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— Oui, dit Reynaud, je savais que votre mari s’appelait Jean. C’était donc Gaillac qui avait les clichés. Je ne sais comment ils sont entrés en sa possession mais c’est le fait. Je pense qu’ils représentent une grande valeur accusatrice et c’est pourquoi je voulais que vous couchiez chez ma bonne Pamphile. Je comprends que vous souhaitiez travailler dans votre labo, mais si vous le permettez je vais vous prêter une arme que je possède et que je trouve d’ailleurs absurde de conserver. C’est un revolver réglementaire de marine à six coups et cartouches à broche. Je veux que vous le preniez. Vous le garderez jusqu’à ce que toute cette affaire soit résolue. Voyez-vous je suis persuadé que nous allons découvrir la raison de ces crimes effroyables à partir de ces clichés. Ce revolver est chargé. J’espère que vous n’aurez pas à vous en servir mais n’hésitez pas à le faire. Je voudrais vous revoir chaque année lorsque vous ferez votre tournée du printemps.

Il désigna le verre de liqueur :

— Buvez ça et retournez dans votre fourgon, verrouillez vos portes. Je serai debout pour la première messe si vous voulez reprendre votre cheval. Mais je crains que le temps ne vous force à demeurer encore parmi nous, ce qui ne manquerait pas de me réjouir. Si vous développez ces plaques hâtez-vous de confier le tout au juge et à ce brigadier Wasquehale. Je sais que leur valeur à charge est nulle mais tout de même, pourquoi se serait-on entretué à cause d’elles ?

Il semblait neiger dans le halo de la lanterne suspendue en travers de la route, mais ce n’était peut-être que de la pluie. Il s’arrêta au pied du balcon, lui fit signe de la main et retourna chez lui. Une odeur de trois-six accueillit Zélie. Sonia avait dû trouver la bouteille qu’elle réservait pour les petites blessures. La pensée de partager le divan avec cette femme la hantait depuis des heures et elle était bien décidée à la faire coucher sur la paillasse qui attendait, roulée dans le fond du placard. Une fois le neveu de Jean les avait accompagnés trois jours durant dans leur tournée et dormait là-des-sus.

50

Elle s’était endormie à sa table de tirage et la lampe rouge grésillait, en manque de pétrole. Ce fut ce qui la réveilla, éperdue, ne sachant où elle était, avant de voir les épreuves qui séchaient à sa gauche sur un fil. L’une d’elles était d’une netteté parfaite comme si sa puissance accusatrice avait exigé la perfection. Elle en avait tiré trois ou quatre autres, elle ne savait plus, avant de tomber épuisée, la joue sur le bois poli à l’huile de cette table spéciale… Elle se retourna. Derrière le rideau dormait Sonia Derek et son souffle aigrelet se mêlait aux odeurs de ce brassage collodion, éther et alcool. Parfois la tête lui tournait de respirer ce produit et Jean affirmait que certains photographes y trouvaient autant d’attraits que dans l’opium.

Avant d’éteindre sa lampe, à bout de force, elle alluma une chandelle, alla à la porte du balcon, découvrit la faible couche de neige sur les toits, les marches, mais la rue simplement humide. Elle se demanda si les hommes de Wasquehale surveillaient toujours la maison des Gaillac, s’enveloppa de sa cape pour aller voir.

Un gendarme de faction dans la rue lui barra l’accès. Il n’était pas de Mouthoumet mais de Couiza. La brigade de Wasquehale n’avait plus rien à faire ici, dit-il avec une sorte de jubilation. Le juge ? il dormait chez le maire. Comme l’adjudant Verdier, et le souper y avait été fort animé.

Elle aperçut de la lumière au presbytère, mais au même instant en vit sortir Pamphile qui se dirigeait vers l’église pour la première volée de cloche.

Roumi la salua d’un petit hoquet de satisfaction, la suivit au-dehors, parut ricaner de défi en découvrant les petits flocons qui voltigeaient, eut l’air de dire qu’il en avait vu d’autres et que si elle l’attelait, il se chargeait de la ramener à l’auberge.

