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— La milice de Pendiwane attend, monseigneur, dit doucement Deliamber.

Valentin hocha la tête. Il était vêtu d’un costume d’apparat d’emprunt, un pourpoint vert appartenant à l’un des compagnons d’Ermanar, un manteau jaune que lui avait trouvé Asenhart, une lourde chaîne d’or qui était la propriété de Lorivade et de hautes bottes luisantes, doublées de fourrure blanche de steetmoy, contribution de Nascimonte. Depuis le banquet fatal de Tilomon, où il était dans un corps entièrement différent, jamais il n’avait été aussi somptueusement vêtu. Cela lui donnait une étrange sensation d’avoir une mise aussi prétentieuse.

— Il ne lui manquait plus que la couronne.

— Il ne sied pas que je me la mette moi-même sur la tête, dit-il. Deliamber, vous êtes mon principal ministre. Chargez-vous-en.

— Je ne suis pas assez grand, monseigneur.

— Je peux m’agenouiller.

— Ce ne serait pas convenable, répliqua un peu sèchement le Vroon.

Deliamber répugnait visiblement à le faire. Valentin se tourna ensuite vers Carabella. Mais elle se rejeta en arrière avec horreur, disant dans un souffle :

— Je suis une femme du peuple, monseigneur !

— Qu’est-ce que cela a à voir avec ?… commença Valentin en secouant la tête.

Cela commençait à être bien contrariant. Ils en faisaient une grande occasion. Il parcourut le groupe des yeux et vit la haute dignitaire Lorivade, cette femme au port altier et au regard froid, et lui dit :

— Vous êtes parmi nous la déléguée de la Dame, ma mère, et vous êtes une femme de haut rang. Puis-je vous demander ?…

— La couronne, monseigneur, répondit gravement Lorivade, est transmise au Coronal par autorité du Pontife. Il me paraît plus approprié qu’Ermanar, en tant que représentant du Pontife parmi nous, vous en ceigne le front.

— Je suppose que vous avez raison, soupira Valentin.

Puis, se tournant vers Ermanar, il lui demanda :

— Acceptez-vous de le faire ?

— Ce sera un grand honneur pour moi, monseigneur.

Valentin tendit la couronne à Ermanar et descendit aussi bas que possible sur son crâne le bandeau d’argent de sa mère. Ermanar, qui n’était pas un homme de haute taille, prit la couronne à deux mains en tremblant un peu et se redressa en tendant les bras. Avec d’infinies précautions, il posa la couronne sur la tête de Valentin et la fit glisser en place. Elle s’ajustait parfaitement.

— Voilà, dit Valentin. Je suis heureux que…

— Valentin ! Lord Valentin ! Vive lord Valentin ! Longue vie à lord Valentin !

Ils s’agenouillaient devant lui, ils formaient le symbole de la constellation, ils l’acclamaient, tous, Sleet, Carabella, Vinorkis, Lorivade, Zalzan Kavol, Shanamir, tous sans exception, Nascimonte, Asenhart, Ermanar, même – et c’était surprenant – l’être d’un autre monde, Khun de Kianimot.

Valentin, que ce spectacle embarrassait, leur fit signe d’arrêter. Il voulait leur dire que ce n’était pas une véritable cérémonie, que ce n’était fait que pour impressionner les citoyens de Pendiwane. Mais les mots ne parvenaient pas à franchir ses lèvres, car il savait qu’ils étaient mensongers, que cette cérémonie improvisée était en fait son second couronnement. Et il sentit un frisson lui descendre le long de l’échine, un tremblement d’émerveillement. Il resta les bras écartés, acceptant leur hommage. Puis il dit :

— Allons. Relevez-vous tous. Pendiwane nous attend.

D’après les rapports des éclaireurs, la milice et les notabilités de la ville bivouaquaient depuis plusieurs jours devant la porte occidentale de Pendiwane en attendant son arrivée. Valentin se demanda dans quel état devaient être les nerfs des bourgeois de Pendiwane après une attente si longue et si incertaine et quelle sorte d’accueil ils comptaient lui réserver.

