Elle regarda vers le divan, trouva qu’il ne s’appuyait pas tout à fait contre la cloison et alla le tirer brusquement. Sonia Derek se dressa, quelque peu décoiffée et poussiéreuse :
— C’est pas trop tôt j’en pouvais plus, je suis là derrière depuis des heures. Depuis le milieu de la nuit.
— Comment avez-vous ouvert ma porte de fourgon ?
— Votre serrure c’est d’un simple ! Suffit d’un rien, l’épingle de ma broche.
— Vous avez l’habitude ce crocheter les serrures pour vous introduire chez les gens ?
Sonia haussa les épaules sans répondre.
— Ou est-ce une spécialité de théâtre puisque vous êtes une comédienne qui parcourait les villages les plus isolés pour jouer des farces cochonnes.
— Qui vous a dit ça ? s’affola Sonia.
— Le brigadier. C’est donc vrai ? Et c’était Savane votre directeur de troupe ?
— Oh, non, lui c’est différent, il est de la coterie parisienne. Moi je ne suis rien pour lui. C’est le hasard qui fait qu’on s’est rencontré c’est tout.
— Et vous n’avez jamais été abusée, pillée par des soudards je parie.
— Si fait madame la photographe, si fait. Il se trouve que j’habitais dans le Loiret une petite maison campagnarde.
— Pourquoi vous enfuir comme une voleuse de l’auberge ?
— Parce que je sais qu’il me tuera et que je ne devais pas rester là-bas. J’ai essayé de trouver le moyen de m’éloigner et puis j’ai pensé au fourgon, me disant que jamais il ne viendrait me chercher là.
— De qui parlez-vous donc ?
On frappa à la porte du balcon et telle une marionnette qui s’efface Sonia disparut derrière le divan. C’était Pamphile avec deux cruchons d’eau bouillante.
— Je vais vous chercher de la soupe maintenant, à moins que vous ne veniez la manger avec Monsieur le Curé qui veut vous parler. Il dit que c’est important. Je commence à m’inquiéter moi car il n’est plus le même et cette histoire des Gaillac le chamboule encore plus que moi, c’est dire.
— Quand j’aurai fait ma toilette je viendrai à la cure.
Elle referma la porte à clé et alla tirer le rideau qui séparait le fourgon en deux, peu soucieuse de prendre son tub sous le regard de Sonia. Celle-ci lui reprocha du fond de sa cachette d’être égoïste.
— J’aurais bien avalé un bol de soupe moi. Et puis je voudrais bien me doucher.
— Et en prison vous croyez que ce serait mieux ? Fichez-moi la paix et laissez-moi réfléchir. Wasquehale m’a reproché de ne pas avoir parlé du vol de ces photographies l’autre nuit. Cette fois je ne veux pas être complice de vos manigances et il est possible que je le prévienne de votre présence.
Avant de faire sa toilette, Zélie accrocha à la porte l’écriteau annonçant qu’elle développait les clichés et ne devait pas être dérangée. Sonia ne dit plus un mot, tout le temps où elle se lava. Elle n’avait pas osé se dénuder entièrement, se lavait par-dessous une camisole légère, ce qui était malcommode. Le regard d’un homme, pensa-t-elle l’aurait moins écœurée que celui de cette intruse.
— Vous avez encore du pain pas trop rassis et du saucisson dans le placard. Faites du café mais évitez que l’odeur ne se répande au-dehors. Des dizaines de gens longent le fourgon et pourraient s’étonner en mon absence de sentir l’arôme du café et de voir de la lumière. Autre chose, ne tirez pas le verrou car si le curé me raccompagne je serais forcée de frapper à la porte et cela l’étonnerait.
— Je ne serai pas tranquille.
— Il y a foule, les gens ne sont pas pressés de rentrer chez eux. Qui est celui que vous redoutez tant que vous ne puissiez rester tranquillement dans votre chambre d’auberge ?
— Le dire c’est me condamner et vous condamner.
