Выбрать главу

Tout à coup, la lumière revint et ils sursautèrent.

— Bon Dieu de merde ! s’exclama Espérandieu.

— Expliquez-moi pourquoi je devrais vous confier cette enquête, commandant.

Servaz leva la tête et regarda Castaing. Le magistrat sortit une cigarette et la coinça entre ses lèvres. La cigarette grésilla sous les gouttes quand il l’alluma. Il avait l’air d’un totem, debout sous la pluie dans la lueur des phares. Et il toisait Servaz de toute sa hauteur.

— Pourquoi ? Parce que tout le monde s’attend à ce que vous le fassiez. Parce que c’est le choix le plus raisonnable. Parce que si vous ne le faites pas et que cette enquête foire lamentablement, ON VA VOUS DEMANDER POURQUOI VOUS NE L’AVEZ PAS FAIT.

Les petits yeux enfoncés sous les arcades proéminentes étincelèrent, sans que Servaz pût déterminer si c’était de la colère, de l’amusement ou un mélange des deux. Le géant était étonnamment peu déchiffrable dans ses attitudes.

— Cathy d’Humières ne tarit pas d’éloges à votre sujet.

Le ton trahissait sans ambiguïté le scepticisme.

— Elle dit que votre groupe d’enquête est le meilleur avec lequel elle ait travaillé. Ce n’est pas un mince compliment, n’est-ce pas ?

Servaz se tut.

— Je veux être tenu au courant de chacun de vos mouvements et de chaque avancée de l’enquête, est-ce assez clair ?

Il se contenta de hocher la tête.

— Je saisis le SRPJ et j’appelle immédiatement votre directeur. Règle numéro un : pas de cachotteries ni de petits arrangements avec la procédure. Autrement dit, aucune initiative ne sera prise sans mon consentement préalable.

Sous les arcades proéminentes, les yeux de Castaing cherchèrent un signe d’assentiment. Servaz acquiesça d’un signe de tête.

— Règle numéro deux : tout ce qui concerne la presse passera par moi. Vous ne parlerez pas aux journalistes. Je m’en charge.

Tiens donc, il voulait son quart d’heure de gloire, lui aussi. Andy Warhol avait semé la graine de la discorde avec sa petite phrase, dorénavant, tout le monde voulait accrocher au moins une fois les feux de la rampe avant de disparaître : les arbitres sur les terrains de sport qui en faisaient un peu trop, les chefs syndicalistes, qui prenaient les patrons en otage pour défendre leurs jobs, mais aussi pour passer à la télé, et les procureurs de province, dès qu’une caméra s’allumait.

— Vous auriez sans doute préféré travailler avec Cathy d’Humières, mais il va falloir vous accommoder de ma présence. Je vous saisis pour la durée de la garde à vue, je ferai ouvrir une information judiciaire dès la présentation du suspect. Si je ne suis pas satisfait de votre travail, si la garde à vue n’avance pas assez vite, ou si j’estime que vous n’en faites pas assez, je ferai en sorte que le juge vous dessaisisse au profit de la Section de Recherche de la gendarmerie. En attendant, vous avez carte blanche.

Il tourna les talons et s’éloigna vers sa Skoda garée un peu plus loin.

— Super, dit Vincent. On fait vraiment un métier agréable.

— Au moins, on sait à quoi s’en tenir, renchérit Samira à côté d’eux. C’est quel genre de tribunal, Auch ?

Elle avait débarqué alors qu’ils redescendaient des étages, attirant immanquablement l’attention des gendarmes avec sa parka militaire au dos de laquelle étaient imprimés les mots Zombies vs Vampires.

— Un TGI…

— Hmm.

Il devina où elle voulait en venir : il y avait fort à parier que c’était la première affaire de cette importance que monsieur le procureur avait à traiter. Pour compenser son manque d’expérience, il affirmait son autorité. Parfois justice et police avançaient de concert, parfois c’était comme si chacune tirait à un bout de la même corde.

Ils retournèrent à l’intérieur. Les techniciens de l’identité judiciaire étaient arrivés ; ils avaient tendu des rubans anti-franchissement, allumé des projecteurs, déroulé des mètres de fils électriques, posé des cavaliers de plastique jaune pour signaler de possibles indices, et ils baladaient leurs lampes spéciales le long des murs pour trouver des traces de sang, de sperme ou de Dieu sait quoi. Ils allaient et venaient entre le rez-de-chaussée, l’escalier et le jardin dans leurs combinaisons blanches, sans se parler, chacun sachant exactement ce qu’il avait à faire.

Il passa du salon au jardin. La pluie s’était un peu calmée. Des gouttes n’en tambourinaient pas moins sur son crâne. La voix de Marianne au téléphone. Elle résonnait encore dans ses oreilles. Selon elle, Hugo l’avait appelée pour lui expliquer qu’il venait de se réveiller dans la maison de sa prof. Sa voix rendue méconnaissable par la panique. Il n’avait aucune idée de ce qu’il faisait là ni de la manière dont il y était arrivé. Il avait raconté en sanglotant comment il avait d’abord fouillé le jardin parce que les portes-fenêtres étaient ouvertes et découvert avec stupéfaction la collection de poupées qui flottait dans la piscine. Puis il s’était mis en devoir de fouiller la maison, pièce par pièce, étage par étage. Il avait cru s’évanouir en découvrant le corps de Claire Diemar tout en haut, dans la baignoire. Marianne avait expliqué à Servaz que, pendant cinq bonnes minutes, son fils avait été incapable de faire autre chose que de pleurer et de tenir des propos incohérents. Puis Hugo avait repris ses esprits et ses explications. Il avait attrapé Claire dans l’eau, l’avait secouée pour la réveiller, avait tenté de défaire les nœuds, mais ils étaient trop serrés. Et, de toute façon, il voyait bien qu’elle était déjà morte. Bouleversé, il était ressorti de la maison et s’était traîné jusqu’à la piscine, sous la pluie. Il ignorait combien de temps il était resté là, la tête vide, assis au bord du bassin, avant d’appeler sa mère. Il lui avait déclaré qu’il se sentait bizarre — que sa tête était pleine de brouillard. C’était l’expression qu’il avait employée. Comme si on l’avait drogué… Puis, alors qu’il était encore dans le coaltar, les gendarmes avaient débarqué et lui avaient passé les menottes.

Servaz s’approcha du bassin. Les poupées : un technicien était en train de les repêcher à l’aide d’une épuisette. Il les attrapait, puis les faisait glisser une par une dans de grands sacs à scellés transparents que lui tendait un collègue. La scène avait quelque chose d’irréel ; là aussi, on avait branché des projecteurs et les visages blancs, fantomatiques, des poupées étincelaient dans la lumière violente — tout comme leurs regards bleus et fixes. Sauf que, songea Servaz en frissonnant, contrairement à celui de Claire Diemar, qui avait l’air tout ce qu’il y a de plus mort, ceux des poupées paraissaient étrangement vivants. Ou, plus exactement, d’une vivante hostilité… Foutaises. Servaz s’en voulut d’avoir de telles pensées.