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Ziegler fixa l’écran de son pc. Non pas celui dernier cri de son domicile, mais la bécane nettement plus poussive de son bureau à la brigade. Elle avait collé quelques affiches de ses films préférés, Le Parrain II, Voyage au bout de l’enfer, Apocalypse Now, Orange Mécanique, sur les murs pour les égayer un peu, mais cela ne suffisait pas. Elle regarda les dossiers sur les étagères devant elle : « cambriolages », « trafic d’anabolisants », « gens du voyage » et soupira.

La matinée était calme. Elle avait envoyé ses hommes à droite et à gauche et la gendarmerie était silencieuse et vide, à part un planton à l’entrée.

Les tâches courantes expédiées, Irène revint à ce qu’elle avait découvert la veille au soir dans l’ordinateur de Martin. Quelqu’un avait téléchargé un logiciel malveillant sur son ordinateur… Un collègue ? Pour quelle raison l’aurait-il fait ? Un gardé à vue pendant une absence de Martin ? Aucun flic sensé et encore moins Servaz n’aurait laissé un gardé à vue sans surveillance dans son propre bureau. Un membre de l’équipe de nettoyage ? C’était une hypothèse… Pour l’instant, Ziegler n’en voyait pas d’autres. Restait à savoir, si elle avait raison, quelle société avait obtenu le marché auprès du SRPJ de Toulouse… Elle pouvait toujours les appeler, mais elle doutait qu’ils donnent l’info à une gendarme sans commission rogatoire et sans explication valable. Elle pouvait aussi demander à Martin de se renseigner pour elle. Mais elle achoppait toujours sur la même question : comment lui expliquer ce qu’elle avait découvert sans lui avouer qu’elle avait piraté son ordinateur ?

Il y avait peut-être une autre solution.

Elle ouvrit l’annuaire en ligne des professionnels, répondit société de nettoyage à la question « Quoi, qui ? » et Toulouse et son agglomération à la question « Où ? ».

Trois cents réponses ! Elle élimina toutes les soi-disant sociétés qui proposaient de menus travaux tels que ménage, jardinage, traitement des insectes xylophages ou isolation thermique et se concentra sur celles qui s’occupaient uniquement de nettoyage de bureaux et de locaux professionnels. Obtint une vingtaine de raisons sociales. Voilà qui était nettement plus raisonnable.

Elle ouvrit son téléphone portable et composa le premier numéro de la liste.

— Clean Service, répondit une voix de femme.

— Bonjour, madame. Ici le service du personnel de l’hôtel de police, boulevard de l’Embouchure. Nous avons… euh… un petit problème…

— Quel genre de problème ?

— Eh bien, nous ne sommes pas… satisfaits des performances de votre société, nous estimons que le travail s’est dégradé ces derniers temps et nous…

— L’hôtel de police, vous dites ?

— Oui.

— Une minute. Je vous passe quelqu’un.

Elle attendit. Se pouvait-il qu’elle fut tombée juste à la première tentative ? L’attente s’éternisa. Finalement, une voix d’homme lui répondit d’un ton agacé.

— Il doit y avoir une erreur, dit la voix sèchement. Vous avez bien dit l’hôtel de police ?

— Oui, c’est ça.

— Je regrette, ce n’est pas nous qui nous occupons des locaux de l’hôtel de police. Cela fait dix bonnes minutes que je cherche dans nos fichiers-clients. Il n’y a rien vous concernant. Je vous le répète : c’est une erreur. Où avez-vous eu cette information ?

— Vous en êtes sûr ?

— Évidemment que j’en suis sûr ! Et vous, comment se fait-il que vous vous adressiez à nous ? Vous êtes qui, déjà ?

— Je vous remercie, dit-elle avant de raccrocher.

Elle avait passé dix-huit coups de fil quand elle commença à douter de sa méthode. Pour une raison ou pour une autre, la société de nettoyage qui s’occupait des locaux de la police n’était peut-être pas répertoriée dans l’annuaire. Ou alors, alertée par ses questions, ladite société avait déjà contacté les vrais responsables et la police judiciaire n’allait pas tarder à lui tomber dessus en lui demandant à quoi elle jouait. Elle passa son dix-neuvième appel et renouvela son petit numéro. Comme toutes les autres fois, la personne au standard lui passa quelqu’un d’autre. La même attente interminable…

— Vous dites que vous n’êtes pas satisfaits de nos performances ? dit une voix d’homme énergique dans l’appareil. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus à ce sujet ? Quel est le point en particulier qui ne vous satisfait pas ?

Elle se redressa sur son siège.

Elle n’avait pas prévu ce genre de questions et elle improvisa avec un sentiment de culpabilité pour l’équipe qui travaillait dans l’immeuble et qui allait se voir reprocher des manquements Imaginaires.

— J’effectue cet appel à la demande d’un certain nombre de collègues, tempéra-t-elle en conclusion. Mais vous savez ce que c'est : il y a toujours des grincheux, des insatisfaits, des gens qui ont besoin de critiquer les autres pour exister. Je relaie leurs doléances même si, personnellement, je n’ai jamais eu à me plaindre de l’état de mon bureau.

— Je vais voir ce que je peux faire, répondit l’homme. Je vais insister sur les points que vous venez de souligner. Quoi qu’il en soit, vous avez bien fait de nous appeler. Nous sommes très attentifs à la satisfaction de notre clientèle.

Le discours commercial habituel — mais qui laissait présager quelques savons pour le petit personnel.

— J’insiste, ne soyez pas trop sévère. Ce n’est pas si grave.

— Non, non, je ne suis pas d’accord avec vous. Nous nous efforçons à l’excellence, nous voulons la plus entière satisfaction de la part de nos clients, et nos employés se doivent d’être à la hauteur. C’est la moindre des choses.

Surtout avec les salaires que vous leur versez, songea-t-elle.

— Je vous remercie pour votre professionnalisme. Au revoir.

Dès qu’elle eut raccroché, elle se connecta sur un de ces sites qui proposent les organigrammes, les bilans et les chiffres clés des entreprises. Elle nota le nom du dirigeant de Clarion sur un Post-it. Pas de numéro de téléphone en revanche. Elle rappela donc le standard mais, cette fois, à partir de son poste fixe à la gendarmerie, lequel affichait son nom et son employeur.

— Clarion, répéta la même voix féminine que précédemment.

— Je veux parler à Xavier Lambert, déclara-t-elle en essayant de changer la sienne. Dites-lui qu’il s’agit d’une enquête de gendarmerie, au sujet d’un de ses employés. C’est urgent.

Un silence au bout du fil. La femme de l’autre côté avait-elle reconnu sa voix ? Puis une tonalité.

— Xavier Lambert, dit une voix d’homme un peu lasse.

— Bonjour, monsieur Lambert. Je suis le capitaine de gendarmerie Ziegler, nous menons actuellement une enquête criminelle concernant peut-être quelqu’un travaillant dans une de vos équipes de nettoyage. J’ai besoin de la liste de vos employés.

— La liste de mes employés ? Vous êtes qui, vous dites ?

— Capitaine Irène Ziegler.

— Pourquoi avez-vous besoin de cette liste, capitaine, si ce n’est pas indiscret ?

— Un crime a été commis dans des locaux nettoyés par votre entreprise. Un vol de documents sensibles. On a retrouvé des traces infimes de produits nettoyants industriels sur des papiers qui étaient en contact avec les documents volés. Mais ceci doit rester entre nous.

— Bien sûr, répondit l’homme sans s’émouvoir. Vous avez une commission rogatoire ?