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— À quoi vous jouez, merde ?

Soudain, un coup de cutter lui fendit la joue. Le sang tiède se mit à pisser sur son menton, dans son cou, sur le film plastique et sur la viande.

— Aïe ! Putain, vous êtes malades !

— Tu savais que le PVC de ce film est constitué à 56 % de sel et 44 % de pétrole ?

Ils continuaient de tourner autour de lui comme s’il était un explorateur capturé par des indigènes et attaché à un poteau sacrificiel. Il sentit de nouveau le contact froid du film alimentaire contre son cou et sa nuque brûlante, puis la fraîcheur des morceaux de viande qu’on glissait entre la peau et le plastique. Après quoi, ils lui frottèrent le visage avec les dernières escalopes. Il secoua violemment la tête d’un côté à l’autre en grimaçant.

— Arrêtez ! Arrêtez ça tout de suite ! Bande d’enc…

Ils rentrèrent de nouveau à l’intérieur ; il les entendit ouvrir le robinet de la cuisine américaine, se laver les mains à grande eau en discutant. Voulut bouger. Dès qu’ils seraient partis, il renverserait la chaise et essaierait de la briser pour se libérer. Mais en aurait-il le temps ? De grosses gouttes de transpiration roulaient sur son front et dans sa barbe, il cligna pour chasser la sueur qui coulait de ses sourcils et lui brûlait les yeux. Il avait compris ce qu’ils allaient faire et cela le remplissait d’effroi. Il n’avait pas peur de mourir, mais cette mort-là, non. Putain, non !

Il passa sa langue sur ses lèvres desséchées et craquelées, la sueur dégouttait du bout de son nez, goutte après goutte, sur le film plastique.

Il fixa la lumière éblouissante des phares. La nuit et la forêt noire tout autour. Il entendait les insectes grincer dans les bois, les chiens n’aboyaient plus ; ils attendaient la suite du film en bons spectateurs… Peut-être flairaient-ils déjà l’odeur synonyme de nourriture. Ses tortionnaires repassèrent à côté de lui, descendirent les marches, montèrent à bord de la voiture, claquèrent les portières.

— Attendez ! Revenez ! J’ai de l’argent ! Je vous en donnerai ! (Il hurla :) Beaucoup ! Je vous donnerai tout ! Revenez !

Il supplia comme jamais encore il n’avait supplié de sa vie.

— REVENEZ, REVENEZ, MERDE !

Puis il se mit à sangloter tandis que la voiture partait en marche arrière dans la nuit, en direction des cages.

Il n’y avait plus de temps à perdre. Ils ouvrirent les grilles une par une dans l’obscurité. Les chiens les connaissaient. Ils étaient venus leur parler et leur donner à manger à plusieurs reprises depuis que leur maître était absent. « C’est moi, dit l’un d’eux d’une voix rassurante. Vous me reconnaissez, pas vrai ? Vous avez faim, je parie. Ça fait plus de vingt-quatre heures que vous n’avez rien mangé… » Les animaux surgirent des cages les uns après les autres, les entourèrent et ils ne bougèrent pas, se laissant renifler par les museaux monstrueux de ces bêtes dont les ancêtres n’hésitaient pas à s’attaquer à des ours. Les molosses se frottèrent à leurs jambes, firent le tour de la voiture. Puis ils reniflèrent l’autre odeur qui flottait dans la nuit, et les visiteurs virent leurs museaux se dresser dans la lueur des phares, leurs cous puissants se tourner d’un même mouvement vers la maison. Ils lurent la faim, la convoitise dans les petits yeux brillants. Les molosses se léchèrent les babines puis, d’un coup, comme s’ils répondaient à un signal, ils se mirent à courir tous ensemble vers la maison en aboyant. Les visiteurs entendirent alors, lorsque la meute bondit sur la véranda, la voix d’Elvis lancer avec autorité :

— Titan, Lucifer, Tyson, sages, couchés ! Couchés, j’ai dit !

