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— Bonjour, Martin.

— Mmm…

Tout le monde semblait au courant. Ce genre d’info se refilait plus vite qu’une grenade dégoupillée. Il se précipita dans son bureau. Il y avait un mot sur sa table de travail :

« Le directeur t’attend. »

L’écriture de Pujol. D’accord. Allons-y. Il n’accrocha même pas sa veste. Se dirigea vers le bureau directorial de l’autre côté du couloir. Quand il passait devant les portes ouvertes des bureaux, il entendait les conversations s’arrêter. Il n’avait qu’une envie : échapper à tous ces regards. Il franchit la porte coupe-feu, passa devant le petit coin salle d’attente avec ses canapés en cuir et devant le secrétariat. Frappa.

— Entrez !

En le voyant, le directeur se leva, visage fermé. En face de lui était assis un type avec une nette surcharge pondérale, un gros noeud de cravate malgré la chaleur et l’air buté du fonctionnaire qui est du bon côté du manche. Il ne se leva pas, mais se retourna pour examiner Servaz de ses petits yeux jaunes comme des grains de muscat.

— Salut, Santos, dit Servaz.

Pas de réponse de ce côté-là.

— Martin, ce que me dit le commissaire Santos est vrai ? Tu as… confirmé les faits ?

Il fit oui de la tête. Stehlin secoua la sienne d’un air consterné. Le commissaire Santos regarda le divisionnaire en haussant les sourcils, l’air de dire « bon, alors, on fait quoi maintenant ? »

— Je… commença Servaz.

Stehlin l’arrêta d’un geste.

— J’ai parlé avec le commissaire Santos. Il accepte de… surseoir à ton audition… le temps que cette enquête soit bouclée.

Le regard surpris de Servaz passa de l’un à l’autre. Il s’était passé quelque chose… C’était impossible autrement. Jamais San Antonio n’aurait accepté un deal pareil sans un cas de force majeure. Et Servaz faisait partie de l’équation. Margot ! songea-t-il avec un triple salto de son estomac.

— Il y a du nouveau, dit le directeur, confirmant son intuition.

Servaz attendit la suite, la peur au ventre. La rumeur du boulevard entrait par la fenêtre ouverte ; la clim n’avait toujours pas été réparée.

— Tu te souviens d’Elvis Elmaz, le type que vous avez interrogé à l’hôpital ?

Servaz fit signe que oui.

— Il a été attaqué cette nuit. Il est entre la vie et la mort.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Apparemment, quelqu’un l’a ligoté sur une chaise avec de la viande et donné à bouffer à ses chiens.

Servaz regarda son patron en essayant de saisir le sens de ses paroles, puis de visualiser la scène, mais il s’empressa d’y renoncer — Il est à l’hôpital, poursuivit Stehlin. La moitié du visage arraché, les bras et le torse mordus et dévorés jusqu’à l’os en plusieurs endroits, plusieurs organes très sévèrement touchés, il a perdu énormément de sang. Il est tellement atteint qu’ils l’ont mit dans un service pour grands brûlés, sous tente à oxygène. Il paraît que c’est pas beau à voir… et qu’il a très peu de chances de s’en sortir. Il est tombé dans le coma au milieu de la nuit. S’il s’en sort, il le devra à son voisin, qui habite à cinq cents mètres de là, qui a vu passer une voiture en pleine nuit et entendu les chiens aboyer comme des enragés. Mais avant qu’il perde complètement connaissance, dans l’ambulance, il s’est passé un truc…

On y venait… Quel truc ? hurla le cerveau de Servaz. Stehlin tendit la main vers un endroit de son bureau. Servaz suivit son geste du regard et découvrit un sachet transparent pour pièces à conviction avec une étiquette.

— Il a réussi à faire comprendre à l’un des ambulanciers qu’il voulait écrire quelque chose. Il n’avait… plus de lèvres et plus de langue non plus, à ce moment-là, il était donc incapable de parler… D’autant plus qu’il avait un masque à oxygène sur la figure. Mais il semble que, devant l’agitation et l’insistance du type, l’ambulancier ait cependant fini par lui filer un bloc-notes et un stylo…

Stehlin attrapa le sachet à pièces à conviction et le tendit à Servaz.

— Et voilà ce qu’il est parvenu à écrire.

Le policier le prit. Il regarda le bloc-notes à l’intérieur. Une écriture tremblée, maladroite, fiévreuse.

À présent, il comprenait pourquoi, exceptionnellement, Santos avait accepté de reporter son audition. Il ressentit à la fois un intense soulagement et une dévorante curiosité.

— Tu as fouillé dans son passé ? voulut savoir Stehlin.

Servaz fit signe que non. La tête lui tournait.

— On a laissé tomber la piste Elvis dès lors que son alibi s’est avéré solide, répondit-il.

— Alors, je crois qu’il s’agit d’une faute d’orthographe, dit Stehlin.

— « Servaz, fouillez passé », rectifia le flic. De quel passé il parle ? Du sien ?

— Probablement.

Servaz sentait les rouages de son cerveau se mettre en branle.

— Peut-être qu’on a abandonné cette piste un peu trop vite, peut-être qu’on aurait dû s’assurer que Claire Diemar et Elvis Elmaz ne se connaissaient pas.

Martin, cela fait à peine quatre jours que vous êtes dessus. Vous avez fait ce qu’il fallait.

Servaz comprit que cette remarque était surtout destinée à Santos.

Et il y a autre chose, ajouta le directeur. Paris veut des résultats. Ils veulent surtout dédouaner Lacaze avant que tout ne fuite dans la presse et ne leur pète à la figure. Alors ils ont demandé où on en était, et ce matin ils ont fait pression sur les Stups. Ton « Heisenberg » est un de leurs indics et ils nous ont refilé son identité. Pour une fois, ils ne se sont pas fait prier. Tu penses qu’il peut avoir quelque chose à voir là-dedans ?

Servaz acquiesça.

Ils ne doivent pas être très nombreux sur le marché de la dope à Marsac, non ? Qui sait ? C’est peut-être lui qui a fourni la came à celui qui a drogué Hugo.

En ressortant du bureau de Stehlin, Servaz était en nage. Même à l’ombre, les atomes de l’air ambiant vibraient suffisamment pour produire une quantité de chaleur impressionnante et il n’était que 10 heures du matin. Il hésitait. Il avait désormais deux pistes nouvelles à explorer. Par où commencer ? Fouiller dans un passé aussi « riche » que celui d’Elvis Konstandin Elmaz risquait de prendre du temps, mais la dernière phrase écrite par l’Albanais avant de sombrer dans le coma brillait dans l’esprit de Servaz comme un néon.

Un type dans son état, qui sait qu’il ne ressortira peut-être pas vivant de l’hôpital, use ses dernières forces à envoyer un message. Ce message ne pouvait être que de la plus haute importance. Il disait : celui que vous cherchez est là.

Et ce message lui était adressé, à lui, Servaz.

Elvis Elmaz savait qui avait tué Claire.

Et c’était la ou les mêmes personnes qui l’avaient donné à bouffer à ses chiens…

Il franchit la porte coupe-feu. Un groupe s’était formé dans le couloir et, malgré lui, Servaz crut comprendre qu’il était question de football. Il essaya de passer au large, mais il ne put s’empêcher de capter quelques bribes de conversation.

— Putain, quelle chaleur ! On se croirait en Afrique du Sud ! dit quelqu’un.