Ils n’étaient plus qu’à une heure de la ville. Ils traversaient rapidement une région de plaisantes forêts et de vastes prairies ondulées et luisantes de pluie qui laissèrent bientôt place à des quartiers résidentiels où prédominaient les maisons de pierre aux toits coniques de tuiles rouges. La cité où ils arrivaient était une importante agglomération, la capitale de sa province, dont la population s’élevait à douze ou treize millions d’habitants. Valentin se souvenait qu’elle était avant tout un entrepôt commercial par lequel transitaient les produits agricoles de la basse vallée du Glayge avant d’être réexpédiés par voie fluviale en direction des Cinquante Cités.

Au moins dix mille miliciens attendaient devant la porte.

Ils occupaient toute la route et débordaient dans les allées du marché qui se nichait contre le mur d’enceinte de Pendiwane. Ils étaient armés de lanceurs d’énergie, mais en petit nombre, et avaient également des armes plus rudimentaires. Ceux du premier rang étaient raides et tendus et avaient pris une posture martiale qui, de toute évidence, leur était inhabituelle. Valentin donna ordre aux flotteurs de s’arrêter à quelques centaines de mètres des miliciens les plus proches, si bien que la route entre les deux troupes formait un large espace dégagé, une sorte de zone tampon.

Il s’avança, portant sa couronne, sa robe et son manteau. Lorivade, revêtue des resplendissants ornements sacerdotaux des hauts dignitaires de la Dame, marchait à sa droite et Ermanar, portant sur la poitrine l’emblème étincelant du Labyrinthe du Pontife, à sa gauche. Derrière Valentin venaient Zalzan Kavol et ses frères, imposants, massifs et menaçants, suivis de Lisamon Hultin en tenue de combat, elle-même flanquée de Sleet et de Carabella. Autifon Deliamber était perché sur le bras de la géante.

D’une démarche lente, calme et indiscutablement majestueuse, Valentin avança dans l’espace dégagé qui s’ouvrait devant lui. Il vit les citoyens de Pendiwane remuer, échanger des regards troublés, s’humecter les lèvres, changer de position, se frotter les mains sur la poitrine ou les bras. Un silence insoutenable était tombé. Il s’arrêta à vingt mètres du premier rang et déclara :

— Bonnes gens de Pendiwane, je suis le légitime Coronal de Majipoor et je vous demande votre aide pour reprendre ce qui m’a été accordé par la volonté du Divin et le décret du Pontife Tyeveras.

Des milliers de paires d’yeux grands ouverts le regardaient fixement. Il se sentait parfaitement calme.

— Je demande au duc Holmstorg de Glayge de sortir de vos rangs, reprit Valentin. Je demande à Redvard Haligorn, maire de Pendiwane, de sortir de vos rangs.

Il y eut des mouvements dans la foule. Puis elle s’écarta et laissa sortir un homme rondouillard vêtu d’une tunique bleue bordée d’orange dont le visage joufflu paraissait gris de peur ou de tension. L’écharpe noire de la mairie traversait sa large poitrine. Il fit quelques pas à la rencontre de Valentin, hésita, fit frénétiquement signe derrière lui en un geste qui voulait passer inaperçu de ceux qui lui faisaient face et, après quelques instants de flottement, cinq ou six officiers municipaux subalternes, l’air aussi interdit et réticent que des enfants à qui l’on demande de chanter à la fête de leur école, s’avancèrent avec circonspection derrière le maire.

— Je suis Redvard Haligorn, déclara l’homme grassouillet. Le duc Holmstorg a été convoqué au Château de lord Valentin.

— Nous nous sommes déjà rencontrés, monsieur le maire, dit Valentin d’un ton aimable. Vous en souvenez-vous ? C’était il y a quelques années, quand mon frère lord Voriax était Coronal et que je me rendais dans le Labyrinthe comme émissaire auprès du Pontife. J’ai fait halte à Pendiwane et vous m’avez invité à un banquet dans le grand palais au bord du fleuve. Vous en souvenez-vous, monsieur le maire Haligorn ? C’était en été, une année de sécheresse, le débit du fleuve était très réduit, pas du tout comme en ce moment.