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— Et après ? Qu’est-ce que ça change ? Vous êtes dans un hôpital, vous êtes sous notre responsabilité et vous avez vu votre état ? Je ne peux pas vous laisser sortir comme ça ! Vous êtes incapable de…

— C’est pourquoi je vous demande de m’aider.

— À quoi faire ?

— Sortir d’ici ! Me conduire à la gendarmerie. Je vous l’ai dit… Bon Dieu, il n’y a pas de temps à perdre !

Un silence s’ensuivit. L’homme devait penser qu’il était cinglé. Servaz tendait l’oreille, aux aguets, tentant en vain d’identifier les voix et les sons autour d’eux, de repérer une éventuelle menace. Mais la présence de l’homme à ses côtés le rassurait.

— Dans cet état et cette tenue ? Vous délirez complètement, mon vieux ! Vous avez vu le temps ? Il pleut comme vache qui pisse ! Dites-moi déjà pourquoi vous tenez tellement à aller à la gendarmerie… On peut peut-être l’appeler d’ici, non ? Et si on appelait le personnel de votre étage pour en discuter tranquillement avec eux ?

— Vous n’allez pas le croire si je vous le dis.

— Essayez toujours…

— Je crois que quelqu’un essaie de me tuer, j’ai peur qu’il ne vienne jusqu’ici.

Il se rendit compte à mesure qu’il la prononçait à quel point sa phrase allait jeter le doute sur sa santé mentale. Mais il n’était plus en état de réfléchir sereinement. Le calmant qu’on lui avait administré l’assommait ; il se sentait épuisé, désorienté par sa cécité, et de plus en plus dans le cirage. Nouveau silence.

— En effet, dit l’homme, sceptique. J’ai du mal à vous croire. Sérieusement, vous voulez que je gobe une histoire pareille ?

Tout à coup, il reconnut la voix. Le jeune homme qui avait ouvert la porte de sa chambre, tout à l’heure, en présence d’Espérandieu. Et qui l’avait refermée aussitôt en s’excusant.

— Vous êtes venu dans ma chambre, constata-t-il.

— Exact.

— Il y avait un autre homme avec moi, vous vous en souvenez ?

— Oui.

— C’était un policier. Comme moi. À votre avis, qu’est-ce qu’il faisait là ?

Il devina que le jeune homme réfléchissait. Il en profita pour plonger une main dans la poche de son jean.

— Tenez. Prenez ça. C’est mon téléphone. Il y a son prénom dans le répertoire : Vincent. Il est lieutenant de police. Appelez-le ! Tout de suite ! Dites-lui ce que je viens de vous dire. Et passez-le-moi. Faites vite ! Il y a urgence, merde !

Des gens passèrent près d’eux en bavardant puis s’éloignèrent. Une sirène d’ambulance hulula au dehors puis se tut. L’homme lui prit le téléphone des mains.

— Votre code pin ?

Servaz le lui donna. Il attendit, tous les sens en alerte. Des voix, des pas tout autour. Et pas moyen de savoir à qui ils appartenaient. Il luttait aussi contre les brumes qui se déployaient dans son crâne.

— Son nom de famille, c’est quoi ?

— Hein ?

— Votre lieutenant ! il s’appelle comment ?

— Espérandieu !

— Et vous ?

— Servaz !

— Je voudrais parler au lieutenant Espérandieu, dit le jeune homme dans l’appareil. De la part de…

Il l’écouta expliquer maladroitement la situation à Vincent puis poser des questions. Au fur et à mesure des réponses qu’il obtenait, la tension se faisait plus perceptible dans sa voix.

— D’accord, je vous l’emmène, lança-t-il finalement avant de saisir Servaz par le bras. Allons-y. Quelle putain d’histoire ! (Servaz pouvait entendre la panique dans sa voix, maintenant.)

— Je vous avais dit de me le passer.

