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Elle regarda la porte de la chambre, qui l’attirait irrésistiblement.

La liberté était là aussi, juste derrière. Elle jeta un regard vers le lit, il dormait toujours. Elle eut l’impression que son pouls entrait en zone rouge. Fit un pas, puis un deuxième, un troisième — contournant le lit et son bourreau. La poignée de la porte tourna sans bruit. Elle n’en crut pas ses yeux. La porte s’ouvrit. Un couloir. Étroit. Silencieux. Plusieurs portes à droite comme à gauche Mais elle alla tout droit et déboucha dans la grande salle à manger. Elle reconnut instantanément la grande table de bois sombre comme un lac, le bahut, la chaîne stéréo, la grande cheminée, les chandeliers, et eut devant les yeux les plats et les bougies scintillantes, dans ses oreilles la musique, dans ses narines l’odeur des plats. La nausée revint. Plus jamais ça… Les volets étaient clos, mais le soleil du dehors découpait de grandes tranches de lumière au travers des fentes.

Le vestibule, la porte d’entrée — juste là, sur sa droite, dans l'ombre. Elle fit deux pas de plus. Sentit que la drogue qu’il lui avait administrée n’avait pas tout à fait cessé ses effets. C’était comme si elle se déplaçait dans l’eau, comme si l’air épaissi lui opposait une résistance. Ses mouvements étaient lourds et maladroits. Puis elle n'arrêta. Elle ne pouvait pas sortir comme ça. Nue. Elle jeta un coup d’œil en arrière et son ventre se contracta. Tout sauf retourner dans cette chambre. Un plaid sur le canapé… Elle l'attrapa et le jeta sur ses épaules. Puis elle s’approcha de la porte d'entrée. Comme le reste de la maison, elle était ancienne, en bois grossier. Elle souleva le loquet, poussa le battant.

La lumière du soleil l’aveugla, le chant des oiseaux éclata comme un coup de cymbales, des mouches l’assaillirent en vrombissant, le parfum de l’herbe et des bois agressa ses narines, la chaleur caressa sa peau. L’espace d’un instant, la tête lui tourna, elle cligna les yeux, éblouie, le souffle coupé. Elle fut saisie d’un vertige sous l’assaut de cette chaleur, de cette lumière et de cette vie. Elle se sentit soudain comme la chèvre de Monsieur Seguin, ivre de liberté. Mais la peur revint aussitôt. Elle n’avait que très peu de temps.

Il y avait une dépendance sur la droite, une sorte d’ancienne grange ouverte et à moitié effondrée, avec une charpente apparente. En dessous, un fatras de vieux appareils ménagers, d’outils, un tas de bois et une voiture

Elle se dirigea vers elle, ses pieds nus marchant sur la terre déjà chauffée par le soleil. La portière côté chauffeur s’ouvrit en grinçant et elle craignit un instant que le bruit ne le réveille. L’intérieur sentait la poussière, le cuir et l’huile de moteur. Elle tâtonna, la main tremblante, mais il n’y avait pas de clé. Elle fouilla dans la boîte à gants, sous le siège, partout. En vain. Elle ressortit. Fuir… Sans attendre… Regarda autour d’elle. Une piste carrossable : non, pas par là. Puis elle aperçut l’amorce d’un vague sentier dans le clair-obscur de la forêt. Oui. Elle courut dans cette direction, réalisa combien elle était faible — elle avait probablement perdu entre dix et quinze kilos dans la cave —, combien ses jambes répondaient mal. Mais l’espoir lui insufflait une énergie nouvelle. De même que cet air chaud et vibrant, cette nature pleine de vie, cette lumière caressante.

Les sous-bois étaient plus frais mais tout aussi bruyants. Elle courut sur le sentier, eut plusieurs fois la plante des pieds écorchée par des cailloux pointus et des épines, mais elle n’en avait cure. Elle franchit un petit pont de bois au-dessus d’un ruisseau qui coulait dans l’ombre avec un son clair. Les planches ajourées vibrèrent sous sa course.

