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Sa voix brisée lorsqu’elle le lui avait annoncé. Il avait vu les larmes dans ses yeux, comme si c’était lui qui s’en allait.

— Pourquoi ?

— J’aime quelqu’un d’autre.

La pire des raisons…

Il n’avait rien dit. Il avait posé sur elle le même regard que sur la photo (du moins le supposait-il).

— Fous le camp.

— Martin, je…

— Fous le camp.

Elle était partie sans un mot de plus. Il n’avait appris que plus tard de qui il s’agissait. Double trahison… Pendant des mois, il avait espéré qu’elle revienne. Et puis, il avait rencontré Alexandra. Il remit la photo là où il l’avait trouvée, dans un tiroir. Il avait eu l'intention de la déchirer et de la jeter, ce matin en se réveillant, mais il y renonça. Il se sentait éreinté. À bout de nerfs. Il avait dormi à peine deux heures et encore, d’un sommeil troublé, plein de cauchemars, de suées et de frissons.

Hirtmann, Marsac et maintenant ça… Il se fit l’effet d’un élastique sur lequel on tirait pour tester sa limite de rupture. Elle n’était pas très loin, il le sentait. Il sortit sur le balcon. 9 heures du matin. Le ciel tournait de nouveau à l’orage. Une barre de nuages noirs approchait par l’ouest, alors même que le soleil continuait de briller. Des vagues de chaleur montaient de la ville, en même temps qu’un tintamarre de moteurs et de klaxons. L’électricité était dans l’air, des martinets tournoyaient en poussant des cris perçants.

Il s’habilla et sortit. Il était ébouriffé, mal rasé, le visage portant les stigmates de son expédition nocturne et pas lavé depuis plus de vingt-quatre heures, mais il s’en foutait. Marcher dans les rues et dans la lumière orageuse lui fit du bien. Il s’installa à une terrasse de café, place Wilson, et en demanda un très serré et très sucré. Du sucre pour faire passer l’amertume…

Il se demanda à qui il pouvait parler, à qui demander conseil. Il se rendit compte qu’il n’existait qu’une seule personne. Il vit un beau visage, de longs cheveux roux, une nuque longue, un corps et un sourire à tomber…

Il but son café en attendant l’heure d’ouverture.

Puis il emprunta la rue Lapeyrouse, traversa l’éternel chantier de la rue d’Alsace-Lorraine avec ses engins de terrassement au repos et tourna dans la rue de la Pomme. Il savait que la galerie ouvrait à 10 heures le matin… Il était 9 h 50. La porte était déjà ouverte, la galerie déserte et silencieuse. Il hésita.

Ses semelles couinèrent sur le bois blond du parquet. Une musique diffusait en sourdine des petits haut-parleurs. Du jazz… Son regard ne s’attarda même pas sur les toiles modernes accrochées aux cimaises. Il entendit des talons et une voix à l’étage, alla jusqu’au fond et grimpa l’escalier métallique en colimaçon.

Elle était là, en train de téléphoner, debout derrière son bureau Près de la grande baie vitrée en plein cintre.

Elle leva les yeux et le vit. Elle dit :

— Je vous rappelle.

Charlène Espérandieu portait ce matin-là un tee-shirt blanc qui laissait une épaule dégagée et un sarouel bouffant noir. Sur sa poitrine était brodé le mot « ART » en sequins brillants. Ses cheveux rouges flamboyaient dans la clarté matinale, bien que le soleil n’éclairât pas encore la rue, mais seulement les étages supérieurs de la façade en brique rose, de l’autre côté de la fenêtre.

Elle était diablement belle et, l’espace d’un instant, il se dit que cela pourrait être elle, celle qu’il cherchait, la femme qui le consolerait et qui lui ferait oublier toutes les autres. Celle sur laquelle iI pourrait s’appuyer. Mais non, bien sûr que non. Elle était la femme de son adjoint. Et elle n’accaparait plus son esprit comme elle l’avait fait deux hivers auparavant. Plus de cœur s’emballant lorsqu’il pensait à elle. Elle était juste un signal périphérique, malgré sa beauté — une pensée agréable, mais sans consistance, sans douleur, ni feu…

— Martin ? Qu’est-ce qui t’amène ?

