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— Non, merci.

— Une boisson ? Une autre cigarette ?

Le jeune homme secoua la tête.

— J’ai arrêté de fumer, dit-il.

— Depuis quand ?

— Huit mois.

— Ça ne te fait rien si on continue ?

Servaz eut droit à un regard inquiet.

— Je croyais qu’on avait fini ?

— Pas tout à fait… Il me reste quelques points à éclaircir, dit Servaz en rouvrant son bloc-notes. Tu veux qu’on remette ça à plus tard ?

De nouveau, Hugo secoua la tête.

— Non, non. C’est bon.

— Très bien. Encore une heure ou deux et tu pourras aller dormir.

— Où ça ? demanda le jeune homme, les yeux agrandis. En prison ?

— En cellule de garde à vue pour l’instant. Mais on va devoir te ramener à Toulouse. Désormais, cette enquête est du ressort du SRPJ.

Il vit le regard d’Hugo se flétrir.

— Je voudrais appeler ma mère…

— Rien ne nous oblige à le faire. Mais tu pourras lui téléphoner dès qu’on aura terminé, d’accord ?

Le jeune homme se renversa sur sa chaise, les mains derrière la nuque. Il étira ses longues jambes sous la table.

— Essaie de te souvenir si quelque chose t’a paru bizarre, ce soir.

— Comme quoi ?

— Je ne sais pas, moi… n’importe quoi… Un détail… Quelque chose qui t’aurait laissé une impression de malaise, par exemple… un truc qui n’était pas à sa place… Tout ce qui te passe par la tête.

Hugo haussa les épaules.

— Non, je ne vois pas.

— Fais un effort, c’est ta peau qui est en jeu !

Servaz avait élevé la voix. Hugo le regarda, surpris. Dehors, le tonnerre retentit une fois de plus.

— La musique…

Servaz le scruta.

— Quoi, la musique ?

— Je sais que ça a l’air idiot, mais vous m’avez demandé de…

— Je sais ce que je t’ai demandé. Alors ? C’est quoi, cette histoire de musique ?

— Quand j’ai repris connaissance, de la musique montait de la chaîne stéréo…

— Et c’est tout ? En quoi est-ce que c’était inhabituel ?

— Eh bien… (Il vit Hugo réfléchir.) Il arrivait bien à Claire de mettre de la musique quand j’étais là, mais… jamais de ce genre-là…

— Quel genre c’était ?

— Du classique…

Servaz le regarda. Du classique… Il sentit un frisson lui courir tout le long de la colonne vertébrale.

— Elle n’en écoutait pas, d’habitude ?

Hugo acquiesça d’un hochement.

— Tu en es sûr ?

— Pas à ma connaissance… Elle mettait du jazz… ou bien du rock. Même du hip-hop. Mais je ne me souviens pas avoir jamais entendu de classique chez elle avant ce soir. Je me souviens que, sur le moment, quand je me suis réveillé, ça m’a paru immédiatement… bizarre. Cette musique sinistre qui montait, la maison ouverte et personne pour répondre. Ça ne lui ressemblait vraiment pas.

Servaz commençait à sentir une sourde inquiétude monter en lui. Quelque chose de vague, de diffus.

— Rien d’autre ?

— Non.

De la musique classique… Une idée lui était venue mais il la chassa tant elle lui parut ridicule.

Lorsqu’il retourna dans la maison de Claire Diemar, c’était toujours le même cirque, là-bas. La ruelle était à présent encombrée de fourgons et de véhicules, et les médias étaient entrés dans la danse eux aussi, malgré l’heure tardive — ou matinale, question de point de vue — avec leurs micros, leurs caméras et leur agitation professionnelle. À en juger par la présence d’un van surmonté d'une parabole, les commentaires footballistiques ne seraient pas les seuls à meubler le journal télévisé du lendemain. Servaz était cependant persuadé que le meurtre de la professeur de langues et de culture de l’antiquité serait relégué bien après les piètres performances des footballeurs nationaux.

Il releva le col de sa veste, de toute façon réduite à l’état de serpillière, et traversa rapidement les pavés glissants en faisant écran de sa main lorsque les flashes explosèrent.

À l’intérieur, seul un étroit passage délimité par les rubans de la police scientifique était ménagé entre la porte d’entrée et les portes-fenêtres du jardin. Servaz repéra la chaîne stéréo, mais les gars de la scientifique étaient en train de travailler dessus avec leurs pinceaux et leurs révélateurs. Il décida d’examiner le jardin en attendant. Les poupées avaient disparu. Des techniciens plantaient des repères numérotés dans l’herbe, entre les arbres, là où se trouvaient d’hypothétiques indices. Le pool-house était ouvert et brillamment éclairé. Servaz s’en approcha. Deux techniciens en combinaisons blanches étaient accroupis à l’intérieur. Il aperçut un évier, des chaises longues repliées, des épuisettes, des jeux et des bidons de produits de traitement pour la piscine.

— Vous avez trouvé quelque chose ?

L’un d’eux tourna vers lui un regard agrandi par d’épaisses lunettes orange, et secoua négativement la tête.

Servaz fit ensuite le tour du bassin. Lentement. Puis il traversa la pelouse détrempée en direction de la forêt. Elle formait une muraille compacte de verdure au pied de laquelle le gazon s’arrêtait. Il n’y avait pas de clôture, mais la végétation était assez dense pour servir de barrière naturelle. Il repéra cependant deux minces trouées dont il s’approcha. Il faisait noir là-dedans comme dans un four, et la pluie criblait bruyamment les frondaisons au-dessus de lui sans l’atteindre. Le premier passage le mena à un cul-de-sac au bout de quelques mètres. Il rebroussa chemin, émergea sur la pelouse et essaya le second. Ce passage en revanche semblait s’aventurer plus loin. Ce n’était rien d’autre qu’une faille presque indiscernable entre les troncs et les taillis, et il se contorsionna pour s’y faufiler, mais elle s’enfonçait obstinément dans les ténèbres comme un filon d’argent dans des roches quartziques. Le couvert des arbres arrêtait presque entièrement la pluie et la lampe torche de Servaz écorchait les branches, qui donnaient l’impression de vouloir le retenir. Il piétinait un matelas de feuilles et de bois mort qui l’obligeait à regarder où il mettait les pieds, s’enfonçant d’une dizaine de mètres sans que jamais le passage s’élargisse, et il finit par faire demi-tour en se promettant de revenir en plein jour. Il allait atteindre la sortie lorsque, dans les ténèbres presque totales, il devina quelque chose de blanc sur le sol, et il orienta le faisceau de la torche dans cette direction.

Un tas de petits cylindres clairs — sur la terre sombre et les feuilles.

Des cigarettes…

Il se pencha. Des mégots. Bien une demi-douzaine.

Quelqu’un était resté là à fumer pendant un bon moment. Servaz leva la tête. De l’endroit où il se trouvait, il voyait distinctement le côté de la maison donnant sur le jardin. Les portes-fenêtres et même l’intérieur du salon éclairé par les projecteurs de la police scientifique. Une fenêtre à l’étage laissait entrevoir le mobilier d’une chambre derrière des rideaux. Un point d’observation idéal…

Il sentit le duvet sur sa nuque se hérisser. La personne qui avait séjourné ici connaissait bien les lieux. Il essaya de se dire qu’il devait s’agir d’un jardinier. Ou même de Claire Diemar elle-même. Mais cela ne tenait pas. Il ne voyait aucune raison valable de rester là, dans ces buissons, à fumer cigarette sur cigarette, sinon pour espionner les faits et gestes de la jeune femme.