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— Je vous ai vu jongler dans la cour cet après-midi, dit Vinorkis. Vous êtes très bon.

— Merci.

— Un de vos passe-temps favoris ?

— À vrai dire, je ne l’avais jamais fait avant. Mais les Skandars m’ont engagé dans leur troupe.

— Vraiment ? fit le Hjort, l’air impressionné. Et vous allez partir en tournée avec eux ?

— Apparemment.

— Dans quel coin ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, répondit Valentin. Cela n’a peut-être encore même pas été décidé. Mais où qu’ils aillent, cela me conviendra.

— Ah ! l’existence vagabonde, dit Vinorkis. J’ai moi-même eu l’intention d’en tâter. Peut-être vos Skandars m’engageraient-ils aussi ?

— Vous savez jongler ?

— Je sais tenir les comptes. Je jongle avec les chiffres.

Vinorkis éclata d’un rire véhément et donna à Valentin une grande claque dans le dos.

— Je jongle avec les chiffres ! Elle est bonne, non ? Allez, bonne nuit à tous !

— Qui était-ce ? demanda Carabella quand le Hjort eut disparu.

— Je l’ai rencontré ce matin au petit déjeuner.

— Un commerçant de la région, je pense.

— Il ne me plaît pas beaucoup, dit-elle en faisant une grimace. Mais c’est tellement facile de ne pas aimer les Hjorts. Ils sont si laids.

Elle se leva gracieusement et s’étira.

— On y va ?

Il dormit cette nuit encore d’un profond sommeil. Alors qu’il s’attendait un peu, après les événements de l’après-midi, à rêver de jonglerie, il se retrouva une seconde fois dans la plaine pourpre – un signe alarmant, car les Majipooriens savent depuis leur tendre enfance qu’un rêve qui se répète est particulièrement significatif et, la plupart du temps, lourd de menaces. La Dame envoie rarement ce genre de rêve mais le Roi est coutumier du fait. Son rêve, de nouveau, ne fut qu’un fragment. Des faces moqueuses planaient dans le ciel. Des tourbillons de sable pourpre se tordaient le long du chemin comme si des créatures aux pinces impatientes et aux palpes claquantes s’agitaient en dessous. Des piquants jaillissaient du sol. Les arbres avaient des yeux. Tout était chargé de menaces, de hideur et de présages. Mais c’était un rêve sans personnages ni événements. Il communiquait seulement de sinistres présages.

Le monde des rêves céda la place au jour naissant. Cette fois, il fut le premier à se réveiller, dès que les premiers rais de lumière commencèrent à filtrer dans le dortoir. À ses côtés, Shanamir dormait comme un bienheureux. Beaucoup plus bas dans le dortoir, Sleet s’était lové comme un serpent et, près de lui, Carabella dormait, détendue et souriante dans ses rêves. Les Skandars donnaient de toute évidence ailleurs. Les seuls autres étrangers dans la pièce étaient un couple de Hjorts balourds et un trio de Vroons dont l’enchevêtrement de membres dépassait l’entendement. Valentin prit trois balles dans la malle de Carabella et sortit dans les brumes de l’aube pour affiner son talent frais éclos.

Sleet, sortant une heure plus tard, le trouva en train de s’exercer et battit des mains.

— Tu as le feu sacré, ami. Tu jongles comme un possédé. Mais ne te fatigue pas trop vite. Nous avons des choses plus compliquées à t’apprendre aujourd’hui. La leçon matinale porta sur des variantes de la position de base.

Maintenant que Valentin avait maîtrisé l’art de lancer les trois balles de manière à ce que l’une soit toujours en l’air – et il l’avait maîtrisé, cela ne faisait pas de doute, atteignant en un après-midi une habileté technique qui avait demandé à Carabella, comme elle le reconnaissait elle-même, plusieurs journées de pratique –, ils le firent se déplacer, marcher, trottiner, tourner le coin du bâtiment et même sautiller, le tout sans interrompre la cascade de balles. Il jongla avec ses trois balles en montant un escalier et en le descendant. Il jongla en position accroupie. Il jongla sur une jambe, comme les hiératiques gihornas des Marais du Zimr. Il jongla à genoux. Il avait maintenant acquis une sûreté totale dans l’harmonie qui devait régner entre l’œil et la main, et ce que faisait le reste de son corps n’avait plus aucun effet là-dessus.

