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— Chouette.

— C’était une erreur.

— Quoi donc ?

— Cette plongée.

— Je sais.

— Il va falloir que j’explique ça à ma hiérarchie.

Il grimaça. Elle allait avoir de nouveaux ennuis, il le savait. Et encore une fois à cause de lui.

— Je suis désolé. Je prendrai tout sur moi. Je vais voir avec Sartet et le proc si on ne peut pas antidater une réquisition… Sinon je dirai que je t’ai menti, que j’ai prétendu en avoir une. Je confirmerai s’ils m’interrogent.

— Mmm. De toute façon, ils ne vont pas me révoquer pour ça. Et, pour le reste, ils ne peuvent guère me faire plus qu’ils ne m’ont déjà fait… Et puis, il y a le cadavre : ça justifie tout, non ?

— On en est où avec la voiture et le corps ?

— Cette fois, ils mettent le paquet : ils sont en train de sortir tout ça du lac. Le corps va partir à l’autopsie dès cette nuit. Tout le monde est sur le pied de guerre.

Il entendait la rumeur insistante de l’orage derrière la fenêtre de sa chambre, et les bruits ordinaires d’un hôpital de l’autre côté de la porte : voix des infirmières, bruits de pas dans les couloirs, chariots qu’on roule…

— Je suis seul ici ?

— Oui. Tu veux que je mette quelqu’un devant ta porte ?

— Pour quoi faire ?

— Tu oublies qu’on t’a tiré dessus, la nuit dernière ? Tu ne vois rien, tu es encore plus vulnérable… Et c’est un hôpital. On entre et on sort comme dans un moulin.

Il soupira.

— Personne, à part la police, ne sait que je suis ici, répondit-il.

Elle lui serra la main. Puis il l’entendit repousser sa chaise.

— En attendant, il faut que tu te reposes. Tu veux un calmant ? L’infirmière peut t’en donner un.

— Sous forme liquide uniquement. Et seulement s’il a au moins douze ans d’âge.

— J’ai bien peur que celui-là ne soit pas remboursé par la Sécurité sociale. Repose-toi. J’ai quelque chose à voir de mon côté.

Il se redressa insensiblement. Il avait perçu la tension dans sa voix.

— Ça a l’air important.

— Ça l’est. Je t’en dirai plus demain matin. Il y a un certain nombre de choses qu’il faut que je te dise.

Il devina son embarras.

— Quel genre ?

— Demain.

Ziegler s’arrêta sous la marquise de l’hôpital et regarda la pluie tomber à verse sur le parking. Vit la foudre former un arc électrique dans le ciel qui tournait à la nuit. L’instant d’après, le tonnerre fit trembler l’air.

Elle remonta la fermeture de son blouson, passa son casque et courut jusqu’à sa bécane. Elle démarra en tendant précautionneusement les jambes vers le sol et quitta le parking lentement : l’averse estivale avait transformé la route en torrent. Elle descendit vers le centre de Marsac, se glissant comme une ombre dans les rues désertes, roulant au ralenti sur les pavés inondés. Il était presque 20 heures et elle se demanda si elle le trouverait chez lui ou à son bureau. L’adresse professionnelle était la plus proche. Lorsqu’elle leva les yeux vers la façade jaune de l’immeuble bon marché, dans le centre-ville, elle vit que les fenêtres au dernier étage étaient allumées. Son instinct de chasseur se réveilla aussitôt. L’adrénaline courait dans ses veines. Il y avait longtemps qu’elle ne s’était pas livrée à la chasse — la vraie : celle qui procurait des sensations que même le sexe ou la moto ne pouvaient lui apporter. Elle se gara sur le trottoir, retira son casque, lissa ses cheveux blonds ruisselants et se dirigea vers la porte. Il n’y avait pas d’interphone ni de fermeture électrique et elle se contenta de monter l’escalier grinçant jusqu’au dernier étage, laissant des traces humides sur les marches. Elle pressa la sonnette et attendit.

— Ouaip ? répondit une voix dans l’interphone au bout d’une vingtaine de secondes.

— M. Jovanovic ?

— Hmm…

— Je m’appelle Irène Ziegler et je voudrais faire appel à vos services.

— C’est fermé. Revenez lundi.

— Je voudrais faire suivre mon mari. Je sais que vos tarifs ne sont pas donnés, mais je suis prête à payer le prix fort. Accordez-moi un quart d’heure, s’il vous plaît.

Pendant quelques secondes supplémentaires, il n’y eut que le silence troublé par le grésillement de l’interphone — puis le verrou électrique de la porte retentit et elle poussa le battant qui résista quelque peu avant de céder. Elle découvrit le minuscule appartement qui sentait le renfermé et le tabac froid. De la lumière au fond du couloir, derrière une porte entrebâillée. Elle marcha jusque-là. La repoussa. Zlatan Jovanovic était en train d’enfermer des documents dans un coffre. Un modèle ancien, guère plus efficace qu’un placard. Un vrai professionnel n’aurait pas mis plus d’une minute à le forcer. Elle comprit que le coffre était juste là pour impressionner la clientèle. C’était son petit truc à lui, il devait faire ça à chaque nouveau client : le coup des documents mis au coffre. Les documents importants devaient se trouver ailleurs ; vraisemblablement sous forme binaire dans la mémoire cryptée d’un ordinateur Il referma la lourde porte et tourna le barillet. Puis il se laissa tomber dans son fauteuil pivotant de P-DG.

— Je vous écoute.

— Pas mal, le coup du coffre. Ça en jette.

— Pardon ?

— Un peu daté, non, comme modèle ? Je connais au moins une vingtaine de personnes qui l’ouvriraient les yeux bandés et une main attachée dans le dos.

Elle vit les yeux du bonhomme s’étrécir.

— Vous n’êtes pas ici pour un mari volage, je me trompe ?

— Perspicace.

— Vous êtes qui ?

— Drissa Kanté, ça vous dit quelque chose ?

— Jamais entendu parler.

Il mentait. Une infime rétractation des pupilles. Malgré tout son sang-froid de joueur de poker, il avait reçu le nom comme une gifle.

— Écoute, Zlatan — tu permets que je t’appelle Zlatan ? — je n’ai pas vraiment le temps, là… Alors, si on pouvait éviter les préliminaires…

Elle sortit de sa poche une clé USB qu’elle fit glisser sur le bureau devant lui.

— Ça ressemble à ça, la clé que tu as donnée à Kanté ?

Il ne la regarda même pas. Il la fixait, elle.

— Je répète ma question : vous êtes qui ?

— La personne qui va t’envoyer en zonzon si tu ne réponds pas aux miennes, de questions.

— Mon activité est légale, je suis déclaré en préfecture.

— Et faire installer des logiciels-espions dans des ordinateurs de la police, c’est légal, ça ?

De nouveau, il accusa le coup. Mais pendant une infime fraction de seconde seulement. Il devait être très fort au poker.

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

— Cinq ans de ratière : c’est ce qui te pend au nez. Je vais demander un tapissage. On verra bien si Kanté t’identifie. Et puis, on a un témoin : une amie à lui qui t’a suivi et qui a noté le numéro de ta voiture. Sans parler du patron du rade qui t’a vu avec lui à plusieurs reprises… Ça commence à faire beaucoup, non ? Tu sais ce qui va se passer ? Le juge d’instruction va demander ta mise en détention et le juge des libertés va statuer. Il lui suffira de dix secondes et d’un coup d’œil à ton dossier. Crois-moi, avec tous ces éléments, il n’aura pas de cas de conscience. C’est la préventive assurée…