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Shanamir, qui avait sillonné la ville pendant les journées où Valentin s’entraînait, annonça que les préparatifs pour la grande parade étaient bien avancés.

— Il y a des rubans, des banderoles et des drapeaux partout, dit-il en restant à distance respectueuse de Valentin qui commençait son échauffement matinal avec ses trois massues. Et les bannières aux armes du Coronal… tout le trajet en est pavoisé, depuis la porte de Falkynkip jusqu’à la porte du Dragon, et au-delà de la porte du Dragon, et tout le long du front de mer, d’après ce qu’on m’a dit, des kilomètres et des kilomètres de décorations, il y a même du drap d’or et de la peinture verte sur la chaussée. Il paraît que le coût total se monte à des milliers de royaux.

— Qui paie ? demanda Valentin.

— Eh bien, les gens de Pidruid, répondit Shanamir, surpris. Qui d’autre pourrait payer ? Les habitants de Ni-moya ? Ceux de Velathys ?

— À mon avis, il faudrait laisser le Coronal payer lui-même pour son festival.

— Et quel argent serait-ce, sinon celui des impôts de la planète entière ? Et pourquoi des villes d’Alhanroel devraient-elles payer pour des festivals qui se tiennent à Zimroel ? De plus, c’est un honneur de recevoir le Coronal ! Pidruid paie de gaieté de cœur. Dis-moi, Valentin, comment réussis-tu à lancer une massue et à en attraper une autre en même temps avec la même main ?

— C’est le lancer qui est effectué avant, ami. Juste un peu plus tôt. Regarde très attentivement.

— Mais c’est ce que je fais. Je n’arrive toujours pas à comprendre.

— Quand nous aurons le temps, après en avoir terminé avec la parade, je t’expliquerai comment ça marche.

— Où allons-nous après Pidruid ?

— Je ne sais pas. Carabella m’a dit que nous irions vers l’est. Nous irons partout où il y aura une foire ou un carnaval ou un festival qui acceptera d’engager des jongleurs.

— Est-ce que je deviendrai un jongleur aussi, Valentin ?

— Si tu le veux vraiment. Je croyais que tu voulais prendre la mer.

— Je veux juste voyager, dit Shanamir. Pas obligatoirement par mer. Tant que je n’ai pas à retourner à Falkynkip. Dix-huit heures par jour dans l’écurie à étriller des montures… oh, non, très peu pour moi, plus jamais ça ! Tu sais, la nuit où j’ai quitté la maison, j’ai rêvé que j’avais appris à voler. C’était un rêve de la Dame, Valentin, je l’ai su tout de suite, et le vol signifiait que j’irais partout où j’espérais aller. Quand tu as dit à Zalzan Kavol qu’il fallait qu’il m’emmène aussi s’il voulait t’avoir, j’ai tremblé. J’ai cru que j’allais… que j’allais… je me suis senti tout…

Il se ressaisit.

— Valentin, je veux devenir un jongleur aussi bon que toi.

— Je ne suis pas très bon. Je ne suis qu’un débutant.

Mais s’enhardissant, Valentin commença à faire décrire à ses massues des arcs plus rapides et plus bas, comme s’il voulait épater Shanamir.

— Je n’arrive pas à croire que tu n’as commencé à apprendre que Secondi.

— Sleet et Carabella sont d’excellents instructeurs.

— Quand même, je n’ai jamais vu quelqu’un apprendre quelque chose aussi vite, reprit Shanamir. Tu dois avoir un cerveau extraordinaire. Je parierais que tu étais quelqu’un d’important avant de devenir un vagabond. Tu as l’air tellement gai, tellement… simple, et pourtant… et pourtant…

— Des profondeurs cachées, dit Valentin avec complaisance, essayant de lancer une massue de derrière son dos et lui faisant heurter violemment son coude gauche avec un craquement inquiétant.

Les trois massues tombèrent sur le sol mouillé, et Valentin grimaça de douleur et se frotta le coude.

— Un maître jongleur, dit-il. Tu vois ? Ordinairement, il faut des semaines d’entraînement pour apprendre à se frapper le coude comme ça.

— Tu l’as fait exprès pour changer de sujet, dit Shanamir d’un ton plus qu’à demi sérieux.

