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— Mais s’il ne pouvait pas t’atteindre, toi ? (Elle eut l’air inquiète, tout à coup.) S’il est aussi bien renseigné que vous le dites, il doit savoir que Vincent est ton ami et ton plus proche collaborateur, tu as pensé à ça ?

— Oui, j’y ai pensé, bien sûr… Pour l’instant, on ne sait même pas où il se trouve. Sincèrement, je ne crois pas qu’il y ait le moindre danger. Vincent n’a jamais rencontré Julian Hirtmann. Le Suisse ignore tout de son existence. Soyez un peu plus vigilants, c’est tout. Si tu veux, préviens l’école de Mégan et dis-leur de s’assurer que personne ne tourne autour, de ne pas la laisser seule.

Il avait demandé une surveillance pour Margot. Allait-il devoir en demander une pour tous ses proches ? Vincent, Alexandra ?

Tout à coup, il pensa à Pujol. Bon sang, il l’avait encore oublié ! Est-ce qu’il avait repris la sienne, de surveillance ? Que penserait-il s’il voyait Charlène et lui lancés dans une discussion très animée à une terrasse de café en l’absence de son adjoint ? Pujol détestait Vincent. Servaz était sûr qu’il s’empresserait de colporter l’info.

— Merde, dit-il.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— J’avais oublié que je fais moi-même l’objet d’une surveillance.

— De la part de qui ?

— De membres du service… Des gens qui n’aiment pas beaucoup Vincent…

— Tu veux parler de ceux que tu as remis à leur place il y a deux ans ?

— Mmm-mm.

— Tu crois qu’ils nous ont vus ?

— Je n’en sais rien. Mais je ne veux pas prendre le risque. Tu vas te lever et on va se dire au revoir en se serrant la main.

Elle le regarda en fronçant les sourcils.

— C’est ridicule.

— Charlène, s’il te plaît.

— Comme tu voudras… Veille sur toi, Martin. Et sur Margot…

Il la vit hésiter.

— Et je veux que tu saches que… je suis là, je serai toujours là pour toi. À n’importe quel moment.

Elle tira sa chaise en arrière et, une fois debout, lui secoua la main de manière très formelle par-dessus la table. Elle ne se retourna pas et il ne la regarda pas s’éloigner.

34.

Avant-match

Il avait rendez-vous dans les bureaux de l’IGPN à 10 h 30. Quand il entra dans celui du commissaire Santos, ce dernier était en train de parler avec une femme dans la cinquantaine, debout à côté de lui, vêtue d’un tailleur rouge. Servaz lui trouva une allure de maîtresse d’école à l’ancienne, avec ses lunettes glissant au bout de son nez et sa bouche pincée.

— Asseyez-vous, commandant, dit Santos. Je vous présente le docteur Andrieu, notre psychologue.

Servaz jeta un bref coup d’œil à la femme qui se tenait debout alors qu’il y avait deux sièges libres, puis il reporta son attention sur San Antonio.

— C’est elle qui va vous suivre deux fois par semaine, ajouta celui-ci.

Servaz tressaillit, incrédule.

— Pardon ?

— Vous m’avez bien entendu.

— Comment ça, « suivre » ? Santos, c’est une blague !

— Êtes-vous dépressif, commandant ? demanda d’emblée la femme en le couvant du regard par-dessus ses lunettes.

— Je suis suspendu ou pas ? demanda Servaz en se penchant par-dessus le bureau du gros commissaire.

Les petits yeux de Santos le sondèrent un instant entre ses paupières gonflées comme celles d’un caméléon.

— Non. Pas pour le moment. Mais vous avez besoin d’un traitement.

— Un quoi ?

— Un suivi, si vous préférez.

— Suivi, mon cul !

— Commandant… l’avertit Santos.

— Êtes-vous dépressif ? répéta le docteur Andrieu. J’aimerais que vous répondiez à cette simple question, commandant…

Servaz ne lui accorda pas un regard.

— Où est la logique là-dedans ? demanda-t-il au flic de l’IGPN. Soit j’ai besoin d’un traitement et alors il faut me suspendre, soit vous reconnaissez que je suis apte à exercer mes fonctions et cette… personne n’a rien à faire ici. Point barre.

— Commandant, ce n’est pas à vous de décider.

— Commissaire, s’il vous plaît, gémit-il. Vous l’avez regardée ? Rien que de la voir j’ai des idées suicidaires.

Un sourire involontaire effleura les lèvres charnues de Santos sous sa moustache jaunie par le tabac.

— Ce n’est pas comme ça que vous résoudrez vos problèmes, le tança la femme piquée au vif. Ce n’est pas en vous réfugiant dans le déni ou le sarcasme.

— Le docteur Andrieu est spécialiste des… commença Santos sans conviction.

— Santos… vous savez ce qui s’est passé. Comment auriez-vous réagi à ma place ?

— Oui, c’est pour ça que vous n’êtes pas suspendu. À cause de la pression que vous avez subie. Et aussi à cause de cette enquête en cours. Et je ne suis pas à votre place.

— Commandant, dit la femme doctement, votre attitude est contre-productive. Puis-je vous donner un conseil ? Ce serait de…

— Commissaire, protesta Servaz, laissez-la dans ce bureau et je vais vraiment devenir dingue. Donnez-moi cinq minutes. Vous et moi, seul à seul. Après, si vous voulez, je l’épouse… Cinq minutes…

— Docteur, dit Santos.

— Je ne crois pas que… commença la femme sèchement.

— Docteur, s’il vous plaît.

Lorsqu’il ressortit, il prit l’ascenseur jusqu’au deuxième étage et se dirigea vers son bureau.

— Stehlin veut te voir, dit l’un des membres de la brigade dans le couloir.

Ils s’étaient réunis une fois de plus pour parler football. Servaz capta les mots « décisif », « Domenech » et « équipe »…

— Il paraît que c’était tendu quand il a annoncé la composition, dit quelqu’un.

— Bah, si on gagne pas contre le Mexique, on mérite pas de continuer, dit un autre.

Est-ce qu’on ne pourrait pas attendre d’être au troquet du coin pour parler de ce genre de chose ? songea Servaz. Mais, après tout, un jour pareil, les assassins et les truands devaient faire de même. Il marcha jusqu’au bureau du patron, frappa et entra. Le directeur était en train de mettre des scellés « sensibles » — argent ou drogue — au coffre. Au-dessus, un gilet tactique estampillé « police judiciaire » était accroché à un porte-manteau.

— Je suis sûr que vous ne m’avez pas fait venir pour me parler football, ironisa-t-il.

— Lacaze va être mis en garde à vue, annonça Stehlin d’emblée en refermant le coffre. Le juge Sartet va demander la levée de son immunité. Il a refusé de dire où il était vendredi soir.

Servaz lui jeta un regard incrédule.

— Il est en train de foutre sa carrière politique en l’air, commenta le divisionnaire.

Le flic secoua la tête. Quelque chose le chiffonnait.

— Et pourtant, dit-il. Pourtant, je ne crois pas que ce soit lui. J’ai eu l’impression qu’il craignait par-dessus tout de… de dire où il était… Mais pas parce qu’il était chez Claire Diemar ce soir-là, non.

Stehlin le regarda sans comprendre.

— Comment ça ? Je ne pige pas.

— Eh bien, comme si dire où il était ce soir-là pourrait nuire encore plus à sa carrière qu’être mis en examen, répondit Servaz, perplexe, en essayant de trouver une signification à ses propres paroles. Je sais, je sais, ça n’a pas de sens.