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— Oui.

— Et elle trouvait ça bon ?

Le regard d’Hugo. Une lueur de fierté dans ses pupilles.

— Elle disait… elle disait qu’elle n’avait rien lu de pareil depuis longtemps.

— Je peux connaître le titre ?

Il vit Hugo hésiter. Servaz se mit à sa place. Le jeune auteur n’avait sans doute pas envie de partager ce genre de chose avec un inconnu.

— Ça s’appelle Le Cercle

Servaz eut envie de lui demander de quoi ça parlait, mais n’en fit rien. En lui, il le sentait, une profonde perplexité commençait à monter — en même temps qu’un mouvement d’empathie à l’égard du jeune homme. Il n’était pas dupe. Il savait que c’était parce que ce dernier lui rappelait celui qu’il avait été vingt-trois ans plus tôt. Et peut-être aussi parce qu’il était le fils de Marianne. Mais il ne s’en demandait pas moins s’il était possible qu’il eût tué la seule personne à même de comprendre et d’apprécier son travail.

— Revenons à ce que tu as fait ensuite, après le jardin.

— Je suis rentré dans la maison. Je l’ai appelée. J’ai fouillé partout.

— Tu n’as pas pensé à appeler la police à ce moment-là ?

— Non.

— Et ensuite ?

— Je suis monté, j’ai fouillé toutes les pièces, une par une… Jusqu’à la salle de bains… Et là… je l’ai vue.

Sa pomme d’Adam fit un aller et retour.

— J’étais paniqué… Je ne savais pas quoi faire. J’ai essayé de lui sortir la tête de l’eau, je l’ai giflée pour la réveiller, j’ai crié, j’ai essayé de défaire les nœuds. Mais ils étaient trop nombreux, trop serrés, et je n’y arrivais pas : l’eau les avait fait gonfler. J’ai vite compris qu’il était trop tard…

— Tu dis que tu as essayé de la ranimer ?

— Oui, c’est ce que j’ai fait.

— Et la lampe ?

Servaz vit les paupières d’Hugo battre imperceptiblement.

— Tu as bien vu la lampe allumée dans sa bouche, non ?

— Oui, évidemment…

— Alors, pourquoi tu n’as pas essayé… de la retirer ?

Hugo hésita.

— Je ne sais pas… sans doute parce que…

— Parce que ça me répugnait de mettre les doigts dans sa bouche…

— Tu veux dire : dans la bouche d'une morte ?

Servaz vit les épaules d’Hugo s’affaisser.

— Oui. Non. Pas seulement. Dans la bouche de Claire…

— Et avant ? Que s’est-il passé avant ? Tu dis que tu t’es réveillé chez Claire Diemar, qu’entends-tu par là ?

— Exactement ça. J’ai repris connaissance dans le salon.

— Tu veux dire que tu avais perdu connaissance ?

— Oui… Enfin, je suppose… j’ai déjà expliqué tout ça à vos collègues.

— Explique-moi à moi : tu faisais quoi au moment où tu as perdu connaissance, tu t’en souviens ?

— Non… pas vraiment… je ne suis pas sûr… il y a comme un… trou

— Un trou dans ton emploi du temps ?

Servaz vit que Bécker le fixait lui et non Hugo. Le regard du gendarme était éloquent. Il vit aussi qu’Hugo accusait le coup. Il était assez intelligent pour comprendre que ce trou, ça n’était pas bon pour lui.

— Oui, avoua-t-il à contrecœur.

— Quelle est la dernière chose dont tu te souviennes ?

— La dernière, c’est quand j’étais au Dubliners avec des amis, plus tôt dans la soirée.

Servaz prenait des notes en sténo. Il n’avait pas confiance dans la webcam, pas plus que dans les gadgets en général.

— Le Dubliners ?

Il connaissait cet endroit. Le pub existait déjà de son temps. Servaz et ses amis en avaient fait leur quartier général à l’époque.

— Oui.

— Que faisiez-vous là-bas ? Quelle heure était-il ?

— On regardait la Coupe du monde de football, le match d’ouverture, et on attendait celui de la France.

