ne l’a oublié, surtout pas les parents des donzelles bonnes à marier. Ce qui me ravissait car aucune ne me convenait à soixante kilomètres à la ronde.
Zélie restait incrédule. Il y avait eu machination autour d’elle et la raison en était différente. Mais à la réflexion on pouvait accepter cette explication, ces familles de la petite aristocratie campagnarde étant bardées de préjugés.
— Une gentille photographe un peu nomade, un peu scandaleuse leur paraissait donc une prétendante tout à fait acceptable ? demanda-t-elle amusée.
— En ce moment vous faites l’autopsie de leur comportement et de leur enchaînement de pensées. Ce ne sont pas les miens. J’ai découvert cette ridicule intrigue, vraiment maladroite je l’avoue, en même temps que vous. J’avais eu le tort de dire à ma mère que je vous trouvais ravissante et intelligente. Aussitôt ma chère maman a pris ses armes et bagages pour venir chez une cousine délaissée depuis longtemps, ce qui explique sa réserve, afin d’approcher cette jeune veuve. Elle ne doutait pas un instant que cette personne, vous, serait éblouie à la pensée de devenir l’élue d’un réprouvé comme moi, doté d’une certaine fortune et pas trop décati par son mal.
— Votre engagement volontaire lors de la levée en masse aurait dû vous réhabiliter, côté santé, auprès de toutes les jeunes filles à marier de votre entourage.
— On a pensé que c’était une bravade appuyée par des relations supérieures. Ce qui me satisfait pleinement comme bouclier antimariage. Toutes ces sottes éventuelles ne m’ont jamais tracassé.
Il se tut, puis sur un ton plus bas :
— Je crois que c’est vous que j’aimerais épouser mais je ne pense pas que cela vous donne quelque émotion.
— Ce n'est pas désagréable à entendre, fit-elle. Mais si vous saviez comme je suis encore loin de ces perspectives alors que l’homme que j’ai aimé ne parvient pas à abandonner mon esprit.
— Je l’ai compris, mais laissez-moi tout de même rêver ?
47
Julien Molinier l’accompagna chez le curé Reynaud où Pamphile les reçut en disant que l’abbé était dans sa chambre à lire son bréviaire, ou même à rêvasser comme d’habitude. Elle alla le chercher et il arriva enveloppé frileusement dans sa robe de chambre. Mais dès qu’il fut question d’Alfred Gaillac il leva les bras au ciel et sa bonne fourgonna son feu avec colère.
— Il ne veut voir personne depuis que les gendarmes et le Parquet sont venus. Je n’ai aucune chance de le convaincre de vous recevoir, surtout si c’est pour lui parler de la guerre. Pas plus tard qu’hier il a ouvert la fenêtre de sa cuisine pour hurler qu’il voulait vivre tranquille chez lui comme avant cette p… de guerre.
— J’étais sous-lieutenant chargé de liaison avec ces groupes francs, expliqua Molinier. Je le connais puisqu’il a toujours été épargné, lorsque successivement les groupes auxquels il appartenait se faisaient tuer ou capturer, et que je le replaçais ailleurs.
— Bon, fit Reynaud, le temps d’enfiler ma douillette et nous y allons. Pamphile, préparez-nous donc quelque chose pour midi.
— Je vous remercie, fit Zélie, mais je préfère rentrer ensuite à Mouthoumet avant la nuit. Il me faudra bien quatre heures même en passant par Massac.
Après qu’ils eurent frappé longuement à sa porte, Gaillac ouvrit brusquement la fenêtre de sa cuisine pour les interpeller.
— Fichez-moi la paix, oui même vous lieutenant. La guerre est finie et je ne dois de compte à personne. Le juge a dit que j’étais un brave homme et ça me suffit.
— Gaillac, voici madame veuve Terrasson, cria le curé, elle voudrait savoir si vous avez connu son mari et appris comment il avait été tué.
— La photographe ? Je suis allé dans son fourgon, elle m’a pris le portrait et ça suffit. J’ai rien à dire sur son mari qui à son âge aurait mieux fait de rester chez lui.
— Ne l’avez-vous jamais surpris en train de faire des photographies dans la campagne, là-haut ? cria Zélie tremblante.
Pour toute réponse Gaillac referma ses vitres et ils finirent par s’éloigner. Julien Molinier l’accompagna jusqu’à Soulatgé mais là dut la quitter pour se rendre à Rouffiac. Elle continua sa route en passant par Massac, trouvant la route moins sinistre et évitant de longer le pech de l’Estelhe.
Roumi accomplit le trajet en trois heures seulement et une fois à Mouthoumet elle décida de garer le fourgon à côté, emporta cependant toutes les épreuves concernant les anciens mobiles. Elle allait refermer sa porte lorsqu’elle se ravisa et prépara un carton qu’elle accrocha à son fourgon et qui portait ces mots : « Toutes les photographies prises dernièrement sont entre les mains de la Gendarmerie et de la Justice. S’adresser à eux. »
Roumi apprécia son box car une pluie fine commençait de tomber sur le pays et il n’aimait guère cela. Elle l’étrilla avec soin, lui mit la tête dans un sac d’avoine, rejoignit sa chambre non sans avoir demandé de l’eau chaude. Elle était, peut-être avec Sonia Derek, la seule à exiger de Marceline qu’elle garde au chaud tout un chaudron d’eau. La petite bonne elle-même ne comprenait pas ce gaspillage pour sa toilette.
— Vous descendrez dans la salle ou je vous monte le repas ? Comme celui de la dame ? Ou alors vous allez souper ensemble toutes les deux ?
— Non, je descendrai, dit Zélie qui la poussa vers la porte, ayant trop envie d’un tub.
Chaque fois qu’elle s’arrêtait à l’auberge Marceline prévoyait une grande bassine pour sa toilette. Mais la vider ensuite exigeait un gros travail et Zélie s’était engagée à le faire elle-même.
— Jetez l’eau par la fenêtre dans la courette, lui avait conseillé Marceline.
C’était ce qu’elle faisait non sans quelques scrupules car dans la courette les volailles de l’auberge se précipitaient ensuite sur cette flaque d’eau savonneuse.
Il faisait nuit quand elle commença de déverser l’eau de son tub seau après seau, et elle crut surprendre une ombre du côté du poulailler en contrebas du mur, au nord de l’écurie. Elle retourna dans sa chambre sans fermer la fenêtre, éteignit sa lampe et se mit en observation. Soudain toutes les poules déjà rentrées dans leur abri pour la nuit se mirent à criailler mais finirent par se calmer. Zélie dut attendre près de dix minutes avant qu’une partie de l’ombre juste en face d’elle ne se détache d’un mur de clôture. Une forme courbée en deux glissait vers la droite, disparaissait dans une avancée de l’écurie. Ce fut tout. Elle patienta encore un quart d’heure puis se pencha fortement dans le vide pour voir si Sonia Derek avait fermé ses volets. Ils l’étaient et rassurée elle referma, ralluma, se prépara pour descendre dans la salle. Celui qu’elle avait surpris dans la courette n’était sûrement qu’un voleur d’œufs, quelqu’un dans le besoin.