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Un deuxième coup de pied l’atteignit dans les côtes, ses poumons se vidèrent et elle roula sur le sol. Il lui asséna un autre coup de pied au ventre, mais elle s’était recroquevillée en position fœtale, les mains autour de la tête, les genoux remontés et les coudes serrés pour se protéger, et il n’atteignit que partiellement sa cible. Elle reçut alors une pluie de coups furieux dans les hanches, les reins et les cuisses.

— Sale pute ! Tu croyais vraiment que tu allais me baiser comme ça ? Tu me prends pour qui, conasse ?

Il l’insultait tout en la cognant, il postillonnait. La douleur était atroce. Elle avait l’impression d’avoir les coudes, le dos et les bras en compote. Il se baissa, l’empoigna par les cheveux et lui cogna le visage contre le plancher. Son nez explosa, sa vision fut envahie par une nuée de points noirs et elle crut un instant qu’elle allait s’évanouir. Quand il l’eut lâchée, elle porta une main tremblante à son nez. Elle pissait le sang. Il l’attrapa par les chevilles, la retourna sur le ventre malgré ses ruades et se laissa choir de tout son poids sur son dos, l’écrasant au sol, un genou enfoncé dans ses reins. Il lui saisit les poignets, lui tordit les bras dans le dos et elle sentit qu’il lui passait de fines menottes en plastique — qu’il serra jusqu’à lui enfoncer douloureusement les liens dans la chair.

— Putain ! Tu comprends ce que je vais être obligé de faire maintenant ? Tu comprends, pauvre conne ?

Il avait une voix furieuse et geignarde à la fois. Il aurait sans doute pu la tuer tout de suite. Avec une arme ou en lui fracassant le crâne. Mais il hésitait encore : tuer un flic, c’était un sacré pas à franchir, une décision qui demandait réflexion. Elle avait peut être encore une toute petite chance…

— Ne fais pas le con, Zlatan ! lança-t-elle avec une voix nasillarde à cause de son nez plein de sang. Kanté est au courant, et ma hiérarchie aussi ! Si tu me tues, tu vas prendre perpète !

— Ta gueule !

Il lui décocha un nouveau coup de pied, plus mollement cette fois, mais il atteignit une zone déjà meurtrie et elle grimaça de douleur.

— Tu me prends vraiment pour un imbécile, hein ? Tu n'as même pas sorti ta plaque ! Et tu n’as pas de commission ! Kanté, j’en fais mon affaire. Qui d’autre est au courant ?

Il lui balança un nouveau coup de pied. Elle serra les dents.

— Tu veux pas parler ? T’inquiète : j’en ai maté des plus coriaces que toi…

Il cracha sur le sol. Puis il se pencha, fouilla ses poches récupéra son iPhone et ramassa l’arme d’Irène qui était tombée par terre. Sa grosse patte se glissa ensuite dans la fermeture de son blouson de cuir et il lui caressa brièvement les seins à travers le tee-shirt. Avant de s’éloigner vers son bureau, la laissant menottée et hagarde au milieu du couloir.

Servaz ne dormait pas. Il n’arrivait tout simplement pas à trouver le sommeil. Trop de questions. La caféine galopait dans ses veines, en même temps que le calmant que lui avait administré l’infirmière — et il ignorait qui d’Arabica II, d’Adrénaline ou de Bromazépam allait passer la ligne d’arrivée en premier.

Le silence était total dans la chambre. Il n’entendait plus que le ramdam de l’orage à l’extérieur et, de loin en loin, des pas qui passaient derrière la porte de sa chambre. Il avait essayé d’immaginer à quoi elle ressemblait, mais il en était incapable. Il avait tâté précautionneusement le pansement sur ses yeux, qui lui faisait l'effet d’un encombrant et rigide masque de nuit. Il se sentait totalement désemparé.

Il fixait le néant devant lui en réfléchissant.

La découverte du cadavre dans la Mercedes était la preuve qu'il avait vu juste : les meurtres étaient bien liés à l’accident du bus La bagarre du chef des pompiers avec les marginaux n'avait été selon toute vraisemblance qu’une mise en scène pour détourner les soupçons. Les soi-disant sans-abris n’avaient jamais été retrouvés. Le ou les meurtriers s’étaient montrés très habiles : difficile voire impossible pour un enquêteur de faire le lien entre une bagarre qui tourne mal à Toulouse et une disparition à cent kilomètres de là trois ans plus tard. Sans compter que d'autres affaires allaient resurgir, il en était convaincu, qui concerneraient d’autres acteurs de cette tragique nuit…

Mais quelque chose ne collait pas.

