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Le véhicule de Valentin se trouva submergé à son tour, mais le conducteur passa la marche arrière et tourna brusquement, renversant les soldats ennemis.

De l’avant… toujours de l’avant…

Le sol était jonché de corps. Cela avait été de la folie pour Valentin d’espérer que la reconquête du Mont pourrait s’effectuer sans effusion de sang. Il devait déjà y avoir des centaines de morts et des milliers de blessés. Le visage assombri, il pointa son propre lanceur d’énergie sur un grand homme au masque dur qui fonçait sur son flotteur et lui fit mordre la poussière. Valentin cligna des yeux pendant que l’air crépitait autour de lui à la suite de sa décharge d’énergie, et il recommença à tirer et à tirer encore.

— Valentin ! Lord Valentin !

C’était un cri universel. Mais il était repris par les poitrines des combattants des deux camps, et chaque côté pensait à son propre lord Valentin.

Leur avance paraissait maintenant totalement arrêtée. Le sort de la bataille semblait définitivement être en train de tourner : les défenseurs lançaient une contre-attaque. C’était comme si le premier assaut les avait pris au dépourvu et obligés à laisser l’armée de Valentin enfoncer leurs lignes. Mais maintenant, ils se regroupaient, rassemblaient leurs forces et adoptaient un semblant de stratégie.

— Ils semblent avoir un nouveau commandement, monseigneur, annonça Ermanar. Le général qui les conduit maintenant semble avoir une grande autorité et il les lance furieusement contre nous.

Une ligne de mollitors s’était formée, qui menait la contre-attaque et était suivie par des troupes de l’usurpateur en grand nombre. Mais ces animaux obtus et fougueux étaient plus redoutables par leur seule masse que par les dégâts qu’ils pouvaient causer avec leurs sabots et leurs dents ; c’était un véritable exploit de réussir à franchir la barrière de leurs corps monstrueux et difformes. La plupart des officiers de Valentin étaient sortis de leurs véhicules – il aperçut de nouveau Lisamon Hultin, puis Sleet et Carabella se battant furieusement, tous entourés de petits groupes de leurs propres soldats faisant de leur mieux pour les protéger. Valentin était prêt à descendre de son véhicule, mais Deliamber lui ordonna de rester à l’écart du champ de bataille.

— Votre personne est sacrée et indispensable, fit le Vroon avec rudesse. On devra se passer de vous pour les combats au corps à corps.

— Mais…

— C’est essentiel.

Valentin se rembrunit. Il voyait la logique de ce que disait Deliamber, mais il n’en avait cure. Il céda pourtant.

— En avant ! rugit-il de frustration dans son porte-voix de corne sombre.

Mais ils ne pouvaient pas avancer. Des nuées de défenseurs surgissaient maintenant de tous côtés, repoussant les forces de Valentin. La nouvelle force de l’armée de l’usurpateur semblait avoir son centre pas très loin de Valentin, juste derrière une élévation de terrain d’où elle rayonnait en ondes presque palpables. Oui, se dit Valentin, il y avait bien un nouveau général, un puissant commandant en chef apportant force et inspiration et ralliant les troupes qui avaient été si démoralisées. Comme je devrais le faire, se dit-il, sur le champ de bataille, au milieu des miens. Comme je devrais le faire. La voix d’Ermanar lui parvint.

— Monseigneur, vous voyez la petite butte à votre droite ? C’est derrière elle que se trouve le poste de commandement ennemi… Leur général est là-bas, au cœur de la bataille.

— Je veux le voir, dit Valentin en faisant signe à son chauffeur d’aller plus haut.

— Monseigneur, reprit Ermanar, il nous faut concentrer notre attaque sur ce point et le supprimer avant qu’il n’ait pris un avantage plus net.

