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Tout à coup, il pensa à une autre solution.

La route traversait les gorges de part en part. Il y avait deux issues. Soit la femme était venue par l’autre côté, soit elle était là bien avant eux. Servaz aurait parié pour la première hypothèse. Ils ne voulaient pas être vus ensemble. C’était un risque à courir… Il rebroussa chemin, sans se soucier cette fois du bruit qu’il produisait. Le temps pressait. Dès qu’il eut rejoint la route, il se mit à courir vers sa voiture sur le gravier et l’asphalte. Il se rendit compte qu’il avait parcouru une distance bien moins longue qu’il ne l’avait cru à l’aller, mais il n’en était pas moins essoufflé quand il se mit au volant. Il mit le contact et roula hors du chemin au ralenti, s’éloigna à 30 kilomètres-heure sur la route, puis écrasa brutalement l’accélérateur dès qu’il eut la certitude que les occupants du Spider ne pouvaient plus l’entendre. Revenu au carrefour précédent, il vit une voiture garée sous les arbres, phares éteints, mais bien visible. Impossible de ne pas la repérer. Il la reconnut aussitôt. S’arrêta à sa hauteur et baissa la vitre.

— Qu’est-ce que vous foutez, nom de Dieu ?

Il vit Pujol et son acolyte se redresser.

— À ton avis ? s’énerva le premier. Tu as oublié ?

La filature ! Il avait demandé à Pujol de le suivre de loin au cas où Hirtmann se montrerait. Cela lui était complètement sorti de la tête !

— On avait dit « à distance » !

— C’est ce qu’on fait. Mais tu n’arrêtes pas d’aller et venir dans tous les sens !

— Pas mal le coup de la canne à pêche, ironisa l’équipier de Pujol dans l’ombre.

Servaz songea à Francis dans la gorge, qui pouvait passer devant eux d’un moment à l’autre.

— Rentrez à Toulouse ! Fichez-moi le camp d’ici ! Je ne vous veux pas dans mes pattes cette nuit !

Il lut la colère dans les yeux de Pujol, mais il n’avait pas le temps pour de plus amples explications. Il attendit que leur voiture eut disparu et repartit, tourna à gauche à l’embranchement suivant puis encore à gauche. Il parcourut environ deux kilomètres avant de trouver un nouvel écriteau « Gorges de la Soûle » près d’une bâtisse en ruine : un corps de ferme abandonné avec une grange. II gara sa Jeep en marche arrière tout contre le mur, à l’opposé des gorges, coupa son moteur, ses phares, et attendit.

Au bout d’un temps qui lui parut interminable et alors qu’il commençait à se demander si elle n’était pas repartie par l’autre chemin, la voiture inconnue passa devant lui. Il attendit qu’elle fût hors de vue et démarra. Pendant quelques kilomètres, il roula à vitesse réduite, puis il accéléra quand son GPS lui indiqua que la prochaine intersection se rapprochait.

Il la vit tourner à gauche et, de nouveau, il leva le pied, la laissant mettre de la distance entre eux. Il renouvela son manège à l’approche du carrefour suivant, juste à temps pour la voir continuer tout droit. La route de Marsac… Celle qui passait devant le lycée avant d’entrer en ville. Il devait se rapprocher s’il ne voulait pas la perdre dans les petites rues. Il était à deux cents mètres derrière elle et grignotait petit à petit son retard sur la longue ligne droite, quand il vit les feux stop s’allumer et la conductrice freiner avant de virer dans l’allée bordée de chênes qui conduisait au lycée. Il réfléchit à toute vitesse tout en ralentissant pour éviter d’arriver trop vite à sa hauteur. S’il s’engageait à son tour sur la longue allée conduisant au parking, il se ferait inévitablement repérer ! Et, à cette distance, il était impossible d’identifier l’occupante.

Une pensée lui vint. Vincent ! Il était garé quelque part en train de surveiller l’avant du lycée. Servaz finit sa trajectoire dans l’herbe de l’accotement, face au bâtiment principal éteint là-bas, tout au bout de la grande prairie, le pouce déjà sur la touche d’appel.

— Martin ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Une voiture s’approche du parking ! gueula-t-il. Tu la vois ? Son occupante, il faut que je sache qui c’est !

Un silence.

— Attends… Oui, je la vois… Une minute… elle descend… Une étudiante… blonde… Vu son âge, sûrement une prépa…

— Va la trouver ! II me faut son identité ! cria-t-il. Invente n’importe quoi. Dis-lui que la police surveille le lycée depuis le meurtre de sa prof. Demande-lui si elle a remarqué quelque chose. Dis-lui qu’elle ne devrait pas se balader toute seule avec ce qui se passe. Brode… Et demande-lui son identité.

Il vit Espérandieu descendre de voiture sans refermer la portière, à plusieurs centaines de mètres de là, et marcher rapidement on direction de l’autre silhouette, laquelle ne l’avait pas repéré et se dirigeait à présent vers le perron.

Il jeta un coup d’œil en direction du tableau de bord.

Les jumelles…

Il se pencha et ouvrit la boîte à gants. Elles étaient bien à l’intérieur, avec sa lampe torche, son bloc-notes et son arme.

Il s’en saisit. Espérandieu coupait par l’herbe à grands pas pour rattraper la jeune femme. Elle n’avait toujours pas remarqué sa présence. Servaz braqua les jumelles dans leur direction. Il colla ses yeux au binoculaire.

— Laisse-la filer, dit-il brusquement dans l’appareil.

— Quoi ?

— Ne te montre pas. C’est inutile. Je sais qui c’est…

Il vit Espérandieu s’immobiliser et regarder dans toutes les directions avant de le repérer enfin. Il coupa la communication, abaissa les jumelles, s'interrogeait fiévreusement sur la signification de ce qu’il venait de voir.

Sarah…

Margot vérifia que sa porte était bien fermée et revint vers son lit aux draps moites. Elle considéra le deuxième lit vide et sa poitrine se contracta. Sa coturne avait demandé à être changée de chambre depuis que la nouvelle s’était répandue dans le lycée que Margot faisait l’objet d’une menace.

Elle se rendit compte à quel point Lucie lui manquait, malgré le peu d’affinités qu’elles avaient et la façon maladroite dont elles communiquaient. Lucie avait emporté toutes ses affaires, vidé le mur de photos sur lesquelles apparaissaient ses cinq frères et sœurs et ce côté-ci de la chambrée avait un air triste et abandonné.

En tailleur sur le lit, elle contempla le sujet que leur avait donné Van Acker, mais sa tête était vide. Le devoir s’intitulait : Trouver sept bonnes raisons de ne jamais écrire un roman et une seule (valable) d’en écrire un. Margot supposait que Van Acker voulait ainsi ouvrir les yeux de tous les écrivains en herbe de la classe sur les difficultés qui les attendaient. Parmi les raisons de ne jamais écrire un roman, Margot avait déjà trouvé les suivantes :