L’impression qu’il avait eue un peu plus tôt était de retour. II y avait un truc pas clair. S’il s'agissait bien de meurtres et non d’accidents, les morts du chauffeur et du chef des pompiers avaient été soigneusement maquillées… Pas celle de Claire Diemar…

L’analgésique qu’on l’avait forcé à prendre commençait à faire son effet. La tête lui tournait. Il semblait finalement que Sister Morphine tînt la corde. Il maudit les médecins, les infirmières et tout le staff médical. Il voulait rester lucide. Opérationnel. Le doute s’épanouissait en lui. Telle une fleur vénéneuse. Claire Diemar avait été tuée d’une façon qui la reliait sans l’ombre d’un doute à l’accident d’autocar. La lampe dans sa gorge, la baignoire illuminée, même les poupées dans la piscine… Mais c’était la première fois justement que l’assassin voulait qu’on fît le lien entre les deux. Ou, en tout cas, la première fois que ce lien était rendu aussi évident. Car si l’on considérait la mort du pompier — noyé dans la Garonne — et celle du chauffeur de bus — tombé dans le lac avec sa voiture à l’endroit même où le bus avait quitté la route —, le lien existait également. Mais il avait été très soigneusement dissimulé.

Rien de tel ici, se répéta-t-il encore une fois. Pas de maquillage, la mort de Claire évoquait très directement l’accident. Et elle témoignait de la rage de l’assassin au moment de passer à l’acte. De son manque de contrôle.

Et soudain, les choses se mirent en place. Pourquoi lui avait-il fallu tout ce temps pour voir ce qu’il avait depuis le début sous les yeux ? Pendant tout ce temps, il avait été là. Ne cherchant même pas à se cacher. Il se remémora le sentiment qu’il avait éprouvé au tout début de l’enquête, dans le jardin de Claire en découvrant les mégots, il avait eu l’impression désagréable d’assister à un tour de prestidigitation : quelqu’un voulait les forcer à regarder du mauvais côté… Il avait cru aussi deviner une ombre cachée, se déplaçant à l’insu de tous, derrière ce drame. Sauf qu’à présent, il savait. Une nausée s’empara de lui. Il espérait encore se tromper. Il pria pour que ce fût le cas. Il fixait toujours la chambre devant lui, sans la voir. Le tonnerre dans ses oreilles. Incessant. Qui allait et venait. De la même façon, l’idée revint. Bien sûr. Comment ne l’avait-il pas vu plus tôt ? Tout était là, sous ses yeux. Personne n’était mieux placé que lui pour comprendre. Il devait prévenir Vincent. Tout de suite. Et le juge…

Il chercha à tâtons le téléphone portable. Ses doigts en épousèrent la forme, son pouce repéra la grosse touche d’activation au milieu.

Puis les touches plus petites en dessous… Sauf qu’il était incapable d’afficher son répertoire, encore moins de le lire. Il essaya de pianoter un numéro à tâtons, porta l’appareil à son oreille, mais une voix impassible lui déclara qu’il avait fait un faux numéro. Il fit une nouvelle tentative. Même réponse. La sonnette… Il tâtonna près du lit à sa recherche, la repéra et appuya dessus. Attendit. Rien. Il la pressa de nouveau. Avant de hurler : « Il y a quelqu’un ? » Pas de réponse ! Bordel, où étaient-ils passés, tous ? Il rejeta le drap et s’assit au bord du lit, posant ses pieds nus sur le carrelage. Une étrange sensation le gagnait. Il y avait autre chose… Une deuxième idée rôdait à la lisière de sa conscience, essayant de capter son attention. Cela avait un rapport avec la dernière heure, avec ce qui s’était passé depuis qu’il était dans cette chambre. Il avait du mal à avoir les idées claires après toutes ces émotions. Le calmant agissait, car il se sentait de plus en plus lourd et vaseux. Mais l’urgence lui fouettait les sangs. Il devait à tout prix rester éveillé. Il avait été sur le point de penser quelque chose d’important. De… vital.