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— Comment tu as fait pour découvrir tout ça ? avait-il dit, perplexe.

Il n’avait pas paru surpris quand il avait appris que Marianne l’avait fait espionner. En revanche, elle avait perçu l’immensité de sa tristesse. Martin lui avait ensuite demandé de les rejoindre à la maison d’arrêt de Seysses. Il avait l’air épuisé au téléphone, elle lui avait demandé pourquoi il n’était pas à l’hôpital, mais il n’avait pas répondu.

— Elle est avec nous, dit le flic.

Nom de Dieu, pensa le directeur en voyant approcher la blonde amochée. C’est quoi, ce cirque ? Mais il avait des ordres. Tombés d’en haut. « Faites tout ce qu’ils demanderont, est-ce bien clair ? », avait dit le directeur de la pénitentiaire au bout du fil. Il haussa les épaules, ordonna aux gardes de laisser couler quand les trois visiteurs firent sonner les portiques de sécurité, et il les précéda dans les entrailles de la prison, leurs pas résonnant dans les coursives. Ils franchirent trois grilles et, finalement, le directeur sortit un trousseau de clés, en inséra une dans la serrure et déverrouilla la porte du parloir.

— Allez-y. Il vous attend.

Il s’éloigna rapidement. Il ne tenait pas à savoir ce qui allait se passer là-dedans.

— Bonsoir, Hugo, dit Servaz en entrant.

Assis derrière la table en formica, les mains croisées, le jeune homme leva la tête et le regarda.

Puis son regard se déplaça vers Espérandieu et Ziegler qui entraient derrière lui, et Servaz vit une petite lueur de surprise passer un instant dans ses yeux bleus en découvrant le visage de la gendarme.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Le directeur m’a sorti de mon lit et maintenant vous voilà…

Servaz fit un effort pour dissimuler sa colère. Il s’assit et attendit que Vincent et Irène en aient fait autant. Tous les trois faisaient face à Hugo, de l’autre côté de la table. D’un strict point de vue juridique, ils n’avaient plus le droit de rencontrer le gamin dans l’enquête sur la mort de Claire, puisqu’il avait été mis en examen. Mais, compte tenu des derniers développements, Servaz avait obtenu du juge Sartet un permis de communiquer dans l’enquête sur le meurtre d’Elvis, affaire distincte mais néanmoins liée à la première.

— David est mort, dit-il doucement.

Il vit une grimace de douleur ravager les traits du jeune homme.

— Comment ?

— Il s’est suicidé. Il a pris l’autoroute à contresens, sa voiture est entrée en collision avec un poids lourd. Il est mort sur le coup.

Le regard de Servaz transperçait Hugo. La douleur du gamin était sincère, il luttait pour ne pas se mettre à pleurer, ses lèvres tordues comme s’il avait avalé une boîte de clous.

— Tu savais qu’il était suicidaire ?

Hugo releva le menton. Il fixa Servaz, les yeux brillants, hocha la tête.

— Oui.

— Depuis longtemps ?

Le jeune homme haussa les épaules, l’air de dire : « Qu’est-ce que ça peut foutre, maintenant ? »

— J’ai toujours connu David dépressif, articula-t-il d’une voix plate et mécanique. Même quand nous étions gosses, il était toujours… bizarre… Il avait cette espèce d’humeur noire… et ce sourire triste. À douze ans déjà, il souriait de cette façon.

Servaz le vit prendre une sorte d’inspiration, comme s’il s’apprêtait à plonger en apnée.

— Il avait parfois des réactions imprévisibles, il pouvait passer de la joie au désespoir en une seconde. Une fois, je l’ai vu balancer une grosse pierre à la tête d’un copain uniquement parce que celui-ci soutenait l’inverse de ce qu’il disait. Quand il était comme ça, les potes l’évitaient — mais pas moi. Sa mère l’a envoyé voir des psys pendant des années, jusqu’à ce qu’il lui dise d’aller se faire foutre. Tout ça, c’est la faute à son sale fumier de père. (La voix d’Hugo coula comme de la lave.) Et à son connard de frère. Ce sont eux qui l’ont bousillé… Ces deux salauds devraient être poursuivis pour harcèlement moral, si vous voulez mon avis… Je me souviens qu’une fois David a ramené une fille à la maison alors qu’il avait quatorze ans, une gentille gamine. Son frère a pris un tel plaisir à l’humilier devant elle et s’est montré si grossier avec la fille qu’elle n’a plus jamais voulu remettre les pieds chez eux ni même lui adresser la parole. Son père avait l’habitude de dire à sa mère qu’ils avaient eu « un garçon et une fille ». Il lui interdisait de lire ou même d’avoir des livres dans sa chambre : il disait que la lecture rendait efféminé. Son père se vantait d’être arrivé là où il était sans avoir lu le moindre livre de sa vie, même à l’école.

— Dans ce cas, comment se fait-il que David ait atterri à Marsac ?

— Ça faisait longtemps que son père et son frère se désintéressaient complètement de ce que David pouvait devenir ou faire ; ils avaient décidé qu’il était irrécupérable, un point c’est tout. Je crois que ça le blessait encore plus que les sévices. C’est sa mère qui finançait ses études sur ses deniers personnels. Elle a toujours cherché à protéger David de son père et de son frère — mais elle était faible, et elle aussi subissait leurs brimades…

— Il avait déjà fait d’autres tentatives ?

— Oui, plusieurs… Une fois, il a même tenté de s’ouvrir le ventre avec un couteau. Comme les samouraïs, vous voyez ? Ça s’est passé après l’épisode de la fille…

Servaz se souvint de la cicatrice sous ses doigts. Sa gorge se serra et il déglutit. Hugo les regarda un par un.

— C’est pour ça que vous m’avez fait réveiller en pleine nuit ? Et que vous êtes venus en force ? Pour m’annoncer la mort de David ?

— Pas exactement.

— Je vais bien être libéré demain matin, n’est-ce pas ?

Servaz perçut l’inquiétude dans sa voix. Il ne répondit pas.

— Putain, David, mon pote, mon frère… gémit soudain Hugo. Quelle saloperie, ta vie, mon ami…

— Il a fait ça pour toi, dit Servaz doucement mais distinctement.

— Quoi ?

— J’étais avec lui dans la voiture. David s’est accusé des meurtres de Claire Diemar et d’Elvis Elmaz. Et aussi de ceux de Bertrand Christiaens et de Joachim Campos…

— Qui ça ?

Bien joué, pensa Servaz. Tu n’es pas tombé dans le panneau.

— Ces deux noms ne te disent rien ?

Hugo secoua la tête.

— Ils devraient ?

— Ce sont les noms du chef des pompiers qui sont venus à votre secours au lac de Néouvielle et du chauffeur du bus.

— Ah oui. Maintenant que vous le dites…

— Et Claire Diemar aussi était dans ce bus, cette nuit-là, n’est-ce pas ?

Hugo lança à Servaz un regard étrange. Le tonnerre gronda derrière les vitres.

— C’est vrai. Elle y était. Vous pensez qu’il y a un rapport entre l’accident et sa mort, c’est ça ? Vous dites que David s’est accusé du meurtre de Claire ? Avant de se donner la mort ?

Servaz le sonda. Hugo avait l’air sincèrement stupéfait. Le gamin était un sacrément bon comédien.

— S’il s’est suicidé en se jetant contre un camion, et que vous étiez dans cette voiture, alors comment se fait-il que vous soyez ici maintenant ?

Il fixait Servaz d’un air soupçonneux. Celui-ci se retint pour ne pas se jeter sur lui par-dessus la table.