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Il continua de fouiller.

Des photos d’Elvis adolescent. Un air plus sombre, plus rusé. Un regard par en dessous à l’objectif. Est-ce que Servaz se faisait des illusions ? Quelque chose avait changé. S’était passé. Il n’avait plus la même personne devant lui.

Une femme… Elle se serrait contre Elvis… Son épouse ? Celle qui avait demandé le divorce ? Celle qu’il avait frappée et envoyée à l’hôpital après qu’elle l’eut obtenu ? Sur la photo, elle avait l’air heureuse, confiante. Elle entourait son homme de ses bras, mais, tandis qu’elle fixait joyeusement l’objectif, il regardait ailleurs.

D’autres photos de personnes que Servaz ne connaissait pas. Il referma la boîte. Regarda autour de lui. Suivit distraitement des yeux la piste des excréments laissés par les rats.

L’équipe des enquêteurs avait déjà fouillé ce grenier, il avait lu leur rapport. Ils y avaient cherché des indices, des traces de ceux qui avaient agressé Elvis et l’avaient donné à manger à ses chiens. Et lui, que cherchait-il ? Ce n’était pas les agresseurs d'Elvis qui l’intéressaient dans l’immédiat, c’était Elvis lui-même.

Fouillez mon passé, avait écrit l’Albanais.

Il ne voyait rien ici. Rien d’autre qu’un grenier ordinaire. Il continua de remuer ciel et terre pendant une bonne heure, ouvrant même les emballages des jeux vidéo et des cassettes pornographiques, se demandant s’il allait devoir les visionner au cas où…

Il se faisait l’effet d’un rat.

Comme ceux qui avaient laissé cette piste sur le plancher, telle une caravane dans le désert.

La piste…

Il y avait un endroit où elle s’interrompait. Pour reprendre un peu plus loin. Le regard posé dessus, Servaz sentit un signal s’allumer dans son esprit. Il s’approcha, s’agenouilla. Se pencha. À cet endroit précis, les lattes n’étaient pas aussi bien jointes qu’alentour et la couche de poussière était plus mince. Servaz posa les mains sur les deux lattes mal jointes et les fit bouger sous ses doigts. Ils cherchèrent une prise. La trouvèrent. Il tira. Les deux lattes se soulevèrent. Une cavité en dessous… Une niche. Il y avait quelque chose dedans. Servaz saisit l’objet qui reposait au fond du trou et l’extirpa de sa cachette.

Un classeur.

Il en souleva la couverture rigide et découvrit des intercalaires transparents fixés à une reliure à anneaux. Il commença à les tourner. Le cœur battant. Il tenait quelque chose… S’asseyant plus confortablement sur le plancher poussiéreux, il passa en revue, une par une, les photos.

36.

Diversion

Tu es surveillée. Il faut qu’on trouve le moyen de te sortir d’ici sans qu’ils te voient.

Margot relut le SMS et pianota trois mots :

Pour quoi faire ?

La réponse ne tarda pas. Son smartphone fit son habituel bruit de harpe et elle appliqua son doigt sur l’écran.

Tu as oublié ? C’est ce soir…

Ce soir quoi ? se demanda-t-elle. Puis, tout à coup, cela lui revint. Le Cercle… Ils avaient parlé d’une réunion le 17, l’autre soir, dans la clairière… Elias avait raison : on était le 17 juin. Même que la cour de récréation avait bruissé toute la journée de conversations concernant le match apparemment décisif de ce soir : France-Mexique. Merde ! Elle renonça aux textos et composa directement son numéro.

— Salut, dit-il avec une totale décontraction.

— Bon, alors, je t’écoute : t’as une idée ?

— Oui, j’en ai une…

— Accouche.

Il la lui expliqua. Margot avala sa salive. Ça ne l’emballait pas plus que ça. Surtout lorsqu’elle pensait à ce malade qui traînait peut-être là dehors. Mais Elias avait raison : ce soir, il allait se passer quelque chose. C’était ce soir ou jamais.

— OK, dit-elle. Je me prépare.

Elle coupa la communication, se leva et alla chercher son sweat à capuche le plus sombre ainsi qu’un pantalon noir qui traînait dans son placard. Elle se regarda dans la glace, respira un grand coup et sortit de sa chambre. Le couloir était si silencieux et obscur qu’elle fut tentée un instant de rebrousser chemin et de l’appeler pour lui dire qu’elle laissait tomber.

Dans ces cas-là, il y a une solution, ma vieille : ne pas réfléchir. Pas de « et si ? », pas de « est-ce que j’ai envie de le faire ? ». Bouge-toi !

Elle fila vers l’escalier sur ses baskets silencieuses, descendit les larges degrés en faisant courir sa main sur la rampe de pierre. Le jour était plombé derrière le grand vitrail. Elle perçut le lointain grondement du tonnerre. Parvenue en bas, elle le rappela.

— C’est bon, je suis prête.

— Bouge pas. Au signal. Pas avant…

Planqué dans les bois à l’opposé de l’endroit où se trouvait Margot, Elias avait Samira Cheung dans la binoculaire de ses jumelles. La fliquette balayait le lycée du regard, mais la plupart du temps celui-ci se portait sur la fenêtre de Margot. Elle l’avait laissée ouverte et la lampe de chevet était allumée. La porte par laquelle elle était censée sortir se trouvait juste deux étages en dessous et Samira ne pouvait pas la louper.

Elias mit deux doigts dans sa bouche et émit un long sifflement strident. Aussitôt, il vit la tête de la femme-flic pivoter dans sa direction.

— Maintenant ! dit-il. Fonce !

Margot ouvrit le battant et émergea à l’air libre. Elle sentit aussitôt l’électricité qui était dans l’air, comme le pressentiment d’un événement à venir. Les feuillages frémissaient, les martinets volaient et tournoyaient dans tous les sens, exaspérés par l’approche de l’orage. Elle se baissa comme Elias lui avait dit de le faire et rasa le mur en courant, courbée en avant, jusqu’à l’angle de l’aile ouest. Puis elle fonça vers l’entrée du labyrinthe.

— C’est bon, dit Elias dans son appareil. Elle ne t’a pas vue.

Margot se demanda si cela la rassurait vraiment. Elle était à présent dehors, à découvert — alors que Vincent comme Samira la croyaient à l’abri à l’intérieur. Et le ciel orageux étendait son voile gris sur le labyrinthe de haies comme sur le reste du paysage.

Une minute plus tard, alors qu’elle avançait dans ses allées, Elias surgit devant elle tel un spectre facétieux et son cœur bondit dans sa poitrine.

— Bon Dieu de merde, Elias ! Tu peux pas t’annoncer ?

— Ah ouais ? Pour que ta garde du corps me saute dessus ? Pas envie de me faire attaquer par une nana qui ressemble à un membre de la famille Addams. Tu ne regardes pas le football ?