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Il se tortilla sur son siège, les yeux noirs. Elle y aperçut une lueur familière, malgré ses grands airs : la peur.

— On dirait que tu es supernerveux, tout à coup.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Le nom de ton client. Celui qui t’a demandé d’espionner le commandant Servaz.

— Si je fais ça, mon bizness est foutu.

— Tu crois que tu pourras continuer ton bizness au ballon ? Ton client est un assassin. Tu veux être accusé de complicité de meurtre ?

— Qu’est-ce que je gagne en échange ?

Elle respira. Elle n’avait aucune carte en main : pas de réquisition, pas de commission rogatoire. Si cela venait à se savoir, cette fois, c’était la révocation assurée.

— Je veux juste un nom. C’est tout. Si je l’obtiens, je sors d’ici et on efface l’ardoise. Personne n’en saura rien.

Il ouvrit un tiroir de son bureau et elle eut un mouvement de recul. Sa grosse patte plongea à l’intérieur. Elle la suivit des yeux, prête à lui sauter dessus par-dessus le bureau. Sa main en ressortit avec une chemise cartonnée qu’il déposa devant elle. Elle nota qu’il se rongeait les ongles.

— C’est là-dedans.

Debout sous la pluie, Lacaze contemplait l’entrée du nouveau palais de justice. Il était 20 heures passées de quelques minutes et il se demanda s’il trouverait l’homme qu’il cherchait à son bureau. Il jeta sa cigarette et se mit en marche vers le hall vitré, sous la pluie.

Le « nouveau palais » avait ouvert ses portes quelques mois plus tôt. Les architectes avaient conservé le labyrinthe initial des vieux bâtiments et des cours autour de la rue des Fleurs, mais prolongé l’édifice patrimonial par des ajouts très contemporains, une éloquence artificielle de verre, de brique, de béton et d’acier, qui jouait la carte de la sobriété et du dynamisme, et Lacaze trouva que leur choix reflétait involontairement l’état de la justice dans ce pays : une façade et un hall d’entrée ultra-modernes masquant la vétusté et le manque de moyens criants de l’ensemble.

Une tentative de se moderniser vouée à l’échec.

Il dut vider ses poches sur une petite table avant de passer par le portique de sécurité. Après quoi, il traversa le hall dominé par la grande verrière et prit sur la gauche, passant devant les portes des salles d’audience. Une femme l’attendait au-delà, près du patio planté de palmiers. Il fallait un badge pour aller plus loin et Lacaze n’en avait pas.

— Merci de m’avoir attendu, dit-il.

— Tu es sûr qu’il sera encore là ? demanda la femme en présentant son propre badge et en poussant la porte blindée.

— On m’a dit qu’il travaillait tard.

— On est bien d’accord : tu ne lui dis pas que c’est moi qui t’ai ouvert.

— Ne t’inquiète pas.

Servaz entendit la porte de sa chambre s’ouvrir et, pendant un instant, il éprouva une véritable appréhension.

— Seigneur, dit la voix puissante de Cathy d’Humières. Comment faites-vous pour vous mettre toujours dans des situations pareilles ?

— C’est moins grave que ça en a l’air, sourit-il, soulagé.

— Je sais. Je viens de voir les médecins. Si vous pouviez vous voir, Martin. On dirait cet acteur italien dans ce film des années 60… Œdipe Roi…

Son sourire s’élargit et il sentit ses joues tirer sur le gros pansement collé à ses tempes et à son front.

— Tu veux un café ? dit une autre voix, et il reconnut celle de son adjoint.

Il tendit la main et Espérandieu glissa dedans un gobelet chaud.

— Je croyais que les visites étaient interdites à partir de 20 heures ? dit-il. Quelle heure il est ?

— 20 h 17, répondit son adjoint. Dérogation spéciale.

— On ne va pas rester longtemps, dit la procureur. Il faut que vous vous reposiez. Vous êtes sûr que le café, c’est une bonne idée ? Si j’ai bien compris, on vient de vous filer un calmant.

— Mmm.

