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— C’est vous qui avez suivi l’affaire ?

— Exact. (L’homme fit un pas dans leur direction.) Et croyez-moi, c’est la seule fois de ma vie professionnelle où j’aurais préféré laisser le scoop à quelqu’un d’autre…

— Que voulez-vous dire ?

— Quand je suis arrivé sur place, le bus était déjà au fond de l’eau. J’ai vu pas mal de choses dans ma vie, mais ça… Les pompiers de la vallée étaient là. Il y avait même un hélico du secours en montagne. Les pauvres gars étaient anéantis. Ils avaient fait tout leur possible pour sortir le maximum d’enfants avant que le bus ne disparaisse dans le lac, mais ils n’avaient pas réussi à les sauver tous et un des leurs était resté coincé au fond avec les gosses. Deux autres pompiers, qui se trouvaient dans le bus quand celui-ci a versé dans le lac, sont parvenus à rejoindre la surface en nageant. Ils ont replongé dans la flotte, bien que leur connard de capitaine leur ait interdit de le faire, et ils ont encore réussi à en tirer un d’affaire mais les autres étaient déjà morts, noyés ou écrasés. Et, pendant tout le temps ou presque qu’ont duré les opérations, ce putain de phare a continué de fonctionner envers et contre tout. Malgré tous les chocs que l’autocar avait reçus, vous vous rendez compte ? On aurait dit… je ne sais pas, moi : un œil lumineux… C’est ça : l’œil d’un putain d’enfoiré d’animal mythologique, genre monstre du Loch Ness, vous voyez ? avec des enfants dans le ventre, là, au fond de ce lac… On devinait la forme du bus… Il m’a même semblé apercevoir… Et merde ! ajouta-t-il.

Et sur cette dernière phrase il eut nettement la gorge serrée.

Servaz songea à la lampe torche enfoncée dans celle de Claire noyée au fond de sa baignoire, et à la position bizarrement tordue que son assassin lui avait donnée… Il eut le plus grand mal à dissimuler son trouble. L’homme s’avança, fit descendre ses lunettes à grosse monture sur son nez et se pencha pour lire ce qui était écrit sur l’écran.

— Mais le pire, c’est quand les corps de certains enfants ont commencé à remonter à la surface, poursuivit-il. Les fenêtres étaient cassées et le bus couché sur le flanc. Plus de la moitié des enfants sont restés coincés là-dessous mais les autres, au bout de quelques heures, ont fini par se libérer de leurs ceintures ou de ce qui les retenait et ils ont fait ce que font tous les noyés quand ils n’ont pas un quintal de béton aux pieds. Ils sont remontés… comme des putains de ballons, comme des pantins flottant à la surface.

Comme des poupées dans une piscine, songea Servaz. Dieu Tout-Puissant ! L’homme parut s’extirper de ses souvenirs et, tout à coup, il eut l’air d’un chien qui a flairé un os enterré dans le sol.

— Dites. Pourquoi cette vieille histoire intéresse des flics de Toulouse, tout à coup ? (Servaz vit le regard du journaliste passer de son adjoint à lui puis s’allumer comme un feu de Bengale.) Sainte merde ! Claire Diemar ! La prof assassinée… Elle était dans le bus, elle aussi !

Merde, en effet, pensa Servaz. Il vit les rouages du reporter se mettre en branle avec un bel ensemble.

— Bordel de merde ! Morte noyée dans sa baignoire ! Vous croyez que c’est un des enfants qui a fait le coup, c’est ça ? Ou bien un parent ? Mais pourquoi six ans après ?

— Tirez-vous, dit Servaz.

— Quoi ?

— Cassez-vous.

Il vit le journaliste se rembrunir.

— Je vous préviens : dès demain il y aura un article dans La République. Vous êtes sûrs que vous n’avez rien à déclarer ?

— Dehors !

— On est mal, dit Espérandieu quand il eut disparu.

— Continuons de chercher.