Dans l’après-midi, Sleet l’initia à de nouvelles difficultés : lancer la balle de derrière son dos en demi-volée, la lancer par-dessous une jambe, jongler avec les poignets croisés. Carabella lui enseigna comment faire rebondir une balle contre un mur et lui faire reprendre sans à-coups sa place au milieu des autres après le rebond et comment envoyer une balle d’une main à l’autre en la laissant frapper le dos de la main au lieu de l’attraper et de la relancer. Il assimila rapidement tout cela. Carabella et Sleet avaient cessé de le complimenter sur la vitesse de ses progrès – c’était une forme de condescendance de le couvrir constamment d’éloges – mais il ne manqua pas de remarquer les petits coups d’œil étonnés qu’ils échangeaient souvent, et cela lui faisait plaisir. Les Skandars jonglaient dans une autre partie de la cour, répétant le numéro qu’ils allaient faire pendant la parade, un numéro prodigieux dans lequel entraient des couteaux, des faucilles et des torches enflammées. De temps en temps, Valentin jetait un coup d’œil dans leur direction, s’émerveillant de ce que les créatures à quatre bras réussissaient à faire. Mais la plupart du temps, il se concentrait sur son propre entraînement.

Ainsi s’écoula le Terdi. Le Quatredi, ils commencèrent à lui enseigner comment jongler avec des massues à la place des balles. C’était un véritable défi, car même si les principes restaient dans l’ensemble les mêmes, les massues étaient plus grosses et plus difficile à manier, et Valentin était obligé de les lancer plus haut de manière à avoir le temps d’effectuer ses réceptions. Il commença avec une seule massue, la faisant passer d’une main à l’autre. Carabella lui expliqua comment il fallait la tenir, comment la recevoir et comment la lancer, et il fit ce qu’elle lui disait, se tordant le pouce de temps à autre mais maîtrisant rapidement la technique.

— Maintenant, dit-elle, prends deux balles dans la main gauche et la massue dans la droite.

Et il commença à lancer, embarrassé au début par la différence de masse et de rotation des objets, mais cela ne dura guère, et il passa ensuite à deux massues dans la main droite et une balle dans la gauche. Et à la fin de l’après-midi, il travaillait avec trois massues, les poignets douloureux et les yeux crispés par la tension, mais continuant malgré tout, ne voulant pas et, presque, ne pouvant pas s’arrêter.

Ce soir-là, il demanda :

— Quand vais-je apprendre à lancer les massues avec un autre jongleur ?

— Plus tard, répondit Carabella en souriant. Après la parade, pendant que nous voyagerons vers l’est en traversant les villages.

— Je pourrais le faire maintenant, dit-il.

— Pas à temps pour la parade. Tu as fait merveille, mais il y a des limites à ce que tu peux maîtriser en trois jours. S’il nous fallait jongler avec un novice, nous serions obligés de redescendre à ton niveau et le Coronal n’y prendrait pas grand plaisir.

Il reconnut le bien-fondé de ce qu’elle disait, mais il n’en attendait pas moins avec impatience le moment où il participerait avec les autres jongleurs à des échanges de massues, de poignards ou de torches en tant que membre d’une entité unique composée de plusieurs êtres évoluant en parfaite coordination.

Il tomba cette nuit-là une lourde pluie inhabituelle pour le climat subtropical de Pidruid en été où de rapides averses étaient de règle, et le Cindi matin, le sol de la cour était spongieux et il était difficile de garder son aplomb, mais le ciel était dégagé et le soleil était chaud et brillant.