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— Alors, tu l’as frappée, dit Servaz. Tu as trouvé la corde et tu l’as attachée avant de la mettre dans la baignoire. Et tu as ouvert le robinet…

— Je voulais qu’elle comprenne avant de mourir ce que les enfants avaient enduré à cause d’elle. Qu’une fois au moins dans sa vie, elle réalise tout le mal qu’elle avait fait…

Il y eut comme un éclat de rire tout au fond de la prison. Rageur et impuissant. Puis des sanglots étouffés. Et le silence se referma. Mais il ne dure jamais bien longtemps en prison.

— Et elle a compris, oh ça oui, dit Servaz. Ensuite, tu as jeté les poupées dans la piscine et tu t’es assis là, au bord de l’eau… Pourquoi les poupées ? Parce qu’elles symbolisaient tes camarades noyés remontés à la surface ?

— Chaque fois que je venais chez elle, cette collection de poupées… j’en avais des frissons.

— Et après ?

Hugo releva la tête, il les regarda.

— Quoi, après ?

— Tu étais en état de choc, tétanisé par ce que tu avais fait, encore sous l’effet de l’alcool et de la drogue : qui est venu ce soir-là vider la messagerie de Claire et emporter son portable pour faire croire que quelqu’un d’autre cherchait à effacer ses traces, mettre la musique de Mahler, qui est venu ?

— David.

Servaz tapa si fort du poing sur la table qu’il fit sursauter les quatre personnes présentes dans la pièce. Il se dressa, se pencha sur la table.

— Tu mens ! David vient de se suicider en essayant de te sauver, toi, son frère, son meilleur ami, et tu salis déjà sa mémoire ? ! David, ce soir-là, est sorti après toi du pub, il était sur les vidéos de la caméra de surveillance de la banque, de l’autre côté de la place. Il m’a même assommé pour voler les enregistrements ! Mais le CD, ce n’est pas lui ! Quand je lui en ai parlé, juste avant qu’il se donne la mort, il m’a regardé : il ne savait pas de quoi je parlais !

Hugo resta silencieux. Il paraissait secoué.

— D’accord, dit-il enfin d’une voix morte, une voix remplie d’amour, de haine, de pitié et de dégoût de soi. David est juste sorti du pub, ce soir-là. Il a essayé de m’arrêter, de me raisonner… Il savait ce que je voulais faire… Il voulait m’empêcher de tout raconter à Claire. Je l’ai envoyé balader et il est retourné à l’intérieur. Il n’a volé les enregistrements que pour éviter qu’à travers lui on puisse remonter jusqu’au Cercle, et parce que ça renforçait l’hypothèse qu’il y avait un autre coupable. Quand je l’ai eu au téléphone, il m’a dit qu’il avait failli sauter avec vous dans le vide, ce soir-là, qu’il n’avait renoncé qu’au dernier moment.

Pendant une ou deux secondes, Servaz sentit un froid immense l’envahir.

— Et les mégots trouvés chez Claire, dans les bois ? articula-t-il. Avant de mourir, il m’a pourtant dit qu’on trouverait son ADN dessus.

— Il désapprouvait ma liaison avec Claire. Il la détestait. Ou bien il était jaloux, je ne sais pas… Mais ce que je sais, c’est qu’il était là, des fois, à nous espionner depuis les bois et à fumer cigarette sur cigarette… C’était ça aussi, David…

— QUI ? insista Servaz, même s’il redoutait de plus en plus d’entendre la réponse. QUI EST VENU FAIRE LE MÉNAGE ? ! QUI A MIS LE CD DANS CETTE PUTAIN DE CHAÎNE ?

Un nouveau double bip dans sa poche. Il sortit son portable. Il avait deux messages. À cette heure-ci ? Qu’est-ce qui urgeait à ce point ? Il ouvrit sa messagerie. Le numéro n’était pas enregistré dans son répertoire, il afficha le premier message. Et l’adrénaline, la peur, la nausée se ruèrent à nouveau dans ses veines.

