Выбрать главу

— Non. Mais je peux en demander une.

— Faites donc ça.

Merde ! Il allait raccrocher !

— Attendez !

— Oui, capitaine ?

Il semblait s’amuser de son empressement. Elle sentit la colère monter en elle.

— Écoutez, monsieur Lambert… Je peux avoir cette commission dans les heures qui viennent. Seulement, il s’agit d’une course contre la montre. Le suspect a peut-être toujours ses documents chez lui, mais pour combien de temps encore ? On ne sait pas quand ni à qui il va les remettre. Nous voulons le placer sous surveillance. Vous comprendrez donc que chaque minute compte. Et vous n’avez sûrement pas envie de vous rendre complice, même involontairement, d’un crime aussi grave que de l’espionnage industriel.

— Oui, je comprends. Naturellement. Je suis un citoyen responsable et si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider dans le cadre légal… Mais vous comprendrez à votre tour que je ne peux divulguer des informations personnelles au sujet de mes employés sans une bonne raison.

— Je viens de vous la donner.

— Eh bien, disons que j’attendrai que cette… excellente raison soit confirmée par un juge…

La voix de l’homme était teintée d’ironie et d’arrogance. La colère brûlait à présent en elle comme un feu clair. C’était exactement ce dont elle avait besoin.

— Je ne peux certes pas vous accuser d’obstruction à l’enquête, vous avez la loi pour vous, je le reconnais, déclara-t-elle d’une voix très froide. Mais on est assez rancuniers, nous autres, simples gendarmes… Alors, si vous voulez persister dans cette attitude, je vais coller au cul de Clarion l’inspection du travail, la Direction départementale du Travail et de l’Emploi, le COLTI, le Comité de lutte contre le travail illégal… Et ils vont gratter et fouiner partout jusqu’à ce qu’ils trouvent quelque chose, croyez-moi.

— Capitaine, je vous conseille de changer de ton, vous allez trop loin, s’énerva l’homme. Ça ne va pas se passer comme ça. Je vais immédiatement en toucher un mot à votre hiérarchie.

Il bluffait. Elle le devina à sa voix.

— Et si ce n’est pas aujourd’hui, ça sera demain, poursuivit-elle sur le même ton lugubre. Parce qu’on ne va plus vous lâcher, vous pouvez me croire… On va vous coller aux basques comme un chewing-gum sous une semelle. Parce que je n’aime ni votre ton ni votre attitude. Et parce qu’on n’oublie jamais rien, nous autres. J’espère qu’il n’y a pas la moindre irrégularité dans votre gestion du personnel, monsieur Lambert, je vous le souhaite sincèrement, parce que dans le cas contraire vous pouvez faire une croix sur un certain nombre de clients, à commencer par la police…

Un silence à l’autre bout.

— Je vous envoie cette liste.

— Avec toutes les informations qu’elle contient, précisa-t-elle avant de raccrocher.

Servaz roulait sur l’autoroute. L’air était toujours aussi étouffant et immobile, mais la menace d’orage se précisait : les nuages noirs étaient de plus en plus nombreux. La vague de chaleur allait bientôt se résoudre dans le tonnerre et les éclairs. De la même façon, il sentit qu’il approchait d’un dénouement tonitruant. Tout en roulant, il se dit qu’ils étaient plus près qu’ils ne le croyaient. Les éléments étaient là, sous leurs yeux. Il ne leur restait plus qu’à les combiner et à les faire parler.

Il appela Espérandieu et lui demanda de retourner à Toulouse fouiller dans le passé d’Elvis. Il y avait trop de monde dans le lycée en plein jour et Samira ne lâchait pas Margot d’une semelle. Jamais Hirtmann ne passerait à l’action dans ces conditions. À supposer qu’il en eût l’intention, ce dont Servaz commençait de douter. Une fois de plus, il se demanda où était passé le Suisse. Toute certitude le concernant vacillait. Avait-il rêvé être une marionnette et n’y avait-il aucun marionnettiste à l’autre bout ? Ou bien, au contraire, le Suisse était-il tout près, guettant dans l’ombre, jamais très loin, mettant ses pas silencieux dans les siens, se glissant dans les espaces morts, les interstices ? Dans son esprit, Hirtmann ressemblait de plus en plus à un fantôme, à un mythe. Servaz chassa cette pensée. Elle le rendait nerveux.

