Выбрать главу

— Il faut s’occuper de ce flic, dit David.

Il avait parlé d’une voix atone, exsangue. Virginie le regarda, mais elle ne dit rien, pour une fois. Ils se tenaient dans cette chapelle abandonnée au milieu des bois, à deux cents mètres environ du lycée, où ils avaient l’habitude de se retrouver pour boire, comploter et fumer des pétards. Assis à même le sol.

— C’est à moi de m’en charger, ajouta-t-il au bout d’un moment.

Il fit circuler la pipe dont l’eau avait pris une couleur verdâtre.

— Qu’est-ce que tu comptes faire ?

— Vous verrez bien.

Comme c’est toujours le cas, le dossier sur la disparition de Joachim Campos avait commencé par un appel. Celui de sa petite amie qui l’attendait au restaurant La Pergola le soir du 19 juin 2008 et qui s’était étonnée de son retard puis avait paniqué quand il n’était pas venu. Le rapport expliquait qu’elle avait essayé de le joindre sur son portable à vingt-trois reprises au cours de la soirée mais qu’elle était tombée chaque fois sur son répondeur. Elle avait aussi laissé pas moins de dix-huit messages, inquiets, furieux, menaçants, paniqués, implorants, ce qui témoignait d’une certaine suite dans les idées.

En sortant du restaurant une heure plus tard, elle s’était rendue directement au domicile de son copain, à une quinzaine de kilomètres de là. Vide. Sa voiture n’était pas non plus sur le parking.

Elle avait très mal dormi cette nuit-là. Selon tous les témoignages rassemblés par les enquêteurs, Joachim était beau gosse, plutôt flirteur avec les femmes, et elle avait passé toute la nuit à se ronger les sangs. Le lendemain, elle s’était fait porter pâle à son boulot et s’était rendue au sien. Joachim n’était plus chauffeur de bus. Même si la justice n’avait retenu aucune charge contre lui, il avait été licencié pour une autre faute par son employeur six mois après l’accident. Il était magasinier dans une grande surface. Un job qui lui donnait nettement moins d’occasions de flirter avec de belles inconnues. À son travail, on avait expliqué à sa fiancée que Joachim ne s’était pas présenté ce matin-là. C’était vers le milieu de l’après-midi qu’elle avait décidé de contacter la gendarmerie. Qui lui avait fait comprendre qu’il n’y avait pas grand-chose à faire. Quarante mille personnes disparaissent en France chaque année. Quatre-vingt-dix pour cent sont retrouvées dans les semaines qui suivent. Tout adulte a le droit de refaire sa vie et de changer d’adresse sans communiquer celle-ci à ses proches ou à ses amis. Des hommes en particulier — mais aussi des femmes — faisaient ça. S’il s’était agi d’un enfant, ils auraient organisé des battues, mobilisé des plongeurs pour sonder les lacs du coin. Mais un adulte qui disparaît, ce n’est qu’un chiffre de plus dans les statistiques. Pour qu’elle soit considérée comme « inquiétante », la disparition devait concerner un adulte en mauvaise santé ou bien sous curatelle ou encore qu’il y ait des éléments donnant à penser que le disparu l’avait fait contre son gré. Rien de tel ici.

Mais la fiancée de Joachim Campos, comme en témoignaient les cinquante-trois nouveaux appels qu’elle avait passés au téléphone portable de l’ex-chauffeur par la suite, était du genre têtu.

Elle avait harcelé la gendarmerie, la police, et finalement obtenu gain de cause quand un témoin de dernière minute était apparu dans le dossier, affirmant qu’il avait vu quelqu’un répondant au signalement de Joachim à bord d’une vieille Mercedes grise le soir de sa disparition — et ce à quelques kilomètres à peine du restaurant où il avait rendez-vous. Or, l’ancien chauffeur de bus conduisait une Mercedes grise et ça le nouveau témoin ne pouvait pas le savoir. Détail intéressant, selon le même témoin, il y avait deux autres personnes dans la voiture.

— Tout le monde sait que M. Campos aimait les jolies femmes, avaient répondu les gendarmes en coulant un regard en biais vers la (l’ex ?) fiancée.

— Deux hommes, leur avait précisé le témoin.

Le dossier avait été versé dans les disparitions inquiétantes. Pour d’obscures raisons de procédure, il avait alors été repris par la police de Toulouse. Qui avait assuré le minimum syndical et, comme toujours dans ces cas-là, le proc s’était empressé de classer l’affaire faute d’éléments probants. Après quoi, Joachim Campos s’en était allé rejoindre les trois pour cent statistiques qu’on ne retrouve jamais.

Servaz sortit une par une les feuilles du dossier. Il en tendit la moitié à Espérandieu. Il était 14 h 28.

À 15 h 12, Servaz commença à se pencher sur le relevé des appels entrant et sortant du téléphone cellulaire de Joachim Campos. On n’avait jamais retrouvé l’appareil, mais, sur réquisition du parquet, son opérateur avait fourni — à partir du numéro — le relevé des appels aux enquêteurs.

Un numéro revenait un très grand nombre de fois, le soir de la disparition et les jours suivants — et Servaz sut, avant même de l’avoir vérifié, qu’il s’agissait de celui de l’opiniâtre fiancée. D’autres personnes avaient tenté d’appeler le chauffeur au cours des journées suivantes : sa sœur, ses parents et un numéro qui s’avéra (après que Servaz eut farfouillé dans le rapport d’enquête) appartenir à une jeune femme mariée, mère de deux enfants en bas âge, qui avait une liaison avec Joachim depuis plusieurs mois.

À 15 h 28, Servaz s’intéressa à la localisation des derniers appels passés et reçus par Joachim Campos, c’est-à-dire aux bornes-relais que son mobile avait activées sur son passage au cours des dernières heures ayant précédé et suivi sa disparition. Lesquelles pouvaient peut-être permettre de retracer un itinéraire.

La fiancée, songea-t-il soudain.

Servaz était en train de fixer une ligne correspondant à l’un des innombrables appels qu’elle avait passés, dans son désespoir, depuis le restaurant La Pergola où elle dînait seule et inquiète.

Ta persévérance va peut-être finir par payer, on dirait, lui lança-t-il mentalement en voyant le toponyme sur la feuille.

— Une carte, dit-il. Il me faut une carte des Pyrénées centrales.

Espérandieu le regarda d’un air ahuri.

— Une carte ?

Vincent pianota sur le clavier de son ordinateur et ouvrit Google Maps.

— La voilà, ta carte.

Servaz regarda l’écran.

— Tu ne peux pas élargir un peu ?

Espérandieu déplaça le curseur vertical vers le bas et le territoire couvert par la carte s’agrandit tandis que les distances entre les villages diminuaient à l’écran.

— Un peu plus vers le sud et l’est, dit Servaz.

Son adjoint obtempéra.

— Là, dit Servaz en posant son doigt.

Espérandieu regarda l’endroit indiqué. Le restaurant La Pergola.

— Oui. Et alors ?

— Là, le restaurant, là, la dernière borne-relais qui ait enregistré le passage du mobile de Joachim Campos. C’est à 30 kilomètres du restaurant, mais dans la direction opposée à son domicile. Un témoin affirme avoir aperçu quelqu’un ressemblant à Joachim à bord de sa Mercedes à proximité du restaurant environ une demi-heure avant que la borne-relais ait enregistré le passage de Campos. En compagnie de deux personnes. En admettant que ce témoin n’ait pas halluciné, cela signifie que Campos n’allait pas chez lui.