Les articles suivants faisaient état de la relaxe du chauffeur, faute de preuves. À mesure que le temps passait, les articles, s’espaçaient. L’actualité chassait l’actualité. De temps à autre, un papier évoquait le drame — de plus en plus brièvement — quand un fait nouveau apparaissait. Comme lorsqu’ils tombèrent sur l’article suivant :

TRISTE IRONIE DU SORT :
LE CHEF DES POMPIERS DU BUS MAUDIT
SE NOIE DANS LA GARONNE

— À croire que la Faucheuse tient ses comptes à jour, commenta Espérandieu, philosophe.

Mais Servaz sentit tous ses signaux d’alarme clignoter en lisant l’article en diagonale :

Cette nuit, l’un des acteurs du drame de Néouvielle a trouvé la mort dans des circonstances qui rappellent étrangement la mort qu’il est lui-même parvenu à éviter à d’autres l’année dernière. Il semble — bien que l’enquête n’en soit qu’à ses débuts — que l'ancien chef des pompiers qui avaient tenté de secourir les enfants du bus accidenté au lac de Néouvielle, en juin dernier, accident au cours duquel 17 enfants avaient trouvé la mort, se soit battu pour des raisons encore inconnues avec une bande de sans-abris qui traînaient sur le Pont-Neuf à Toulouse. Un témoin ayant assisté de loin à la scène a déclaré que le ton était rapidement monté entre les quatre SDF et leur victime pour une histoire de cigarette, puis que « tout avait basculé très vite ». Après l’avoir roué de coups, les marginaux ont jeté le chef des pompiers du haut du pont. Son corps a été repêché après que le témoin eut prévenu la police, mais il était trop tard, la victime ayant heurté un des piliers du pont dans sa chute. Les agresseurs sont activement recherchés. Bertrand Christiaens, 51 ans, avait été muté à Toulouse à peine un mois plus tôt.

— Merde ! s’exclama Servaz en se levant d’un bond. Appelle la division ! JE VEUX TOUT LE MONDE SUR LE COUP ! Trouvez la liste de toutes les personnes qui ont participé de près ou de loin à ce drame et passez-les à la moulinette des fichiers ! Dis-leur que ça urge, que la presse est déjà sur le coup ! Dis-leur qu’on a les journalistes aux fesses !

Une fois connectée à l’ordinateur de son bureau, il fallut à Irène Ziegler moins de trois minutes pour obtenir l’identité du propriétaire du véhicule avec l’immatriculation fournie par Drissa Kanté. Et à peine deux de plus pour découvrir sa profession.

« Zlatan Jovanovic, agence de détectives privés. Filatures/Surveillances/Enquêtes. À votre disposition 24 h/24 et 7J/7. Déclaré en préfecture. »

L’adresse se trouvait à Marsac…

Irène se rejeta dans son fauteuil en fixant l’écran de son ordinateur. Marsac… Et si son hypothèse de départ n’était pas la bonne ? Si ce n’était pas Hirtmann qui avait payé pour espionner Martin ? Un détective à Marsac… L’enquête menée par Martin se concentrait sur la ville. Elle consulta sa montre. Elle avait rendez-vous au tribunal d’Auch pour une histoire de violences conjugales dans laquelle elle était citée à comparaître. Elle était ensuite attendue dans le bureau du commandant de compagnie. Au moins deux heures de perdues. Sans doute plus. Ensuite, elle filerait à Marsac trouver ce Zlatan.

Elle n’avait aucune commission rogatoire, mais elle trouverait bien quelque chose.

Elle se leva et attrapa sa casquette, essuya quelques pellicules sur sa chemise d’uniforme. Sur le mur, une affiche représentait un couple de gendarmes posant pour la plus grande gloire de la gendarmerie. Des mannequins sortis d’un press-book selon toute vraisemblance. Ils ressemblaient à Barbie et Ken. Ziegler baissa les yeux sur son uniforme en soupirant.