— « Attendait » ? Tu veux dire que tu ne te rappelles pas avoir vu Uruguay-France ?

— Non… peut-être… je ne sais plus ce que j’ai fait au cours de la soirée. Ça a l’air bizarre, mais je ne sais pas combien de temps ça a duré… Ni à quel moment précis je me suis évanoui.

— Tu crois qu’on t’a assommé, c’est ça ? Quelqu’un t’a frappé ?

— Non, je ne pense pas, j’ai vérifié… je n’ai pas de bosse… et je n’ai pas mal au crâne non plus… En revanche, j’étais dans le coaltar quand j’ai émergé, j’avais l’impression d’avoir la tête pleine de brouillard…

Il s’affaissait sur lui-même, il se rendait compte au fur et à mesure qu’il parlait que tout le désignait.

— Tu penses qu’on t’a drogué ?

— Oui, c’est possible.

— On vérifiera. Où ça ? Au pub ?

— J’en sais rien !

Servaz échangea un regard avec Bécker. Le regard du gendarme disait sans ambiguïté : coupable.

— Je vois. Cela va peut-être te revenir. Si c’est le cas, n’hésite pas à m’en parler, c’est important.

Hugo secoua la tête avec amertume.

— Je ne suis pas idiot.

— J’ai une dernière question : tu aimes le foot ?

Une lueur de surprise dans les yeux bleus.

— Oui, pourquoi ?

— Ton café va refroidir, dit Servaz. Bois-le. La nuit risque d’être longue.

— Une femme seule dans une maison non verrouillée, dit Samira.

— Et aucun signe d’effraction nulle part, dit Espérandieu.

— Elle a dû lui ouvrir. C’était son élève après tout, elle n’avait aucune raison de se méfier. Et il l’a dit lui-même : il était déjà venu. Et il l’a appelée dix-huit fois ces deux dernières semaines… Pour causer « bouquins » ? Tu parles !

— C’EST LUI, décréta Vincent.

Servaz se tourna vers Samira, qui acquiesça d’un hochement de tête.

— Je suis d’accord. Il a été arrêté chez la victime. Et il n’y a aucune trace de la présence d’un autre individu. Rien. Nulle part. Pas la moindre preuve qu’une tierce personne ait été là. En revanche, les siennes sont partout. L’alcootest a révélé qu’il avait 0,85 g d’alcool dans le sang ; l’analyse nous dira s’il a aussi pris des stupéfiants, ce qui est probable, vu l’état dans lequel on l’a trouvé, et en quelles quantités. Les gendarmes affirment que, quand ils l’ont interpellé, il avait les pupilles dilatées et était totalement prostré.

— Il dit lui-même qu’il a été drogué, fit observer Servaz.

— Ben voyons… Et par qui ? On a repéré sa voiture garée un peu plus loin. Ce n’est donc pas lui qui l’aurait conduite ? En admettant que ce soit quelqu'un d’autre, il dit qu’il s’est réveillé dans la maison : ça veut dire que le véritable assassin aurait pris le risque de sortir Hugo de la voiture et de le trimbaler jusqu’à la maison de Claire ? Et personne n'aurait rien vu ? Ça ne tient pas debout ! Plusieurs maisons donnent sur la rue, dont trois mitoyennes en face de celle de la victime…

— Tout le monde regardait le football, objecta Servaz. Même nous.

— Pas tout le monde : le vieux en face l’a bien vu, lui.

— Mais il ne l’a pas vu arriver, justement. Personne ne l’a vu entrer. Pourquoi serait-il resté là à attendre qu’on vienne le cueillir s’il avait fait le coup ?

— Tu connais les statistiques aussi bien que nous, répondit Samira. Dans 15 % des cas, l’auteur d’un crime se livre lui-même aux forces de l’ordre, dans 5 % d’entre eux il prévient un tiers qui prévient la police, et dans 38 % il attend sagement sur le lieu de son crime l’arrivée des forces de l’ordre tout en sachant qu’un témoin les a certainement prévenues. C’est ce qu’a fait le gamin. En réalité, près des deux tiers des cas sont élucidés dès les premières heures par l’attitude du criminel.