— Certainement, murmura Valentin d’un air absent. Il regardait en plissant les yeux la scène au loin qui lui paraissait d’une confusion extrême. Mais, petit à petit, il discerna une forme dans la cohue. Oui, ce devait être lui. Il était grand, plus grand que Valentin, une grande bouche dans un visage carré, un regard sombre et perçant, de lourds cheveux noirs lustrés, nattés par-derrière. Il semblait étrangement familier… Sans doute quelqu’un que Valentin avait connu, pendant sa vie sur le Mont du Château, mais il avait les idées tellement embrouillées par le chaos de la bataille que pendant un moment il eut de la peine à piocher dans sa réserve de souvenirs fraîchement retrouvés pour identifier…

Mais oui. Naturellement.

Elidath de Morvole.

Comment avait-il pu oublier, même pour un instant, même au milieu de toute cette folie, le compagnon de sa jeunesse, Elidath, à une époque plus proche de lui que son frère Voriax, Elidath, son ami le plus cher, celui qui avait partagé tant de ses exploits précoces, son égal par les capacités et le tempérament, celui que tout le monde, y compris Valentin, considérait comme le premier sur la liste pour succéder au Coronal ?…

Elidath à la tête de l’armée ennemie. Elidath le dangereux général qu’il fallait supprimer.

— Monseigneur ? demanda Ermanar. Nous attendons vos instructions, monseigneur.

— Encerclez-le, répondit Valentin d’une voix altérée. Neutralisez-le. Faites-le prisonnier, si vous pouvez.

— Nous pourrions concentrer notre feu sur…

— Il doit rester indemne, ordonna Valentin d’un ton cassant.

— Monseigneur…

— Indemne, j’ai dit.

— Oui, monseigneur.

Mais la réponse d’Ermanar manquait singulièrement de conviction. Valentin savait qu’aux yeux d’Ermanar un ennemi n’était rien d’autre qu’un ennemi et que plus on se débarrasserait rapidement de lui, moins ce général ferait de dégâts. Mais Elidath !…

Tendu et angoissé, Valentin vit Ermanar faire manœuvrer ses troupes et les guider vers le poste de commandement d’Elidath. Il était facile d’ordonner de laisser la vie sauve à Elidath, mais comment pouvait-on contrôler cela dans le feu de l’action ? C’était ce que Valentin avait craint par-dessus tout, que l’un de ses chers compagnons soit à la tête des forces adverses… mais savoir qu’il s’agissait d’Elidath, qu’Elidath était en péril sur le champ de bataille, qu’il fallait supprimer Elidath si l’armée de libération voulait avancer… quelle torture !

Valentin se leva.

— Vous ne devez pas… commença Deliamber.

— Je le dois, dit Valentin, et il sauta du véhicule avant que le Vroon ait eu le temps d’utiliser sa magie contre lui.

Dehors, au cœur de la mêlée, tout était incompréhensible. Des silhouettes couraient dans tous les sens, les ennemis étaient indiscernables des amis, tout n’était que bruit, tumulte, vociférations, agitation, poussière et folie. La vision d’ensemble de la bataille que Valentin avait pu avoir de son flotteur n’existait plus. Il crut distinguer les troupes d’Ermanar progressant d’un côté et une lutte confuse et chaotique se déroulant quelque part dans la direction du camp d’Elidath.

— Monseigneur ! cria Shanamir. Vous ne devriez pas rester à découvert ! Vous…

Valentin lui fit signe de s’éloigner et se dirigea vers le cœur du combat.

Le sort des armes semblait avoir une nouvelle fois tourné depuis l’assaut d’Ermanar contre le camp d’Elidath. Ses troupes faisaient une percée et semaient de nouveau la panique dans les rangs de l’ennemi. Ils refluaient en désordre, chevaliers et citoyens, courant en rond, tentant de fuir devant la vague implacable des assaillants, pendant qu’un peu plus loin un petit groupe de défenseurs tenait bon autour d’Elidath, unique îlot de résistance au milieu du torrent déferlant.