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Ignorant que quelqu’un l’observait.

Il entendit d’abord le bruit du moteur et la musique. Ils s’approchaient à travers les bois — très vite… Elvis Elmaz coupa le son de la télé, tourna la tête et regarda en direction de la fenêtre. Il devina une lueur qui clignotait dans la forêt. Il faisait presque nuit. Des phares… Il bondit hors du sofa, vers l’arme appuyée au mur, dans un coin. Son cœur se mit à battre la chamade. Personne ne lui rendait visite à une heure pareille.

Les chiens se mirent à gronder puis à aboyer, à hurler et à secouer les cages avec leurs griffes.

Il vérifia qu’elle était chargée, l’arma et s’approcha de la fenêtre quand, soudain, une douche de lumière blanche la transperça et explosa dans la pièce, l’aveuglant.

La voiture avait surgi pleins phares et s’était immobilisée devant la véranda. Il mit une main en écran devant ses yeux mais, malgré ça, il était contraint de détourner la tête sous l’assaut du faisceau éblouissant qui inondait chaque recoin. Et puis, il y avait cette musique qui jaillissait à tue-tête de la bagnole et ces basses qui faisaient vibrer les murs.

Elvis fonça vers la porte, le cœur battant de plus en plus vite, le fusil pointé. Il l’ouvrit à la volée.

— Putain, je sais qui vous êtes, bande de pédés ! gueula-t-il en émergeant sur la véranda. Le premier qui approche, je lui explose la cervelle !

Il sentit le double canon d’un fusil froidement appuyé contre sa tempe.

— C’est Samira, dit la voix dans le téléphone.

Servaz coupa le son de la chaîne, une sirène hulula dehors. Encore une fois, il était déçu. Encore une fois, il avait espéré que ce serait Marianne. Pourquoi ne l’appelles-tu pas ? se demanda-t-il. Pourquoi attendre que ce soit elle qui le fasse ?

— Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est Margot… Il s’est passé un truc, ce soir. Un truc pas cool. Mais elle va bien, se hâta-t-elle de préciser.

Il se raidit. Margot. Un truc pas cool… Foutu langage ! Il attendit la suite. Samira lui raconta la scène à laquelle elle venait d’assister : elle surveillait l’arrière des bâtiments, Vincent l’avant. Ils avaient pris position en début de soirée. Vincent était assis dans sa voiture, sur le parking, Samira planquée à l’orée des bois. Elle avait vu deux filles sortir des bâtiments et longer les courts de tennis en direction des bois puis, juste après, Margot apparaître à son tour, leur emboîter le pas et s’enfoncer dans la forêt, elle l’avait alors suivie, avait découvert Margot qui surveillait les deux filles plus le garçon nommé David en train de discuter dans une clairière. Elle était trop loin pour entendre ce qui se disait, mais le jeune homme qui s’appelait David avait l’air complètement stone, il s’était aussi mutilé la poitrine avec un couteau. Samira avait ensuite vu le trio repartir vers le lycée pendant que Margot restait planquée dans les fourrés. Apparemment, les trois autres ne l’avaient pas repérée, mais David était réapparu quelques minutes plus tard. Samira l’avait vu se faufiler dans un buisson puis perdu de vue jusqu’au moment où il s’était jeté sur Margot. Samira s’était précipitée, mais elle était à une bonne trentaine de mètres, cette fichue forêt était pleine de ronces et elle s’était tordue la cheville sur une racine qui l’avait fait trébucher et cela lui avait fait un mal de chien quand elle s’était relevée. Elle avait dû mettre environ une minute et demie pour intervenir, pas plus, patron, je vous jure.

— Au moins, comme ça, le flagrant délit est constitué, dit-elle. Et j’insiste, patron : Margot va bien.

— Je comprends rien ! Le flagrant délit de quoi ? hurla-t-il.

Elle le lui dit.

— Tu dis que David a essayé de violer ma fille ?

— Margot dit que non. Que telle n’était pas son intention. Mais il avait quand même réussi à… hmm… mettre la main dans sa… hmm… culotte…

— J’arrive.

