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— Va te faire foutre.

— Allez, on se dépêche ! (Il s’immobilisa un instant.) Peut-être que leur fameuse réunion, c’est juste pour le match, après tout.

— Ça m’étonnerait, dit-elle en le bousculant. Avance !

37.

Coup de tonnerre

Un coup de tonnerre fit trembler la charpente. Toujours pas de pluie. Servaz l’aurait entendu crépiter sur les tuiles. Il leva les yeux. Le jour déclinait, il faisait de plus en plus sombre dans le grenier. Pourtant, il n’était que 18 heures, un soir de juin.

Il reporta son attention sur le classeur.

Des clichés. Pris avec un appareil numérique de bonne qualité, puis imprimés au format A4. Soigneusement classés et protégés par des intercalaires transparents. Pas de noms — juste des lieux, des dates et des heures. L’imagination n’était pas ce qui caractérisait le plus le photographe. Presque toutes les photos avaient été prises dans les bois, selon le même angle, et représentaient le même sujet ou presque : un homme d’âge mûr, pantalon baissé, copulant dans l’herbe au milieu des fourrés. Invariablement, les clichés suivants montraient l’homme en train de se relever. Invariablement, la série s’achevait par un ou plusieurs gros plans sur le visage du sujet.

Il continua de tourner les pages. La monotonie de l’exercice lui arracha presque un sourire. Les positions adoptées ne témoignaient pas non plus d’une imagination débordante. Plutôt de l'urgence. Un petit coup vite fait. Dans les bois. Clic-clac. Souriez, vous êtes filmés. Servaz se concentra sur la partenaire : l’appât. Sur la plupart des clichés, il ne voyait que ses jambes et ses bras et un coin de chevelure. Il lui semblait apercevoir des taches de rousseur sur la peau pâle, mais c’était difficile à dire à cause de la définition de l’image. Il aurait parié que c’était la même fille chaque fois. Elle avait l’air très jeune, mais ça aussi c’était difficile à dire compte tenu de l’angle de prise de vue. Une mineure ?

Servaz en était à la moitié de l’album et il avait déjà compté une dizaine de sujets différents. Cela faisait un paquet de suspects et de mobiles. Et un tas d’alibis à vérifier… Mais quel rapport avec Claire Diemar ? Une chose était sûre : Elvis ne se contentait pas d’être un dealer, un violeur, un homme violent avec les femmes et un salopard qui envoyait ses chiens se faire massacrer ou en massacrer d’autres dans des combats sordides, c’était aussi un maître chanteur. Tout compte fait, Elvis Konstandin Elmaz était quelqu’un qui voyait les choses en grand, à sa façon. Une crapule king size. Un véritable supermarché de la délinquance à lui tout seul.

Puis il arriva à l’avant-demière photo, et la tête lui tourna. Cette fois, il l’avait, le lien qu’il cherchait. Cette fois aussi, le visage de la complice apparaissait. Une gamine… PAS PLUS DE DIX-SEPT ANS. Il aurait parié qu’elle était élève à Marsac…

Quant à l’avant-dernière victime de la série, il contemplait son visage en gros plan. Le tonnerre retentit à l’extérieur. Plus près… Mais toujours pas de pluie. Il eut l’impression que quelqu’un lui tapotait sur l’épaule, quelqu’un qui lui disait : « Cette fois-ci, on y est. » Mais, bien entendu, il n’y avait personne dans ce grenier. Rien d’autre que lui et la vérité.

Ziegler jeta le mégot à ses pieds et l’écrasa sous le talon de sa botte quand l’homme surgit de l’immeuble, de l’autre côté du boulevard. Elle enfila son casque et enfourcha sa Suzuki. Drissa Kanté se mit en marche le long du trottoir et elle attendit qu’il eût pris un peu d’avance pour glisser sa bécane dans la circulation toulousaine. Il n’alla pas bien loin. Boulevard Lascrosses, il bifurqua vers la place Arnaud-Bernard. Ziegler roula lentement sur la place, vers l’entrée du parking, tout en surveillant sa cible du coin de l’œil et la vit s’attabler à la terrasse d’un bar baptisé l’Escale. Elle descendit la rampe menant au parking souterrain. Pas question de laisser sa moto sans surveillance ici. Trois minutes plus tard, elle émergeait de nouveau à l’air libre.