— Margot ! cria-t-il tout haut en bondissant de sa chaise.

Le SMS était signé « J H. ».

Il disait :

« Prends garde à la bien-aimée. »

Il chercha fébrilement le numéro de Samira, appuya sur la touche d’appel.

— Patron ? dit la jeune femme, surprise, dans l’appareil.

— Va voir Margot ! Cours ! Fonce ! hurla-t-il dans le téléphone.

— Patron, qu’est-ce qui se passe ?

— Ne pose pas de questions ! Fais ce que je te dis !

Il l’écouta trotter dans l’herbe, puis courir sur le gravier. Le cœur battant, il l’entendit gravir les marches vers les dortoirs quatre à quatre, cogner à la porte, dire : « C’est Samira ! ». Entendit la porte s’ouvrir et une voix familière répondre, une voix ensommeillée, une voix qui lui fit l’effet d’un baume sur une brûlure. Puis celle de Samira revint dans l’appareil, essoufflée.

— Elle va bien, patron. Elle dormait.

Il respira profondément, regarda les autres qui le dévisageaient, yeux écarquillés.

— S’il te plaît, dit-il, rends-moi service. Dors avec elle cette nuit, prends l’autre lit. Je t’expliquerai. Tu as bien compris ?

— Bien reçu, dit Samira. Je dors dans la chambre.

— Et verrouille la porte.

Il referma son portable. Perplexe et soulagé à la fois. Regarda à nouveau le texto.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Ziegler qui s’était mise debout elle aussi.

Servaz lui montra le message.

— Oh, merde, dit la gendarme.

— Quoi ? articula Servaz. Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est à Marianne qu’il va s’en prendre…

— Pourquoi vous parlez de ma mère ? lança Hugo de l’autre côté de la table.

Ils le regardèrent.

— C’est elle qui a mis le CD, pas vrai ? dit Servaz d’une voix blanche.

— Dites-moi ce qui se passe, putain !

Servaz lui montra l’écran de son téléphone, il vit le gamin devenir livide. Il lut l’horreur, l’incompréhension, une terreur absolue dans ses yeux.

— Putain, c’est vraiment lui, cette fois ! cria le fils de Marianne. Il va la punir d’avoir pris sa place ! Oui, c’est elle qui a mis le CD avant de vous téléphoner ! Oui, je l’ai appelée au secours, ce soir-là ! Je lui ai servi le même couplet qu’à vous, je lui ai dit qu’il était trop tard, que quelqu’un m’avait vu par la fenêtre d’en face ! Elle a compris que les gendarmes allaient débarquer d’une minute à l’autre. Alors, elle a eu cette idée… Elle s’est souvenue de votre enquête, de tous ces articles qu’elle avait lus dans la presse à l’époque : Hirtmann, l’institut et votre goût commun pour Mahler… Du coup, elle a rappliqué aussi vite qu’elle a pu, elle a glissé ce CD dans la chaîne et elle est repartie aussitôt. Elle pleurait. Elle m’a aussi dit au téléphone d’essayer de vider la messagerie de Claire. Je ne comprenais pas à quoi ça servait, j’étais trop dans les vapes, mais je l’ai fait et j’ai essuyé le clavier. Si les gendarmes l’avaient trouvée là, elle aurait simplement dit la vérité : que je l’avais appelée au secours. Heureusement, ils ont mis un certain temps à débarquer. Ils ne pouvaient pas savoir qu’ils allaient trouver un cadavre… et ils étaient probablement tous devant le match. C’est ce qui nous a sauvés ! Elle était à peine ressortie qu’ils se pointaient ! Ensuite, elle vous a appelé. Elle s’est dit que si l’enquête vous était confiée, et que vous trouviez ce CD, elle avait peut-être une chance de vous amener à douter de ma culpabilité… une chance de sauver son fils… Et puis, elle vous a envoyé ce mail depuis un cybercafé…