— Je boirais bien un café, dit-il.

Elle contourna le bureau pour l’embrasser sur les joues. Elle sentait bon le shampooing et un parfum léger et citronné comme une brise dans un verger d’agrumes.

— Ma machine est en panne. Moi aussi, j’en ai besoin. Viens. Tu as mauvaise mine.

— Je sais, et j’ai aussi besoin d’une douche.

Ils traversèrent la place du Capitole en direction des terrasses sous les arcades. Il marchait en compagnie d’une des plus belles femmes de Toulouse, il avait l’air d’un clodo et il pensait à une autre…

— Pourquoi tu n’as jamais répondu à mes textos et à mes appels ? demanda-t-elle après avoir trempé ses lèvres dans son café.

— Tu le sais très bien.

— Non. J’aimerais que tu me l’expliques.

Il se rendit compte tout à coup qu’il s’était trompé, il ne pouvait pas lui parler de Marianne, il n’en avait pas le droit. Il savait qu’il la blesserait. Qu’elle était vulnérable. C’était peut-être son but, Inconsciemment : blesser quelqu’un comme il l’avait été lui-même.

Mais il ne le ferait pas.

— J’ai reçu un mail de Julian Hirtmann, dit-il.

— Je suis au courant. Vincent croyait qu’il s’agissait encore d’un truc bidon, que tu psychotais. Jusqu’à ces lettres gravées que tu as trouvées sur un tronc d’arbre… Depuis, il ne sait plus quoi penser.

Tu es au courant pour les lettres ?

Elle plongea son regard vert dans le sien.

— Oui.

— Et tu sais où… ?

Où tu les as trouvées ? Hmm, hmm. Vincent me l’a dit.

— Il t’a dit aussi dans quelles circonstances ?

EIle hocha la tête.

Charlène, je…

— Ne dis rien, Martin. C’est inutile.

— Alors, il t’a dit que c’est quelqu’un que j’ai connu il y a longtemps.

— Non.

— Quelqu’un que j’ai…

— Tais-toi. Tu ne me dois aucune explication.

— Charlène, je veux que tu saches…

— Tais-toi, j’ai dit.

La serveuse qui était venue prendre son billet s’empressa de repartir.

— C’est vrai, quoi, ajouta-t-elle. Ce n’est pas comme si on était mariés… ou même amants… ou quoi que ce soit…

Il se tut.

— Après tout, qui se soucie de ce que je ressens ?

— Charlène…

— Est-ce que c’était seulement moi, Martin ? Est-ce que tu n’as jamais rien ressenti ? Est-ce que j’ai rêvé ? Est-ce que je me suis fait un film toute seule ?… Et merde ! Il la regarda. Elle était terriblement belle en cet instant. N’importe quel mâle normalement constitué l’aurait désirée. Il n’y avait pas de femme plus désirable que Charlène Espérandieu à cent kilomètres à la ronde. Mariée ou pas, elle devait crouler sous les avances. Alors, pourquoi lui ?

Il s’était menti à lui-même pendant tous ces longs mois. Oui, il avait éprouvé quelque chose… Oui, c’était peut-être bien elle la femme qu’il cherchait… Oui, il avait pensé à elle plus souvent qu’à son tour et il l’avait imaginée dans ce lit où il dormait seul — et dans maints autres endroits. Mais il y avait Vincent. Et Mégan. Et Margot. Et tout le reste.

Pas maintenant…

Elle dut sentir elle aussi que le moment était mal choisi car elle changea de sujet.

— Tu crois qu’il y a un danger pour nous, pour… Mégan ? demanda-t-elle.

— Non. Hirtmann fait une fixation sur moi. Il ne va pas passer en revue tous les flics de Toulouse.