Lorsqu’elle remonta dans le fourgon pour éteindre les chandelles, Sonia Derek dormait apparemment mais son souffle lui semblait trop régulier. Peut-être faisait-elle semblant pour fuir toute participation aux tâches à venir. Zélie aurait bien pris un grand bol de café, mais craignant de la réveiller, se contenta de boire un peu de limonade et rangea les épreuves dans les tiroirs habituels. Une seule disposait d’un pouvoir absolu sur les événements récents. Et même multipliée en trois ou quatre tirages elle n’en perdait nullement sa force. Que l’explication des horreurs commises fût tout entière dans cette photographie agrandie laissait Zélie en plein effroi, non qu’elle éprouvât quelque crainte pour elle-même mais celle de devenir la maîtresse d’un certain destin. Bien protégée dans sa cape elle fit prendre à Roumi le chemin de Soulatgé, prête au demi-tour si la route de pleine campagne était déjà recouverte d’une couche de neige, mais seuls les bas-côtés herbus l’étaient. Émoustillé, Roumi trotta même à sa manière, reprenant la marche tranquille avant qu’un sursaut ne le lance à nouveau. Ils atteignirent Soulatgé alors qu’il faisait encore nuit. Elle se donna le temps de la décision à la sortie du village, opta finalement pour la route de Massac où le col de Cédeillan était plus bas que Redoulade, estimant que ce versant est serait moins exposé à la neige venue du sud-ouest.

— Je n’ai pas compris tout de suite que nous roulions, fit Sonia Derek en venant s’asseoir à ses côtés, la faisant sursauter car son capuchon étouffait les bruits. Je me croyais d’abord en bateau. Un jour nous avons descendu le Rhône sur un coche d’eau. Puis j’ai pensé que c’était le vent. Il neige fort.

— C’est encore peu.

Mais les sabots de Roumi perdaient de leur claquement allègre, s’assourdissaient et elle sauta à terre pour vérifier l’épaisseur de la couche et fuir cette compagnie imposée.

— Si je faisais du café.

— Avec les cahots vous en mettrez partout. Il faut tenir la casserole jusqu’à ce que l’eau bouille et ensuite placer la cafetière dans le trou prévu pour. Mon mari…

Elle n’alla pas plus loin. Jean avait tout organisé pour une sorte de vie maritime disait-il : « De la sorte tu pourras cuisiner tandis que la roulotte naviguera le long des chemins des Corbières », ce qui n’était pas arrivé souvent. Ils préféraient s’arrêter dans un endroit aussi charmant que désert pour prendre leur repas, faire une sieste amoureuse.

— Vous avez travaillé tard. Merci de m’avoir laissé le divan.

— Si j’avais voulu dormir je vous aurais secouée pour vous désigner la paillasse, fit Zélie énervée.

La Derek revenue à l’intérieur elle remonta sur le siège du cocher et écouta les bruits, ceux des sabots, ceux des roues qui peu à peu s’atténuaient pour laisser place au doux crissement de la neige foulée, écrasée.

Sonia lui apporta un bol de café, des tranches de pain d’épices. Elle avait réussi à obtenir un bon café fort. Zélie apprécia mais ne le lui dit pas.

— Nous montons, constata la théâtreuse. Il y a un col ?

— Le Cédeillan et à côté une grosse campagne où nous pourrons nous réfugier si la neige tombe trop fort. Mais encore faudra-t-il y arriver. Sinon nous trouverons une bergerie en ruine sur le côté gauche. Les Saradels. Une partie du toit est encore debout et Roumi pourra s’y abriter. Nous on restera dans le fourgon.

Déjà le cheval peinait, ralentissait et elle abandonna son déjeuner entre les mains de Sonia pour aller prendre sa bride, appuyer sa joue contre son œillère pour l’encourager comme il aimait. Ce n’était pas une esquisse de jour qui blêmissait la nuit mais une neige plus brillante et n’y voyant pas au-delà de dix mètres, Zélie attendait un grand tournant avant d’annoncer à Roumi que les Saradels c’était tout à côté.