Drissa Kanté bavardait avec un autre client. Ziegler consulta sa montre, puis se dirigea vers une terrasse suffisamment éloignée de la première, attirant sur sa combinaison de cuir noir et ses cheveux blonds les regards de tous les dealers de cigarettes et de came qui guettaient leur clientèle de toxicos.

— Tu veux du shit, poupée ? lança une voix sur son passage.

10 grammes premier choix contre une pipe.

Elle fut tentée de se retourner pour lui mettre son poing dans la figure, mais ce n’était pas le moment d’attirer l’attention.

— Regarde !

Margot leva la tête. Une vieille Ford Fiesta venait d’émerger de l’allée du lycée sur la route et prenait la direction de la ville. La voiture de David… Elle passa devant eux et ils aperçurent Sarah à côté de David au volant et Virginie à l’arrière. Elias mit le contact et roula lentement hors du chemin, son capot et son pare-brise repoussant les feuillages qui obstruaient le sentier et les dissimulaient en partie.

— Tu n’as pas peur qu’ils nous repèrent ?

Il lui lança un regard amusé.

— Ben, c’est un risque à courir. J’ai jamais fait ça avant. Mais j’ai vu Clint Eastwood le faire plein de fois, tu penses que ça aide ?

Elle haussa les épaules en souriant, mais, dans le fond, elle se sentait extrêmement nerveuse.

— Je ne crois pas qu’ils s’attendent à être suivis, poursuivit-il d’un ton rassurant, comme s’il percevait sa nervosité. Et ils sont sans doute bien trop occupés à discuter et à parler de leur fameuse réunion.

— Le Cercle… commenta-t-elle.

— Le Cercle, confirma-t-il. Bon sang, on dirait le nom d’une de ces associations secrètes, genre francs-maçons, rose-croix ou skulls and bones ! Tu as une idée de ce que ça peut être ?

— Tu m’as laissé un mot où tu me disais que tu savais ce que c’était.

— J’ai jamais écrit ça, j’ai écrit : « J’ai trouvé. »

— Comment ça ?

— Je t’expliquerai. (Il ignora son coup d’œil furieux.) Encore heureux que le football me soûle, dit-il avant de se concentrer sur sa conduite. Tu connais ce jeu de ballon pratiqué par les Romains qui s'appelait sphaeromachia ? Sénèque en parle dans ses Lettres à Lucllius.

— C’est un papillon, dit-elle.

— Quoi donc ?

— Sphaeromachia gaumeri. Tu es sûr qu’ils ne sont pas sur leurs gardes ? Tu oublies qu’ils ont failli nous choper l’autre soir dans le labyrinthe — et qu’ils se savent espionnés…

Il lui adressa un regard mi-figue mi-raisin, haussa les épaules et reporta son attention sur la route.

Servaz descendait les marches de la véranda. L’air était de plus en plus lourd. Il traversa la clairière. Le Cherokee était garé un peu plus loin. Il allait l’atteindre lorsque son œil accrocha quelque chose. Une tache blanche. Dans la végétation sur sa gauche.

Il changea de direction et se dirigea vers elle. Écarta les taillis. Un petit carton pâle au bout d’une tige en plastique plantée dans le sol. Quelqu’un — un des techniciens de scène de crime — avait écrit dessus « mégots »… Servaz fronça les sourcils. Les mégots avaient dû partir au labo. Tout comme ceux qu’il avait trouvés à l’entrée des bois, chez Claire Diemar… La même personne ? Quelqu’un avait épié Claire peu de temps avant sa mort. Ce quelqu’un avait-il fait la même chose ici ? Un témoin ?… Ou l'assassin ? Qui était-il ? Que faisait-il là ? Comment savait-il ? Le nombre de mégots trouvés chez Claire témoignait du temps que la personne avait passé à cet endroit. Ils auraient bientôt son ADN. Mais Servaz doutait qu’il fût dans le fichier.