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Alors, sans raison apparente, il éclata de rire et plusieurs têtes se tournèrent vers la maison.

Ils se réunirent dans une des pièces de la gendarmerie du Marsac. Espérandieu, plusieurs gendarmes de la brigade, Pujol, Sartet, le juge d’instruction qu’on avait tiré de son sommeil et que Pujol avait emmené en voiture, et Servaz. Des visages fatigués, des hommes sortis de leur lit qui, à tour de rôle, jetaient des coups d’œil inquiets dans sa direction. On avait aussi fait venir un médecin de garde à la gendarmerie. Il avait examiné les plaies de Servaz et les avait nettoyées.

— Quand avez-vous fait le vaccin antitétanique pour la dernière fois ?

Servaz avait été incapable de répondre. Dix ans ? Quinze ans ? Vingt ? Il n’aimait ni les hôpitaux ni les médecins.

— Relevez vos deux manches, avait dit le praticien en fouillant dans sa trousse. Je vais vous injecter 2.50 unités d’immunoglobulines dans un bras et une dose de vaccin dans l’autre en attendant. Et je veux que vous passiez à mon cabinet le plus tôt possible pour faire le test. Je suppose que vous n’avez pas le temps cette nuit ?

— Vous supposez bien.

— Je crois que vous devriez surveiller un peu plus votre santé, avait dit le toubib en enfonçant l’aiguille dans son bras.

De sa main libre, Servaz tenait un gobelet de café.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Quel âge avez-vous ?

— Quarante et un.

— Eh bien, il est temps, je crois, de vous occuper un peu de vous, avait-il ajouté en hochant la tête avec conviction. Si vous ne voulez pas avoir de mauvaises surprises.

— Je ne comprends toujours pas.

— Vous ne faites pas beaucoup de sport, n’est-ce pas ? Suivez mon conseil et pensez-y. Venez me voir… quand vous aurez le temps.

Le médecin était reparti, avec sans doute la conviction qu’il ne reverrait jamais ce patient. Servaz s’était dit que ce toubib lui plaisait. Il ne se souvenait pas de la dernière fois où il en avait vu un, mais, si celui-ci avait exercé à Toulouse, il aurait sans doute suivi son conseil, pour une fois.

Son regard fit le tour de la table. Il leur résuma sa conversation avec Van Acker, ainsi que les dernières découvertes : le résultat négatif de la comparaison graphologique, les photos trouvées dans le grenier d’Elvis.

— Ce n’est pas parce que votre ami n’a pas écrit dans ce cahier que cela l’innocente automatiquement, fit immédiatement remarquer le juge d’instruction. Jusqu’à preuve du contraire, il connaissait les victimes, il a eu l’opportunité et il a le mobile. Si vous me dites qu’en plus il se fournissait en drogue chez ce dealer, il me semble que nous avons assez d’éléments pour envisager une garde à vue. Mais je tiens à vous rappeler que j’ai demandé la levée de l’immunité parlementaire de Paul Lacaze. Alors, on fait quoi ?

— Ce sera une perte de temps. Je le répète, je suis convaincu que ce n’est pas lui.

Il hésita.

— Et je ne crois pas à la culpabilité de Paul Lacaze non plus, ajouta-t-il.

— Pourquoi ça ?

— D’une part parce que vous l’avez déjà dans le collimateur. À quoi cela l’avancerait de me tendre un piège à ce stade alors qu’il refuse de dire où il était le soir où Claire Diemar a été tuée ? Ça n’a pas de sens. Par ailleurs, il ne fait pas partie des types pris en photo par Elvis, il n’est pas dans son petit catalogue de fesses à l’air.

— Il a tout de même menti sur son emploi du temps.

— Parce que, d’une manière ou d’une autre, si ce qu’il faisait ce soir-là venait à se savoir, sa carrière politique serait finie.

— Il est peut-être gay, suggéra Pujol.

— Vous avez une idée de ce que ça peut être ? demanda le juge en ignorant la remarque de son adjoint.

— Pas la moindre.

— Une chose est sûre, commença le juge.

Ils le regardèrent.

— Si quelqu’un vous tire dessus, c’est que vous vous approchez de la vérité. Et que cette personne ne reculera devant rien…

— Ça, on le savait déjà, dit Pujol.

— Par ailleurs, poursuivit le juge en s’adressant ostensiblement à Servaz, l’avocat d’Hugo Bokhanowsky a demandé une nouvelle fois sa libération. Dès demain, le juge des libertés va examiner su requête. Il ira sans aucun doute dans le sens de la défense. Compte tenu des derniers événements, et de l’état actuel du dossier, je ne vois aucune raison de maintenir ce jeune homme on détention provisoire.

Servaz se garda de dire que, pour sa part, il l’aurait libéré depuis un certain temps déjà. Ses pensées étaient ailleurs. L’une après l’autre, toutes les hypothèses qu’il avait échafaudées s’effondraient. Hirtmann, Lacaze, Van Acker… Le juge et l’assassin avaient tous les deux tort : ils ne s’approchaient pas de la vérité. Ils s’en éloignaient, au contraire. Ils n’avaient jamais été aussi perdus depuis le début de l’enquête. À moins que… Servaz les regarda pensivement. À moins que, sans s’en rendre compte, il fût passé tout près… Comment expliquer autrement qu’on lui ait tiré dessus ? Auquel cas il devait reprendre une par une, minutieusement, les différentes étapes de l’enquête, chercher à quel moment il avait pu frôler l’assassin sans le voir — ou en tout cas lui faire assez peur pour qu’il ait pris un tel risque.

— Je n’en reviens toujours pas, dit soudain le juge.

Servaz lui jeta un coup d’œil interrogateur.

— On s’est ridiculisés.

Servaz se demanda de quoi il parlait.

— Je n’ai jamais vu une équipe de France jouer aussi mal ! Et ce qui s’est passé dans les vestiaires à la mi-temps, si c’est vrai, c’est incroyable…

Un murmure de désapprobation générale accueillit cette remarque. Servaz se souvint alors qu’il y avait eu un match « décisif » plus tôt dans la soirée. France-Mexique, si sa mémoire était bonne. Il n’en croyait pas ses oreilles. Il était 2 heures du matin, il venait peut-être d’échapper à la mort et on parlait football !

— Qu’est-ce qui s’est passé dans les vestiaires ? voulut savoir Espérandieu.

Peut-être qu’une bombe avait explosé, volatilisant la moitié de l’équipe ? se dit Servaz. Ou qu’un joueur en avait tué un autre ? Ou que le sélectionneur que tout le monde conspuait s’était fait hara-kiri devant ses joueurs ?

— Anelka aurait insulté Domenech, dit Pujol d’un ton scandalisé.

Et après ? C’est tout ? Servaz était abasourdi. Tous les jours, dans les commissariats comme dans la rue, des flics se faisaient insulter et cracher dessus. Cela prouvait simplement que l’équipe de France était bien le reflet de la société.