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— Anelka, c’est ce joueur qui a été sorti la dernière fois avant la fin du match ?

Pujol acquiesça.

— Pourquoi l’avoir fait jouer de nouveau s’il est si mauvais ? voulut savoir Servaz.

Tout le monde le regarda comme s’il avait posé là une excellente question. Et comme si y répondre avait presque autant d'importance que de trouver l’assassin.

40.

Cerné

Les notes de Singing In The Rain pénétrèrent sa conscience ensommeillée. Ziegler eut la vision fugitive d’un Malcolm McDowell portant chapeau melon et la frappant à coups de pied tout en chantonnant et en dansant avant d’être arrachée à son rêve. Son portable insistait. Elle roula sur le ventre et tendit le bras vers la table de nuit en grommelant. La voix ne lui était pas familière.

— Capitaine Ziegler ?

— Elle-même. Bon sang, quelle heure il… ?

— Je… euh… ici M. Kanté. Écoutez, je… je suis désolé de vous réveiller, mais je… je… j’ai quelque chose d’important à vous dire. C’est vraiment important, capitaine. Je n’arrivais pas à dormir. Je… je me suis dit qu’il fallait que je vous le dise. Que si je ne le faisais pas maintenant, je n’aurais plus le courage ensuite…

Elle alluma la lampe. Le radioréveil indiquait : 2 :32. Quelle mouche le piquait ? La voix, cependant, était celle d’un homme stressé mais résolu. Elle retint son souffle. Drissa Kanté avait quelque chose à lui dire. D’important, elle l’espérait, vu l’heure.

— Me dire quoi, monsieur Kanté ?

— La vérité.

Elle se mit sur son séant, s’assit contre les oreillers.

— Que voulez-vous dire ?

— Je vous ai menti, ce soir… je… j’avais peur… Peur que cet homme n’exerce des représailles, que si vous l’arrêtez je sois jugé moi aussi — et expulsé. Votre marché, il tient toujours ?

Elle sentit son pouls se précipiter. Son cerveau était encore embrumé mais elle était néanmoins de plus en plus réveillée.

— Je vous ai donné ma parole, répondit-elle finalement comme Il restait silencieux. Personne n’en saura rien. Mais je vous tiendrai à l’œil, Kanté.

Elle devina qu’il soupesait chacune de ses paroles. Mais il l’avait appelée ; il avait déjà pris sa décision. Il l’avait mûrement réfléchie avant de passer ce coup de fil. Elle attendit patiemment, en sentant ses pulsations au bout de ses doigts serrant le téléphone.

— Ils ne sont pas tous comme vous, dit-il. Et si l’un de vos collègues vend la mèche ? Et s’il me dénonce ? J’ai confiance en vous, pas en eux…

— Votre nom n’apparaîtra nulle part. Je vous le promets. Et je suis la seule à le connaître. Vous m’avez appelée, Kanté. Alors, maintenant, crachez le morceau. Parce qu’il est trop tard : je ne vais plus vous lâcher.

— Cet homme. Il n’a pas l’accent sicilien.

— Je… je ne comprends pas très bien.

— Je vous ai dit qu’il avait un accent, un accent italien, vous vous souvenez ?

— Oui. Et alors ?

— Je vous ai menti. Il a un accent des pays de l’Est, un accent slave.

Elle fronça les sourcils.

— Vous en êtes sûr ?

— Oui. Croyez-moi, j’ai croisé pas mal de gens au cours de mes… pérégrinations.

— Merci… Mais vous ne m’appelez pas à une heure pareille uniquement pour ça, je me trompe ?

— Non… ce n’est pas tout.

Elle se fit tout à coup très attentive. Il y avait quelque chose dans la voix de Drissa Kanté.

— Je… je l’ai fait suivre… Il se croit très malin. Mais je suis plus malin que lui. Hier, quand je lui ai rendu la clé USB, j’ai demandé à une de mes amies de se planquer de l’autre côté de la rue et de le suivre, quand il repartirait du café. Il était garé loin et il a fait bien attention mais mon amie est maligne, elle aussi. Elle sait se rendre invisible. Elle l’a vu monter dans une voiture. Et elle a noté l’immatriculation.

Elle se redressa comme si elle venait de recevoir un coup de sabot dans le bas des reins. Se contorsionna pour attraper un stylo dans le tiroir de la table de nuit et vérifia qu’il fonctionnait sur la paume de sa main.

— Allez-y, Kanté, je vous écoute.

Il était 2 heures du matin lorsque Margot avait regagné sa chambre, épuisée et à bout de nerfs. En se demandant si elle ne venait pas de vivre la soirée la plus dingue de sa vie. Elle se demandait aussi si ce qu’ils avaient vu là-haut, au bord du lac, était réel. Et si c’était important. Elle avait la conviction que oui. Elle n’aurait pu expliquer pourquoi, mais ce spectacle lui avait laissé une profonde impression de malaise, un sentiment sinistre et tenace de catastrophe à venir. Et puis, il y avait eu les menaces de David et sa tentative de viol, le mot laissé sur son casier, les conciliabules qu’Elias et elle avaient surpris…

Ensuite, ce qui s’était passé entre Elias et elle là-haut, dans la voiture. Son attitude tout à coup. Jusqu’à ce soir, elle n’avait jamais pensé qu’Elias pût être attiré par elle, il ne l’avait même pas regardée la nuit où elle avait ouvert sa porte en sous-vêtements… Et, jusqu’à ce soir, elle ne s’était jamais sentie attirée par lui… Elle se souvint aussi de la colère dans ses yeux après la gifle. Elle regrettait ce geste. Elle aurait pu se contenter de le repousser sans l’humilier. Le voyage de retour avait été long et pénible ; Elias s’était muré dans le silence — et il avait soigneusement évité de la regarder.

Elle repensa à leur baiser. Un baiser forcé, un baiser-stratagème — mais un baiser quand même… Un peu plus d’un an auparavant, elle avait eu un amant de l’âge de son père, très expérimenté. Marié et père de deux enfants. Il avait brutalement mis fin à leur relation sans explication, et elle soupçonnait son père d’y être pour quelque chose. Elle avait eu trois aventures depuis lors. En tout et pour tout, elle avait connu une demi-douzaine d’hommes. À part sa première expérience calamiteuse à quatorze ans, Elias était certainement le moins expérimenté. Ses nombreuses compétences ne s’étendaient pas à ce domaine, elle l’avait bien senti à la façon dont il l’avait embrassée. Alors pourquoi avait-elle envie de recommencer le plus vite possible ?

Elle comprenait que le stress, l’excitation, la peur qu’ils avaient éprouvés ensemble avaient joué. Mais ce n’était pas la seule explication. Maladroit ou pas, aussi bizarre et imprévisible fût-il dans son comportement, elle se rendait compte qu’Elias lui plaisait. Puis sa pensée revint à autre chose.

Elle devait prévenir son père.

D’une manière ou d’une autre, ce qu’ils avaient vu avait un rapport avec ce qui était arrivé à sa prof, elle en était persuadée. Elle devait se concentrer là-dessus. Elle était tenaillée par un inexplicable sentiment d’urgence. Pourquoi ne la rappelait-il pas ? Ses pensées ne cessaient d’aller et venir. Son père, Elias… Elle imagina ce dernier dans sa chambre à se morfondre et, brusquement, elle ressentit le besoin de lui faire savoir qu’elle non plus n’était pas indifférente à ce qui s’était passé. Elle attrapa son smartphone et pianota un message :

[Tu es là ?]

La réponse fut longue à venir :

[ ?]

[Rejoins-moi en bas, dans le hall]