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— Ce n’est pas lui.

Servaz acquiesça. Ils remontaient les couloirs en direction du hall d’entrée. Il avait une furieuse envie de fumer mais les panneaux d’interdiction placardés un peu partout le rappelaient sans cesse à l’ordre.

— Je sais, dit-il. Son alibi tient la route et, de toute façon, je ne vois pas comment il aurait fait pour vider la messagerie de Claire Diemar au lycée ni pour quelle raison il aurait suivi et drogué Hugo.

— Ce type ne devrait pas être dehors, dit Samira au moment où ils dépassaient la cafétéria.

— Aucune loi ne permet de mettre quelqu’un en prison en raison de sa « dangerosité », fit-il remarquer.

— Il va récidiver, tôt ou tard.

— Il a purgé sa peine.

Samira secoua la tête en traversant le hall.

— La seule thérapie valable pour ce genre d’individus, c’est de leur trancher les couilles, décréta-t-elle.

Servaz regarda son adjointe. Apparemment, elle ne plaisantait pas. Il vit les portes vitrées approcher avec soulagement, plongea la main dans sa poche, mais il y avait encore une dernière interdiction de fumer de l’autre côté — et il eut l’impression d’être redevenu adolescent, sur la piste d’athlétisme, quand, les poumons en feu, il se disait qu’il n’arriverait jamais à franchir les vingt derniers mètres.

Les portes s’ouvrirent enfin. La chaleur et la moiteur leur tombèrent dessus. Il se raidit. Ses poumons en manque de nicotine réclamaient leur poison, mais il y avait autre chose… Quoi ? Depuis tout à l’heure, depuis qu’il avait croisé le premier panneau d’interdiction, son inconscient travaillait — mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

— Si ce n’est pas lui, ça nous ramène à la case départ, fit remarquer Samira.

— C’est-à-dire ?

— Hugo…

Servaz trouva le moyen de consulter sa montre tout en sortant une cigarette.

— On retourne à l’Embouchure. Toi, tu mets la pression sur le service des traces technologiques. Je veux un résultat avant la fin de la journée. Si c’est Hugo, explique-moi pourquoi il aurait vidé l’ordinateur de Claire et pas son propre téléphone portable ?

Elle leva les mains en signe d’ignorance tout en le regardant s'éloigner et traverser le terre-plein en direction de la passerelle. Une ambulance arriva dans le hurlement de sa sirène, s’immobilisa devant la barrière et attendit que celle-ci se soulève.

Tout à coup, la lumière se fit. Il sut pourquoi les écriteaux l’obsédaient à ce point depuis tout à l’heure.

Tout en longeant la grande passerelle suspendue au-dessus des arbres, il sortit son portable, chercha le numéro de Margot et appuya sur la touche d’appel. Une musique barbare, à base de guitares électriques et d’éructations gutturales, lui répondit et il grimaça. D’un côté, il était content d’apprendre que Margot éteignait son portable pendant les cours, de l’autre c’était un contretemps. Il tapa son SMS avec un seul doigt :

Hugo fume ? Rappelle-moi. Important.

Il avait à peine terminé que son téléphone se mettait à vibrer.

— Margot ? dit-il en atteignant les ascenseurs.

— Non. C’est Nadia, dit une voix féminine.

Nadia Berrada dirigeait le service des traces technologiques. Il pressa le bouton de l’ascenseur.

— Les ordinateurs ont « chanté », annonça-t-elle.

Il suspendit son geste.

— Et ?

— Effectivement, les messageries ont bien été vidées. On a récupéré les messages, reçus et envoyés. Le dernier date du jour même où elle est morte. Le truc habituel. Des mails adressés à des collègues, des mails privés, des sollicitations pour des réunions pédagogiques ou des séminaires, de la pub.

— Des mails envoyés ou reçus d’Hugo Bokhanowsky ?

— Non. Aucun… En revanche, un interlocuteur revient régulièrement. « Thomas999 ». Et ils ont l’air plutôt… comment dire ? intimes.

— Intimes comment ?

— Assez intimes pour écrire (elle s’interrompit avant de lire) : « La vie dans le futur sera tellement plus excitante parce que nous nous aimons », « Énorme. Total. Incroyable. Absolu manque de toi », « Je suis le cadenas et tu es la clé, je suis à toi pour toujours, ton écureuil, pour maintenant et pour l’éternité »…

— Qui écrivait ça, elle ou lui ?

— Les deux. Enfin, elle à 75 %… Il semble un tout petit peu moins expressif, mais bien accroché tout de même. Merde, cette fille était une passionnée !

Au ton de sa voix, il devina que ce qu’elle avait trouvé dans la messagerie laissait Nadia songeuse. Il se souvint de Marianne et de lui… À l’époque, pas de mails ni de textos, mais ils avaient échangé des centaines de lettres de ce genre. Des lettres exaltées, lyriques, naïves, ferventes, drôles. Alors même qu’ils se voyaient presque chaque jour. Ils avaient connu cette intensité, ce feu. Il tenait quelque chose — il le sentait. Cette fille était une passionnée… Nadia avait trouvé les mots justes. Il regarda la cime des arbres agités par la pluie en dessous de la passerelle.

— Demande à Vincent de faire une réquisition en urgence, dit-il. Il nous faut l’identité de ce Thomas999 le plus vite possible.

— C’est déjà fait. On attend la réponse.

— Parfait. Tiens-moi au courant dès que tu l’auras. Et, Nadia, s’il te plaît, est-ce que tu pourrais aller jeter un coup d’œil à la liste des pièces à conviction ?

— Qu’est-ce que tu veux savoir ?

— Si, parmi les objets trouvés dans les poches du gamin, il y avait un paquet de cigarettes.

Il attendit. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, mais il ne monta pas dedans, de peur que les parois métalliques n’empêchent le signal de passer. Nadia revint en ligne au bout de quatre minutes.

— Ni paquet ni cigarette ni joint, dit-elle. Rien de ce genre. Ça t’aide ?

— Peut-être. Merci.

En imaginant Nadia en train de fouiller dans le tas de pièces à conviction, une pensée lui était venue. Elle concernait le cahier qu’il avait trouvé sur le bureau de Claire et la phrase qui y était écrite :

Ami est quelquefois un mot vide de sens, ennemi jamais.

Il sentit comme un picotement à la base de son épine dorsale. Claire Diemar avait écrit cette phrase dans un cahier tout neuf peu de temps avant de mourir et elle l’avait laissé ouvert sur son bureau. Avait-elle conscience d’une menace imminente ? S’était-elle fait un ennemi ? Cette phrase avait-elle seulement un rapport avec l’enquête ? L’idée se précisa. Il sortit de nouveau son téléphone.

— Tu es devant ton ordinateur, là ? demanda-t-il quand Espérandieu eut décroché.

— Oui, pourquoi ? dit son adjoint.

— Tu pourrais taper une phrase dans Google ?

— Une phrase dans Google ?

— C’est ce que j’ai dit.

— Un genre de citation ?