Puis la panique, la terreur la plus pure la gagner :

— J’ai dit couchés ! TYSON, NON ! NOOON !

Malgré eux, ils ne purent s’empêcher de frissonner lorsque les hurlements déchirèrent le silence et que les grondements de plaisir des molosses en train de dévorer leur maître s’élevèrent dans la nuit.

29.

Breaking bad

— Je l’aurais pas fait.

Il sanglotait en les regardant tour à tour.

— Je l’aurais pas fait… Je le jure… Je… je… je… voulais juste lui faire peur… Non, sérieusement, j’ai jamais violé personne, putain ! Elle nous espionnait… Sur le moment, ça m’a mis en colère… je… j’ai voulu lui flanquer la trouille… c’est tout ! Je… j’étais pas dans mon assiette, aujourd’hui… Je vous le jure, putain… J’ai jamais fait ça de ma vie… Vous devez me croire !

Il se prit la tête dans les mains, ses épaules secouées par des pleurs silencieux.

— T’as pris quelque chose, David ? demanda Samira.

Il hocha la tête affirmativement.

— Quoi ?

— Meth.

— Qui te la fournit ?

Il hésita.

— Suis pas un mouchard, dit-il comme s’ils étaient dans une de ces séries policières.

— Écoute-moi bien, petit connard… commença Servaz, tout rouge.

— Qui ? dit Samira. N’oublie pas qu’on a un flagrant délit de tentative de viol contre toi. Tu sais ce que ça signifie : renvoi définitif de l’école, procès, prison… Sans parler de ce que les gens diront. Et de tes parents…

Il secoua la tête.

— Je sais pas son nom. Il est étudiant à la faculté des sciences. On le surnomme « Heisenberg », comme le personnage de…

— Breaking Bad, l’interrompit Samira en prenant note de poser la question aux Stups.

— Et Hugo, il y touche aussi ? voulut savoir Servaz.

De nouveau, David hocha la tête affirmativement, sans cesser de regarder ses mains.

— Réponds-moi, est-ce qu’Hugo avait pris quelque chose le soir où vous êtes allés voir le match au pub ?

Cette fois, David releva la tête et regarda le flic droit dans les yeux.

— Non ! Il était clean.

— Tu en es sûr ?

— Oui.

Samira et lui échangèrent un regard. Ce n’était pas l’écriture de Claire dans le cahier et, de toute évidence, Hugo avait été drogué. Demain, ils appelleraient le juge, mais ils n’étaient pas sûrs qu’en l’état actuel de l’enquête cela suffirait à obtenir sa remise en liberté.

Samira le regarda. Elle attendait sa décision. Servaz fixait David, se demandant s’il devait respecter le souhait de sa fille. À son tour, il secoua la tête.

— Fous le camp maintenant, dit-il finalement. Et fais passer le mot : si jamais vous retouchez à un cheveu de ma fille, ta petite bande et toi, votre vie va devenir un enfer.

David se leva et sortit, la tête basse. Servaz se leva à son tour.

— Reprenez vos positions, dit-il à Samira. Joignez les Stups, et demandez-leur s’ils connaissent cet « Heisenberg ».

Il quitta la pièce et remonta le couloir. Il connaissait l’endroit comme sa poche. À chaque pas ou presque étaient attachés des souvenirs. L’un d’eux remonta à la surface. Plus ancien que le lycée… Francis et lui. Ils avaient douze, treize ans. Francis lui montrait un lézard en train de se chauffer au soleil sur un mur. « Regarde. » D’un coup, il avait tranché la queue du lézard avec une pelle ou un couteau rouillé, il avait oublié. La queue avait continué à s’agiter en tous sens, comme si elle était dotée d’une vie propre, pendant que le lézard courait se cacher. Mais alors que le jeune Martin restait fasciné par ce bout de queue séparé du corps qui continuait de vivre, Francis s’était déjà emparé d’une grosse pierre et avait écrasé la tête du reptile avant qu’il ne disparaisse dans un trou.