Il avait voulu le refuser, mais l’infirmière ne lui avait pas donné le choix. Il n’avait pas eu besoin de la voir pour comprendre qu’elle ne plaisantait pas. Le café était remarquablement mauvais, mais il avait la gorge desséchée : il aurait bu n’importe quoi.

— Martin, je suis là en tant qu’amie, cette enquête est du ressort exclusif du TGI d’Auch, mais, de vous à moi, le lieutenant Espérandieu m’a expliqué le pourquoi du comment. Si j’ai bien compris, vous pensez que c’est le même assassin qui a tué tous ces gens au cours des années à cause de cet accident d’autocar. Ce serait ça, le mobile ?

Il acquiesça. Ils étaient tout près… C’était dans cette direction qu’il fallait chercher : le Cercle, l’accident, la mort du pompier et celle du chauffeur de bus… C’était là, sous leurs yeux. Mais, au fond de lui, un doute subsistait. Il lui était venu alors qu’ils se rendaient au lac et s’apprêtaient à plonger. Quelque chose ne collait pas… Une pièce qui ne s'emboîtait pas avec les autres. Sauf qu’il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus et que sa migraine n’arrangeait rien.

— Désolé, dit-il pour évacuer la question. Mais j’ai horriblement mal au crâne…

— Bien sûr, s’excusa Cathy d’Humières. On parlera de tout ça quand vous irez mieux. En attendant, on n’a aucune nouvelle de Hirtmann, remarqua-t-elle en changeant de sujet. Il devrait y avoir un planton devant votre porte.

Un frisson le parcourut. Décidément, tout le monde voulait garder sa porte…

— Inutile. Personne ne sait que je suis ici, à part l’équipe du SMUR qui m’a transporté et quelques gendarmes.

— Oui. Bon. Hirtmann s’est quand même manifesté à plusieurs reprises. Je n’aime pas ça, Martin. Pas ça du tout.

— J’ai une sonnette près de mon lit, en cas de besoin.

— Je vais rester ici un moment, intervint Espérandieu. Juste au cas où.

— Très bien. Si vous êtes sur pied demain, on fait le point. On vous donnera une canne blanche si nécessaire, ajouta-t-elle en ouvrant la porte de sa chambre.

Il eut un petit geste évasif de la main.

— Bonne nuit, Martin.

— Tu ne comptes quand même pas passer la nuit là ? lança-t-il à son adjoint quand la porte se fut refermée.

Il perçut le raclement d’un fauteuil qu’on déplaçait.

— Tu préférerais une infirmière ? De toute façon, dans ton état, tu ne saurais même pas si elle est jolie ou moche.

Ziegler referma la chemise. Zlatan Jovanovic la fixait. De l’autre côté du bureau. Il y avait une lueur dans ses yeux… Quelque chose qui n’y était pas tout à l’heure. Il avait eu tout le temps de réfléchir pendant qu’elle lisait. Avait-il vraiment gobé qu’elle allait ressortir d’ici et tirer un trait sur ce qu’il avait fait ? Peut-être était-il en train de penser qu’elle ne lui avait montré aucun papier officiel. Elle se sentit subitement sur ses gardes.

— J’emporte ça, dit-elle en montrant la chemise.

Il ne dit rien, se contentant de la fixer. Elle se leva. Il l’imita. Elle regarda ses grandes mains qui pendaient le long de son grand corps. Tranquilles. Drissa Kanté avait raison : il devait bien peser dans les cent trente kilos. Il fit lentement le tour du bureau. elle resta debout près de sa chaise, attendant qu’il passe près d’elle et la précède, prête à esquiver s’il se jetait sur elle. Il n’en fit rien cependant. Il se contenta de s’engager dans le couloir sombre. Elle avait commencé à glisser une main dans la poche de sa combinaison de cuir, là où était son arme, en lui emboîtant le pas et en fixant son large dos, lorsqu’il disparut brusquement par une porte ouverte sur la droite. Elle n’eut pas le temps de réagir. Vit l’obscurité au-delà de la porte. Elle se dépêcha d’attraper son arme dans sa poche, d’ôter le cran de sécurité et de faire monter une balle dans le canon.