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— Pourquoi tu as fait ça ? avait demandé Martin.

— Parce que c’est une ruse : pendant que le prédateur est fasciné par ce bout de queue qui s’agite, le lézard en profite pour s’enfuir.

— Tu avais vraiment besoin de le tuer ?

— Je suis un prédateur plus intelligent que les autres, avait répondu Francis.

Il poussa la deuxième porte sur sa gauche. Une ancienne salle de classe. Margot l’attendait en se rongeant les ongles, assise derrière un pupitre, ses écouteurs dans les oreilles. Elle les retira lorsqu’il entra.

— Vous l’avez laissé partir ?

Servaz fit signe que oui.

— La honte, dit-elle. Maintenant, tout le monde va me regarder comme une pestiférée.

— Ce n’est pas ta faute…

— Je suis censée faire une deuxième année ici, papa. Comment je vais me faire des amis avec l’étiquette « la-fille-qu’il-ne-faut-pas-toucher-ni-approcher-parce-qu’elle-est-protégée-par-la-police » collée dans le dos ?

— Heisenberg, ça te dit quelque chose ?

— Le type qui a créé la mécanique quantique ou le personnage de la série Breaking Bad ?

Il se sentit rassuré. Elle avait répondu sans la moindre hésitation ni cillement de paupières. Elle n’avait manifestement jamais entendu parler d’un dealer surnommé « Heisenberg ».

— C’est quoi, cette série ?

— C’est l’histoire d’un professeur de chimie qui découvre qu’il a un cancer avancé et qui, pour assurer l’avenir de sa famille quand il ne sera plus là, se lance dans la fabrication et le trafic de drogue. Tu t’intéresses aux séries télé, maintenant ?

D’où le surnom, songea-t-il en se demandant comment on pouvait créer une série TV à partir d’une histoire pareille.

— Tu as écouté leur conversation, dit-il soudain. De quoi est-ce qu’ils ont parlé ?

Il la vit froncer les sourcils et réfléchir.

— Je ne sais pas… C’était assez décousu… et étrange. David a dit qu’il en avait marre de tout ça… qu’il ne voulait plus continuer.

— Continuer quoi ?

— Aucune idée. Et puis, Virginie a dit qu’ils ne pouvaient pas le laisser tomber, qu’Hugo les aimait tous… Ah oui, et puis elle a parlé d’un truc encore plus bizarre : le Cercle… Elle a dit que le Cercle se réunirait bientôt.

— Le Cercle ?

— Oui.

Elle faillit lui dire que le Cercle devait se réunir le 17 de ce mois mais elle s’abstint. Pourquoi ? Pourquoi garder ça pour elle ? Qu’est-ce qui te prend ? Ils étaient deux à être au courant : Elias et elle. Qu’est-ce qu’elle avait derrière la tête ?

— Tu as une idée de ce que c’est ?

Elle secoua la tête.

— Va te coucher, dit-il en se sentant lui-même écrasé par la fatigue.

— Vincent et Samira, ils vont rester là combien de temps ?

Elle était déjà en train de remettre ses écouteurs dans ses oreilles. Tout à coup, il pensa à quelque chose.

— Le temps nécessaire, répondit-il. La musique que tu écoutes là, c’est quoi ?

— Hein ? Pourquoi tu veux le savoir ? Tu connais pas, ça s’appelle Marilyn Manson.

Elle gloussa :

— C’est pas vraiment ton style…

— Tu peux répéter ? dit-il.

— Quoi ?

— Le nom de ce groupe…

— Marilyn Manson. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a, papa ?

Servaz eut la sensation d’un gouffre s’ouvrant sous ses pieds. Le cybercafé… Sa bouche devint toute sèche et un voile de sueur tomba sur son visage. Ses doigts furent saisis d’un tremblement quand il ouvrit son portable et chercha Espérandieu et Samira dans son répertoire.

Samira Cheung était de nouveau couchée dans les taillis, à l’arrière du lycée, comme un putain de commando. Elle regrettait déjà sa tenue : avec son jean stretch et son débardeur trop court, l’herbe lui chatouillait le nombril et elle passait son temps à se gratter. Heureusement, le débardeur noir et le jean bleu sombre la rendaient moins repérable.

De là où elle se trouvait, la Franco-Sino-Marocaine avait une vue d’ensemble sur tout l’arrière des bâtiments, depuis les cubes de béton et la tribune sportive à gauche jusqu’à l’entrée des écuries, l’aile des dortoirs à droite, les courts de tennis, le boulingrin et l’entrée du labyrinthe. La fenêtre de Margot était allumée… Et ouverte. Elle avait même cru apercevoir le rougeoiement d’une cigarette et un ruban de fumée. C'est interdit par le règlement, ça, jeune fille… Elle avait avalé un café et un cachet de Modafinil pour être sûre de ne pas s’endormir, bien que les événements de la soirée lui eussent procuré suffisamment d’adrénaline pour la maintenir éveillée. Elle se serait volontiers envoyé un peu de death metal dans les oreilles pour se réveiller encore plus, Cannibal Corpse par exemple, dont l’album Butchered at Birth, réédité en 2002, comportait des titres aussi évocateurs que Living Dissection[3], Under the Rotted Flesh[4] ou Gutted[5]. Mais elle n’avait pas envie de se faire surprendre par quelqu’un arrivant derrière elle par les bois et elle avait renoncé à ses écouteurs. À vrai dire, elle détestait l’idée d’avoir dans son dos cette forêt dense et profonde.

Elle évitait de bouger dans la mesure du possible. Elle n’avait pas envie que les pensionnaires la repèrent et qu’elle devienne l’attraction des dortoirs. De temps à autre, elle faisait quand même quelques étirements et quelques mouvements d’assouplissement au milieu des buissons. Elle réfléchissait aussi aux futurs aménagements de la ruine qui lui servait de maison, dans la banlieue de Toulouse. On était mardi et l’ami qui devait lui installer sa douche n’avait toujours pas rappelé.

Son talkie-walkie crachouilla et la voix d’Espérandieu s’éleva dans le silence nocturne.

— Comment ça se passe de ton côté ?

— C’est calme.

— Martin vient de repartir… Il flippe complètement. Il voulait rester ici. Les gendarmes ont placé une patrouille sur la route, à l’entrée du lycée à sa demande. Margot a reçu l’ordre de verrouiller sa porte et de n’ouvrir en aucun cas à quelqu’un qu’elle ne connaît pas. Elle est allée se coucher.

— Pas vraiment. Je la vois : elle fume une clope. Mais elle est dans sa chambre, je confirme.

— J’espère que tu n’es pas en train d’écouter ta musique.

— Tout ce que j’entends, c’est un putain de hibou. Et toi, c’est calme ?

— Mortel.

— Tu penses vraiment qu’il pourrait avoir l’estomac de se pointer ici ?

— Hirtmann ? Je ne sais pas… Ça m’étonnerait… Mais cette histoire de musique de Marilyn Manson, ça craint.

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3

Dissection vivante.

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4

Sous la chair pourrie.

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5

Étripé.