Puis elle commença à soupçonner que quelque chose clochait…

Par terre, au milieu du sentier, un peu plus loin…

Un objet sombre. Elle ralentit, s’en approcha. Un vieux radiocassette, avec une poignée pour le transport… De la musique s’en élevait. Elle la reconnut immédiatement avec un sursaut d’horreur. Elle l’avait entendue des centaines de fois… Un hoquet. C’était injuste. Infiniment cruel. Tout mais pas ça…

Elle se figea, les jambes flageolantes. Elle ne pouvait continuer par là, elle ne pouvait pas non plus rebrousser chemin. Sur sa droite, il y avait un fossé trop large et trop profond, avec le ruisseau coulant en bas.

Elle s’élança sur la gauche, franchit un remblai et détala le long d’une vague sente tracée au milieu des fougères.

Elle la suivit en courant à perdre haleine, jetant des coups d’œil derrière elle, mais elle ne vit personne. Le sous-bois éclatait toujours de chants d’oiseaux, la musique sinistre s’élevait désormais dans son dos, portée par l’écho — comme une menace omniprésente.

Elle croyait l’avoir laissée loin derrière elle lorsqu’elle tomba nez à nez avec un écriteau cloué sur un tronc d’arbre, là où la sente qu’elle suivait se divisait en deux, formant un T dans les fougères. Sur l’écriteau était peinte une double flèche indiquant les deux possibilités qui s’offraient à elle. Au-dessus des flèches, deux mots : « LIBERTÉ » d’un côté, « MORT » de l’autre.

Elle eut un nouveau hoquet. Se pencha pour vomir dans les foudres au bord du chemin.

Elle se redressa, s’essuya la bouche avec un coin du plaid qui puait le renfermé, la poussière, la mort et la folie — elle s’en rendait compte à présent. Elle avait envie de pleurer, de se laisser tomber par terre et de ne plus bouger, mais il fallait qu’elle réagisse.

Elle savait que c’était un piège. Un de ses jeux pervers. Mort ou liberté… Si elle choisissait « liberté », que se passerait-il ? Quel genre de liberté lui offrirait-il ? Certainement pas celle de retourner à sa vie d’avant. La délivrerait-il de sa prison en la tuant ? Et si elle choisissait « mort » ? Était-ce une métaphore ? De quoi ? La mort de ses souffrances, la fin de son calvaire ? Elle s’élança de ce côté, tablant sur le fait que, dans l’esprit de ce malade, l’offre en apparence la plus alléchante était certainement la pire.

Elle courut encore une centaine de mètres avant de l’apercevoir : une forme allongée et sombre qui pendait verticalement à un mètre au-dessus du chemin.

Elle ralentit de nouveau, courant moins vite puis marchant pour finalement s’arrêter quand elle comprit de quoi il s’agissait, le cœur au bord des lèvres. Un chat était pendu à une branche, la ficelle qui l’étranglait lui serrait tellement le cou qu’il n’allait pas tarder à être décapité. Un bout de langue rose émergeait de son museau blanc et son corps était aussi raide qu’une planche.

Elle n’avait plus rien dans le ventre, elle n’en sentit pas moins un haut-le-cœur la secouer, un goût de bile dans sa bouche. En même temps qu’une peur glacée lui descendait le long de la colonne vertébrale.

Elle gémit. L’espoir diminua en elle comme la flamme d’une chandelle qui expire. Au plus profond d’elle-même, elle savait que ces bois et cette cave seraient les derniers endroits qu’elle verrait. Qu’il n’y avait pas d’issue. Pas plus aujourd’hui que les autres jours. Mais elle voulait encore y croire un tout petit peu.

Il n’y avait donc personne pour se promener dans cette maudite forêt ? Elle se demanda soudain où elle se trouvait : en France ou ailleurs ? Elle savait qu’il existait des pays où on pouvait marcher pendant des heures, des jours sans rencontrer âme qui vive.