— Putain, ne faites pas ça, ne faites pas ça, merde !

Il se secoua. Pour la forme. Il avait les poignets entravés dans le dos et les jambes attachées aux pieds de la chaise par du gros ruban adhésif marron, des chevilles aux genoux. Une partie de son torse collé au dossier de la même façon. Et il en avait même qui lui passait autour du cou. Chaque fois qu’il se débattait, le ruban tirait sur sa peau et sur ses poils. Il suait comme un goret. Des litres de sueur. Plus qu’il aurait cru en contenir. Elle trempait la toile de son jean d’une énorme tache sombre à tel point qu’il donnait l’impression de s’être fait dessus. Ce qu’il ne tarderait pas à faire de toute façon si ça continuait comme ça. Il sentait la pression sur sa vessie. La pression de la peur.

— BANDE D’ENCULÉS ! JE NIQUE VOS MÈRES ! RACLURES DE MERDE ! JE VOUS BAISE TOUS !

Les insultes l’aidaient à la surmonter. Il savait qu’ils allaient le tuer. Et il savait que ce ne serait pas une mort agréable. Il n’avait qu’à penser à ce qui était arrivé à la prof… Des sadiques… Il n’avait jamais été très tendre avec les femmes. Il les avait battues, il les avait violées, mais ce qu’avait subi cette prof, cela dépassait l’entendement — même pour quelqu’un comme lui. Un frisson le parcourut. Un frisson d’auto-apitoiement en pensant à ce qui l’attendait.

Il renifla l’odeur des chiens, celle, forte et vinaigrée, qu’exhalait son propre corps, et celle plus complexe de la forêt : ils l’avaient ligoté dehors, dans la nuit, sur la véranda. Il lui sembla même sentir une très faible brise du soir dans la torpeur ambiante, comme un courant souterrain. Des particules de poussière et des insectes dansaient dans la lueur violente des phares qui blessait ses nerfs optiques. Il percevait chaque détail avec une acuité inouïe — y compris le nuage de postillons qui s’élevait de sa bouche dans la lumière blanche chaque fois qu’il gueulait. Tout à coup, tout prenait vie avec une puissance décuplée autour de lui, tout acquérait une valeur capitale, définitive.

— Je n’ai pas peur, dit-il. Tuez-moi, je m’en fous, de toute façon.

— C’est vrai ? dit une des silhouettes d’un ton intéressé. Oh, c’est bien !

Elle portait comme les autres un sweat-shirt imbibé de sueur et son visage demeurait caché dans l’ombre de sa capuche.

— Tu vas avoir peur, crois-moi, dit calmement une autre.

Quelque chose dans la voix le fit frissonner. Cette assurance.

Ce calme. Cette froideur. Il les regarda dérouler sur le sol de la véranda un rouleau de film alimentaire transparent et brillant. Eut un vertige. Son cœur voleta dans sa poitrine comme un oiseau en cage qui cherche une issue.

— Qu’est-ce que vous foutez ?

— Oh ! Ça t’intéresse, tout à coup ?

Ils se redressèrent et commencèrent à enrouler le film alimentaire autour de son torse, de ses bras nus et musclés et autour du dossier de la chaise. Il s’efforça de sourire.

— C’est quoi, ce truc ?

— Ce truc ? (Ils gloussèrent.) Ce truc, ça veut dire : miam miam pour les toutous…

Les silhouettes disparurent de son champ de vision. Il les entendit à l’intérieur, qui ouvraient et refermaient le frigo, puis revenaient à grands pas. Tout à coup, des mains gantées de latex glissèrent des morceaux de viande fraîche et sanguinolente entre le film alimentaire et son ventre, et il tressaillit. Quand il eut plusieurs escalopes sur le bide, ils firent de nouveau le tour de la chaise avec le film étirable, remontant un peu plus vers sa gorge à chaque tour, puis ils glissèrent de nouveaux morceaux de barbaque fraîche — celle, bon marché, qu’il utilisait pour nourrir les animaux — entre le film plastique, sa poitrine et son cou.