— Plus tard ! Il faut dégager d’ici en vitesse. Si vous êtes en danger, moi aussi ! On file à la gendarmerie ! Vous n’avez pas une arme, des fois ?

Bonne question. Où était passée la sienne ? Il se souvint qu’il l’avait laissée dans la boîte à gants, avant la plongée.

— Non, dit-il. De toute façon, vous ne sauriez pas vous en servir.

Ils franchirent les portes de l’hôpital et ils furent aussitôt entourés par le déchaînement de l’orage, à l’abri sous la marquise. L’air avait une odeur et un goût d’ozone, il y eut un craquement assourdissant. Le jeune homme prit Servaz par le bras et ils traversèrent le parking sous la pluie torrentielle, à grandes enjambées. Servaz fut immédiatement trempé. La pluie dégoulinait dans sa nuque et dans le col de sa chemise d’hôpital, mouillait ses cheveux. L’eau traversa la semelle de ses chaussures, giclant entre ses orteils. Il se mit à frissonner. Un nouvel éclair déchira la nuit.

Il entendit le jeune homme ouvrir une portière.

— Montez !

Il se laissa tomber, ruisselant, sur le siège passager et éclata d’un rire nerveux lorsqu’il se rendit compte que, mû par un réflexe, il était en train de chercher la boucle de sa ceinture de sécurité.

— Qu’est-ce qui vous fait rire ? demanda le jeune homme en s’empressant de claquer la portière et de mettre le contact.

Il ne répondit pas. Son voisin mit les essuie-glaces en route à vitesse maximum et ils démarrèrent sur les chapeaux de roues. Il sentit la voiture s’incliner et tanguer tandis qu’ils prenaient un virage serré pour quitter le parking et que les pneus hurlaient. Se fit la réflexion que c’était aussi bien qu’il ne vît rien, en fin de compte.

— Je crois qu’on l’a semé, tenta-t-il de plaisanter. On est obligés d’aller aussi vite ?

— Vous n’aimez pas la vitesse ?

— Pas vraiment.

Ils prirent le rond-point suivant à la même allure infernale et la tête de Servaz alla heurter la vitre.

— Merde, ralentissez !

— Mettez votre ceinture, lui ordonna simplement son voisin.

Il entendait le bruit de l’eau qui giflait le plancher de la voiture, celui des gerbes soulevées par leur passage, le ciel qui tremblait sous la violence des éclairs. La tempête faisait rage. Des échos de foudre un peu partout, en trois dimensions, comme s’il avait un casque stéréo sur les oreilles. Il se sentait à la fois soulagé et inquiet. Un éclair plus puissant que les autres retentit et il sursauta.

— Quel temps extraordinaire, non ?

Servaz trouva la réflexion un peu étrange, compte tenu de la situation. Il y avait quelque chose dans la voix du jeune homme… depuis le début… des intonations… Il s’en rendait compte à présent. Dès la première fois, quand le jeune homme avait ouvert la porte de la chambre et qu’il avait entendu sa voix, depuis son lit, elle avait éveillé un écho en lui. Non pas qu’elle lui fût familière. Mais il lui semblait pourtant l’avoir déjà entendue — au moins une fois.

— Vous travaillez dans cet hôpital depuis longtemps ?

La réponse tarda à venir.

— Non.

— Vous faites quoi exactement ?

— Hein ? Aide-soignant…

— On n’aurait pas dû prévenir votre hiérarchie ?

— Faudrait savoir ! Vous et votre adjoint me dites de faire vite, de foncer et maintenant…

— Oui, mais quand même, dit-il. Partir comme ça dans la nature avec un patient sans aviser personne… Vous n’avez pas un biper, quelque chose ?

Un silence. Servaz sentit la nausée revenir, une vague de peur l’inonder. Sa main se cramponna instinctivement à la poignée au-dessus de la portière.

— On s’occupera de prévenir l’hôpital une fois arrivés, dit le jeune homme.

— Oui, vous avez raison. Ça consiste en quoi, exactement, votre boulot ?