Il se gara devant le restaurant à l’entrée de Marsac avec quarante minutes de retard.

— Qu’est-ce que tu foutais ?

Margot portait un short, de grosses chaussures à bouts renforcés comme on en met sur les chantiers et un tee-shirt à l’effigie d’un groupe musical qu’il ne connaissait pas. Ses cheveux étaient rouges et maintenus en l’air avec du gel. Il l’embrassa sans répondre et l’entraîna sur le petit pont de bois plein de bacs à fleurs qui franchissait un ruisseau où quelques canards progressaient dignement. Les portes du restaurant étaient grandes ouvertes. L’intérieur était agréablement frais et bruissait de conversations discrètes. Quelques regards accompagnèrent l’entrée de Margot qui les ignora superbement, et un maître d’hôtel les guida vers une petite table fleurie.

— Ils ont des mojitos, ici ? demanda-t-elle une fois assise.

— Depuis quand tu bois de l’alcool ?

— Depuis que j’ai treize ans.

Il la regarda en se demandant si elle plaisantait. Manifestement non. Servaz commanda une tête de veau, Margot un burger. Une télé diffusait l’image de joueurs s’entraînant sur un terrain de football, son coupé.

— Ça me fout les jetons, commença-t-elle sans attendre. Toute cette histoire… cette surveillance… Tu crois vraiment qu’il pourrait…

Elle ne termina pas sa phrase.

— Pas de quoi s’inquiéter, s’empressa-t-il de répondre. Simple précaution. Il n’y a quasiment aucune chance qu’il s’en prenne à toi, ni même qu’il se montre. Je veux juste être sûr à cent pour cent que tu ne risques rien.

— C’est vraiment indispensable ?

— Pour le moment, oui.

— Et si vous ne l’attrapez pas ? Vous allez me surveiller comme ça indéfiniment ? demanda-t-elle en tripotant le faux rubis à son arcade sourcilière.

Servaz sentit son estomac se contracter. Il ne lui dit pas que c’était précisément la question qui le taraudait. Viendrait forcément un moment où la surveillance serait levée, où le parquet déciderait que cela suffisait. Que se passerait-il alors ? Comment ferait-il pour assurer la sécurité de sa fille ? Et pour dormir sur ses deux oreilles ?

— De ton côté, ajouta-t-il sans répondre, tu dois faire attention à tout ce qui te paraît anormal. Si tu vois quelqu’un rôder autour du lycée. Ou si tu reçois des SMS bizarres. N’hésite pas à aller voir Vincent. Tu le connais et vous vous entendez bien tous les deux. Tu sais qu’il t’écoutera.

Elle hocha la tête, pensa à Samira et elle buvant, rigolant et discutant la veille au soir.

— Mais je le répète, aucune raison de s’affoler. C’est juste une mesure de précaution, insista-t-il.

Ça ressemblait à un dialogue de film, pensa-t-il. À quelque chose qu’il avait entendu mille fois. Le dialogue d’un très mauvais film. Une de ces séries Z dans lesquelles le sang coulait en abondance. De nouveau, il se sentit nerveux. Ou bien était-ce l’approche de l’orage qui lui mettait les nerfs à vif ?

— Tu as ce que je t’ai demandé ?

Elle plongea une main dans sa besace en toile kaki et en ressortit une liasse de feuillets manuscrits et cornés.

— Qu’est-ce que tu veux en faire ? Je ne comprends pas pourquoi tu me demandes ça, déclara-t-elle en poussant les feuilles vers lui à travers la table. Tu veux évaluer mon travail ou quoi ?