— Voulez-vous que je parle de vous au curé ? Il pourrait vous recueillir. Mais le mieux serait de vous confier à Wasquehale ou au juge.
— Je vous supplie de ne pas le faire. Si vous en avez l’intention dites-le-moi que je m’enfuie à nouveau. Je trouverai bien un coin pour me cacher.
L’abbé Reynaud lui serra longuement la main, la prenant entre les siennes comme s’il voulait lui exprimer plus que de la sympathie. Elle s’en inquiéta, car ce geste affectueux ressemblait plus à des condoléances qu’au plaisir d’une nouvelle rencontre, même dans des circonstances dramatiques.
Perplexe elle s’assit devant la soupe de légumes au lard que Pamphile lui servait à grandes louches.
— Le brigadier Wasquehale vient de repartir et le juge couchera chez notre maire qui s’en fait toute une cérémonie. Ce n’est pas un homme simple ni pour les choses de la religion ni pour celles de la vie ordinaire. Voulez-vous coucher chez Pamphile cette nuit, elle a une jolie chambre à votre disposition ?
La vieille servante en rougit de fierté, mais souriant gentiment Zélie dit qu’elle voulait développer ses clichés et que le lendemain elle repartirait de bonne heure. Remerciant une nouvelle fois le curé et Pamphile pour l’offre de l’écurie où Roumi était bien à l’abri.
— Demain vous risquez non d’avoir la pluie mais plus sûrement la neige sur la route, ce serait imprudent de partir avant d’avoir vu le temps, dit Reynaud.
Pamphile annonça qu’elle rentrait chez elle et le curé l’accompagna sur le pas de la porte, parut surveiller où elle se dirigeait, referma en disant qu’il ne restait plus, à côté de l’église, que quelques charrettes bâchées où des gens venus de loin allaient donc passer la nuit. Les autres étaient repartis ou bien avaient trouvé l’hospitalité de quelques connaissances.
— Vous vouliez me voir, Monsieur le Curé ?
— Oui j’ai quelque chose à vous remettre.
Elle le regarda sans comprendre.
— Quelque chose qui vous revient. Je vous demande une petite minute.
Il la laissa seule, méditative, regardant les flammes, pensant aux deux malheureux brûlés par l’explosion de toute cette poudre jetée par sacs de dix livres dans le conduit.
Reynaud revint avec un paquet enveloppé dans un tissu qui n’était autre qu’un pan de couverture militaire pour les chevaux. Il défit ce premier emballage, apparut du papier journal.
— Une nuit j’ai surpris une ombre qui pénétrait dans l’église et s’y attardait. J’ai pensé qu’un voyageur démuni s’était réfugié chez le bon Dieu pour la nuit et je ne m’en souciais pas, mais le lendemain j’ai quand même inspecté le banc de la famille Ladonne. C’est le nom de jeune fille de Cécile Bourgeau que j’avais finalement cru reconnaître. Mais je n’ai rien trouvé de spécial.
Il s’était arrêté de déballer le contenu du paquet alors que Zélie frémissait d’impatience effrayée.
— C’est ce matin, après la nuit d’épouvante que nous avons connue que j’ai soudain pensé au banc des Gaillac. Et je me suis rendu dans l’église. Sous le marche-pied qui sert d’agenouilloir il y a une niche pour le livre de messe si l’on veut et au fond j’ai trouvé ce paquet. Je sais que par son contenu il vous concerne.
Les châssis apparurent avec le signe qu’ils n’étaient pas développés tout comme les rouleaux de papier au carbone. Incapable de les prendre dans ses mains Zélie pleurait silencieusement, et lorsque Reynaud poussa doucement le paquet vers elle ses larmes piquetèrent le papier journal de taches humides. Reynaud se leva, prit une liqueur de Bénédictine et en versa dans deux petits verres qu’il déposa sur la table.
De son index Zélie frôlait les lettres J.T. gravées sur le bord en bois du châssis. C’était peut-être bien les plaques emportées par Jean ou bien en avait-il acheté d’autres avec toujours cette précaution de les graver de ses initiales.