8

Le matin du Steldi, le jour de la parade, le jour du Coronal, le premier jour du grand festival de Pidruid, Valentin dormait, roulé en boule, s’abandonnant à un rêve paisible de vertes collines à la végétation luxuriante et d’étangs limpides émaillés de jaunes anémones, quand il fut réveillé par des doigts qui lui chatouillaient les côtes. Il s’assit, clignant des yeux et marmonnant. Il faisait encore nuit et l’aube était loin. Carabella était penchée sur lui : il sentit la grâce féline qui émanait d’elle, il entendit son rire clair, il retrouva l’odeur suave de sa peau.

— Pourquoi si tôt ? demanda-t-il.

— Pour avoir une bonne place au passage du Coronal. Dépêche-toi ! Tout le monde est déjà levé.

Il se leva péniblement. Ses poignets étaient un peu douloureux d’avoir trop jonglé avec les massues, et il tendit les bras en laissant pendre ses mains. Carabella sourit, les prit dans les siennes et leva les yeux vers lui.

— Tu vas jongler merveilleusement aujourd’hui, dit-elle d’une voix douce.

— J’espère.

— Cela ne fait aucun doute, Valentin. Tout ce que tu entreprends, tu le réussis suprêmement bien. C’est le genre d’homme que tu es.

— Parce que tu sais quel genre d’homme je suis ?

— Bien sûr que je le sais. Je me demande même si je ne le sais pas mieux que toi. Valentin, parviens-tu à distinguer la veille du sommeil ?

— Je ne te suis pas, fit-il en fronçant les sourcils.

— Il y a des fois où je pense que c’est du pareil au même pour toi, que tu vis un rêve ou que tu rêves une vie. À vrai dire, ce n’est pas moi qui ai pensé cela. C’est Sleet. Tu le fascines, et Sleet ne se laisse pas aisément fasciner. Il est allé partout, il a vu beaucoup de choses, il connaît la vie, et pourtant il parle constamment de toi, il essaie de te comprendre, de lire dans ton esprit.

— Je ne me rendais pas compte que j’étais si intéressant. Personnellement, je me trouve ennuyeux.

— Ce n’est pas l’avis des autres, répliqua-t-elle, les yeux étincelants. Viens, maintenant. Habille-toi, déjeune, et en route pour la parade. Ce matin, nous regardons passer le Coronal, cet après-midi, nous jouons, et ce soir… ce soir…

— Oui ? Ce soir ?

— Ce soir, nous faisons la fête ! s’écria-t-elle, et elle s’écarta de lui en bondissant vers la porte.

Dans la brume matinale la troupe des jongleurs se dirigea vers la place dont Zalzan Kavol s’était assuré pour eux sur le passage de la grande procession. Le point de départ de l’itinéraire du Coronal était la Place Dorée, où il était logé ; de là, il se dirigeait vers l’est en suivant un boulevard qui décrivait une large courbe jusqu’à une des portes secondaires de la cité et rejoignait la grande route par laquelle Valentin et Shanamir étaient entrés dans Pidruid, celle qui était bordée par une double rangée de palmiers de feu en fleur. Puis il rentrait dans la ville par la porte de Falkynkip et la traversait en suivant l’Avenue de la Mer, passant sous l’arc des Rêves et ressortant par la porte du Dragon pour atteindre le front de mer, au bord de la baie, où une tribune d’honneur avait été élevée dans le principal stade de Pidruid. Ainsi la parade avait une double nature : d’abord le Coronal passait devant le peuple, puis le peuple devant le Coronal. C’était un événement qui allait durer toute la journée et se prolonger bien avant dans la nuit, probablement jusqu’à l’aube du Soldi. Comme les jongleurs participaient au divertissement royal, il leur fallait trouver une place quelque part du côté du front de mer ; faute de quoi il leur serait impossible de traverser la cité congestionnée et d’arriver au stade à temps pour présenter leur propre numéro. Zalzan Kavol avait réussi à leur dénicher une place de choix à proximité immédiate de l’arc des Rêves, mais cela impliquait qu’il leur faudrait passer la plus grande partie de la journée à attendre que le défilé arrive à leur hauteur. Cette attente était irrémédiable. À pied, ils coupèrent en diagonale en prenant par les petites rues et finirent par déboucher en bas de l’Avenue de la Mer. Comme Shanamir l’avait rapporté, la ville était décorée à profusion et regorgeait d’ornements, avec des banderoles et des drapeaux pendant à chaque bâtiment et au moindre luminaire. Le revêtement de la route avait lui-même été fraîchement peint aux couleurs du Coronal, un vert vif et brillant bordé de bandes dorées.